John Carpenter Live

john-carpenter-grand-rexAttendu comme le messie depuis l’annonce de sa tournée aux Etats-Unis et en Europe, l’immense réalisateur John Carpenter, « Big John », cinéaste culte (pour ses films mais aussi pour ses musiques), grand maître du cinéma de genre à qui l’on doit quelques chefs-d’œuvre, a fait une halte en France pour un concert unique et exceptionnel dans la mythique salle du Grand Rex. Sur scène, John Carpenter est accompagné de cinq autres musiciens, dont son fils Cody Carpenter aux synthétiseurs, et une projection d’extraits de ses films accompagne les bandes originales qu’ils jouent en « Live ».

S’il est incontestablement l’un des plus grands cinéastes de cinéma de genre au monde (à l’instar de réalisateurs comme Wes Craven, George A. Romero ou encore Dario Argento), John Carpenter se démarque de ses confrères par son côté « homme-orchestre ». En effet, à la fois réalisateur, producteur, monteur et scénariste, ce dernier est également l’auteur de la grande majorité des bandes originales de ses films. C’est d’abord pour des raisons économiques et budgétaires que le réalisateur, pour ses premiers films, s’est retrouvé « contraint » de composer, presque exclusivement sur synthétiseurs, ses propres musiques. Décrivant lui-même son style comme étant de « l’anti John Williams », Carpenter emploie des techniques et des rythmiques à la fois minimalistes et subtiles, lui permettant en seulement quelques notes et nappes sonores non seulement d’accompagner parfaitement sa mise en scène mais aussi de créer une ambiance singulière reconnaissable entre toutes.

john-carpenter-liveFortement touché, comme la plupart des grands cinéastes des 70’s et des 80’s (comme Dario Argento, Francis Ford Coppola ou encore Brian De Palma pour ne citer qu’eux !), par la difficulté à réaliser de nouveaux films, dû au fait du manque de passion, de culture, de goût et de courage des maisons de production qui font aujourd’hui dans l’uniformisation à outrance d’ œuvres médiocres, vides de sens et sans la moindre mise en scène, John Carpenter s’est « reconverti » dans la musique en sortant notamment deux albums intitulés Lost Themes (2015) et Lost Themes II (2016) . Ces deux albums, dans la veine directe de ses compositions pour ses films, sont comme les bandes originales des films qu’il ne pourra jamais réaliser : « Themes for Lost Movies ». Durant le concert, Carpenter jouera également, en alternance avec les célèbres thèmes de ses films, quelques titres de ces deux albums en live.

carpenterLors de son entrée sur scène, après plus d’une heure d’attente dans la salle pour certains, Carpenter est accueilli en véritable héros. Toutes les générations étaient présentes dans le public venu nombreux pour faire un accueil dithyrambique au cinéaste mythique. Très en forme, il arrive sur scène chewing-gum à la bouche (qu’il ne quittera pas,… sauf pour en changer !) et le poing levé. Au centre de la scène, debout devant son synthétiseur, c’est une main dans la poche qu’il commence à jouer les premières notes du thème de  New York 1997  (Escape From New York, 1981) qui vont tout de suite faire entrer les spectateurs dans son univers. La projection des images du film sur un grand écran derrière le groupe ne manquent pas non plus de faire réagir les fans. Indéniablement de connivence avec son public, le cinéaste fait des signes aux spectateurs dans la salle. Il prend manifestement du plaisir à être là. Il esquisse même quelques timides mouvements de danse tout en jouant de son synthé. Le thème principal du film, avec une ligne de basse, un rythme contemporain, un riff de clavier et une séquence de synthé répétitive évoque immanquablement une musique de western digne d’Ennio Morricone. A l’apparition sur l’écran du héros du film, Snake Plissken, véritable cow-boy futuriste, interprété par l’excellent Kurt Russell avec qui Carpenter tournera pas moins de cinq films, le public exulte. La magie opère !… Elle fonctionnera jusqu’à la fin du concert qui durera au total 1h20.

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Après le morceau d’ouverture, le maître enchaine avec la B.O. de son second long métrage, Assaut (Assault on Precinct 13, 1978), revisite urbaine, à la lisière du fantastique, de Rio Bravo (1959) d’Howard Hawks. Lancinant, noir et répétitif, le thème du film est, comme une marque de fabrique du cinéaste-compositeur, aussi simple qu’efficace. S’enchaineront ensuite les musiques de Fog (The Fog, 1980), trouble, angoissante et hypnotique, enveloppante comme le brouillard (avec machine à fumer sur scène), presque mystique.

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La nuit des masque (Halloween, 1978), musique composée en l’espace de deux semaines et inspirée de la bande originale de Psychose (Psycho, 1960) d’Alfred Hitchcock composée par Bernard Hermann et, une fois encore, de l’œuvre d’Ennio Morricone ; Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin (Big Trouble in Little China, 1986), film hommage au cinéma de genre asiatique dont la musique s’ouvre à d’autres horizons en intégrant de nouveau instruments (samples de percussions, cloches, gongs et autres xylophones, sans oublier la guitare électrique) à son univers musical et parvient parfaitement à fusionner le style occidental et oriental.

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Invasion Los Angeles (They Live, 1988) musique blues aux ambiances oppressantes et à la texture toujours électronique dont l’harmonica ne manque pas d’évoquer le western et que le réalisateur et ses musiciens interprètent sur scène avec des lunettes de soleil en référence au film ; Prince des Ténèbres (Prince of Darkness, 1987), musique à l’image du budget du film, minimaliste et efficace, sombre et vibrante, accompagnée par des cœurs synthétiques qui semblent sortir tout droit des enfers et que Carpenter a présenté en lâchant un « Fuck Trump !», le poing levé devant une salle conquise ; L’Antre de la Folie (In the Mouth of Madness, 1994), musique dont le thème principal est plus rock et diaboliquement efficace ; The Thing (1982), une des rares musiques qui n’a pas été composée par le réalisateur mais par le compositeur Ennio Morricone auquel Carpenter tient à rendre hommage pendant le concert en en jouant l’incontournable thème principal. En effet, le budget de The Thing, le plus important qui lui ait été confié dans toute sa carrière, lui a donné l’occasion de travailler en collaboration avec le Maestro italien qu’il cite fréquemment comme source d’inspiration. Ce dernier a composé pour le film une des partitions les plus glaciales et désincarnées jamais réalisée pour le cinéma qui reste cependant incroyablement proche des précédentes compositions de Carpenter. C’est avec la bande originale de Christine (1983) que le réalisateur termine son concert maîtrisé de bout en bout.

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Les yeux et la tête remplis des sons mais aussi des indissociables images fantastiques, angoissantes, horrifiantes et inoubliables des plus grands films du cinéaste, les fans sont sortis heureux de la salle. On a vu le Maître ! Il était là ! Et il n’était pas seul ! Par la puissance évocatrice de son œuvre, de ses films et de ses musiques, « Big John » était accompagné de ses personnages Snake Plissken (Kurt Russel), Napoléon Wilson (Darwin Joston), Stevie Wayne (Adrienne Barbeau) et le Père Malone (Hal Holbrook), Michael Myers (Tony Moran), Laurie Strode (Jamie Lee Curtis) et le Dr. Samuel Loomis (Donald Pleasence), Jack Burton (Kurt Russell), Gracie Law (Kim Cattrall) et David Lo Pan (James Hong), John Nada (Roddy Piper), Le Père Loomis (Donald Pleasence), John Trent (Sam Neill), Linda Styles (Julie Carmen) et Sutter Cane (Jürgen Prochnow), R.J. MacReady (Kurt Russell), Arnie Cunningham (Keith Gordon) et Leigh Cabot (Alexandra Paul),… et les autres.

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John Carpenter et ses musiciens ont assuré un concert propre, carré et efficace (mais peut-être un peu trop court,… c’est toujours trop court quand on aime !) qui ne manque pas de donner envie, non seulement, d’écouter ses albums Lost Themes et Lost Themes II, mais aussi et surtout, de voir et revoir ses films en boucle.

A noter que John Carpenter a également récemment composé en compagnie de Jean-Michel Jarre une musique au titre évocateur : A Question of Blood. On retrouve le morceau sur le premier volume du nouvel album (double) concept de l’artiste français intitulé Electronica 1 : The Time Machine (2015) (le second s’intitulant Electronica 2 : The Heart of Noise – 2016) dans lequel celui-ci collabore avec différents artistes pour chacun des titres. On y retrouve entre autres M83, Air, Moby, Tangerine Dream, Massive Attack, Hans Zimmer, Peaches, Sébastien Tellier,… et donc, avec A Question of Blood, John Carpenter.

Steve Le Nedelec

John Carpenter Live, le 09 novembre 2016 au Grand Rex à Paris