Jodorowsky’s Dune – Frank Pavich

Début des années 60, Alejandro Jodorowsky débute au théâtre par des mises en scène avant-gardistes de pièces d’Ionesco, Beckett, Strindberg ou Shakespeare. Après plus d’une centaine de mises en scène, Jodorowsky se lance naturellement dans le cinéma. Avec Fando & Lis, il découvre sur le terrain la technique et les obstacles que doit franchir un cinéaste pour voir ses rêves sur l’écran. Il se retrouve en lutte contre les syndicats qui lui refusent l’autorisation de tournage. Pour Jodorowsky, en matière de création nul besoin d’autorisation, l’art ne se commande pas, et c’est de manière sauvage qu’il entreprend le tournage de son premier film. Le sujet et la forme de Fando & Lis font scandale. Jodorowsky poursuit avec El Topo dans lequel il interprète le rôle principale aux côtés de Brontis, son fils alors âgé de sept ans. Cette incroyable symphonie baroque, mélange de western spaghetti, de tropicalisme, de surréalisme et de spiritualisme est à la surprise générale un succès. Aux Etats-Unis, El Topo est programmé régulièrement à minuit et devient vite un phénomène et est à l’origine des « Midnight Movie ». Jodorowsky réunit, grâce à Allen Klein le manager des Beatles, un budget d’un million de dollars pour son film suivant, le prophétique et ésotérique La Montagne Sacrée. Le film connaît un succès bien plus important qu’El Topo.

Jodorowsky-Dune

Michel Seydoux découvre les films d’Alejandro Jodorowsky à New York et en acquiert les droits pour la France. Contre toute attente le succès est au rendez-vous. Fasciné par ce talent hors norme, Michel Seydoux propose à Jodorowsky de produire son prochain film avec une totale liberté de création. Jodorowsky accepte et propose comme nouveau film, Dune. Pourquoi ce choix ? Jodorowsky est lui-même incapable de répondre à la question.  Il n’avait pas lu le roman de Frank Herbert dont un ami lui avait dit beaucoup de bien. Michel Seydoux acquiert les droits du roman pour une bouchée de pain. La machine est en route. Nous sommes en 1974. Jodorowsky s’installe en France dans un château que le producteur français met à sa disposition. Il commence l’écriture de l’adaptation et la préparation de ce qui deviendra l’un des plus grands films… jamais tournés…

Le documentaire de Frank Pavich suit pas à pas l’élaboration et le recrutement de l’équipe, des guerriers comme le précise Jodorowsky, que le cinéaste va réunir autour de lui. Le documentaire est construit autour du mythique story-board-scénario qu’élabore Jodorowsky et le dessinateur Moebius.

Jodorowsky Alejandro Dune

Ce document, dont il n’existe peut-être que deux exemplaires est la « Bible » du projet. Frank Pavich a eu la bonne idée d’animer plusieurs de ses planches. Son premier plan se voulait « le plus long plan-séquence de l’histoire du cinéma », dixit Jodorowsky, sorte d’hommage à Orson Welles et à sa célèbre ouverture de La Soif du mal. Mais ici, ce n’est plus une ville frontière que nous traversons mais la galaxie. Il sollicite le grand réalisateur américain pour interpréter l’immonde et repoussant Baron Vladimir Harkonnen, qui accepte. Le hasard jouera un rôle essentiel dans l’avancement du projet. C’est par hasard que Jodorowsky et Seydoux entrent dans un cinéma de Los Angeles pour voir un obscur film de science-fiction Dark Star après une rencontre désastreuse avec l’un des grands techniciens des effets spéciaux, Douglas Trumbull. Jodorowsky repère dans le film de John Carpenter, le jeune Dan O’Bannon. Il le contacte et l’engage pour les effets spéciaux de Dune. La rencontre entre les deux hommes racontée par Dan O’Bannon dans un enregistrement audio est l’un des grands moments du documentaire.

D’autres rencontres, Christopher Foss jeune illustrateur de couverture de livre de science-fiction, Les Pink Floyd, dans les studios d’Abbey Road lors de l’enregistrement de The Dark Side of the Moon, Dali et ses exigences Dalinesque. Le film de Frank Pavich fournille d’anecdotes plus savoureuses les unes que les autres. Il faut reconnaître à Jodorowsky des talents de conteur exceptionnels. Il sait tenir son auditoire et l’on comprend parfaitement que certains de ses collaborateurs le comparent admiratifs à un gourou.

La préproduction achevée, ce qui constitue la longue première partie du documentaire, c’est à Hollywood que se poursuit l’aventure de Dune. Avec son imposant budget, Michel Seydoux tente de convaincre les Studios de coproduire le film. Il dépose des exemplaires de cette fameuse « Bible » de Dune sur les bureaux des dirigeants des Studios. Si les exécutifs ne trouvent rien à redire sur le projet lui-même, ils ont des réserves sur la durée finale du film et refuse que Jodorowsky en soit le réalisateur. Mal préparés à ce type de négociation d’après Gary Kurtz le producteur de Star Wars,  Jodorowsky et Michel Seydoux ne trouvent pas de financement et la mort dans l’âme renoncent au film.

Cette dernière partie du film est la plus faible du film car quelque peu évasive.  Le monde des Studios semble bien opaque et fermé à toute forme d’innovation qui ne soit pas de leur initiative. Il faut garder en mémoire que le projet de Dune est antérieur à Star Wars. Le documentaire évoque à demi-mot le fait que cette fameuse « Bible » de Dune laissée dans les Studios va être allègrement pillée. Ainsi, le documentaire révèle certaines similitudes troublantes entre Dune et d’autres films. Des sables lasers de Star Wars à la vision du robot de Terminator. Il est étonnant qu’aucune question sur ses similitudes ne soit posée à Gary Kurtz. Quelques années après, Dan O’Bannon intègre à son scénario le travail de H.R. Giger pour la planète du Baron Harkonnen à son script d’Alien que Ridley Scott porte à l’écran. Une grande partie de l’équipe de Jodorowsky se retrouve sur le film suivant de Ridley Scott, Blade Runner après son refus de réaliser Dune ! En 2012 pour Prometheus, Ridley Scott reprend tel quel le château du baron Harkonnen du projet de Jodorowsky !

C’est Chris Foss qui évoque l’entrée en scène de Raffaelle De Laurentiis, la fille du producteur italien De Laurentiis, et de sa reprise des droits du roman. Produit en 1984, la version que tourne David Lynch, bien plus intéressante que l’extrait, de très mauvaise qualité, incluse dans le documentaire. Jodorowsky admire l’auteur d’Eraserhead mais trouve que son Dune est un échec et bien plus un film de producteur que d’auteur. Lynch ne reprend absolument rien de la « Bible » de Jodorowsky, peut-être ne l’a-t-il jamais eu en main. Il n’en va pas de même de Flash Gordon que réalise Mike Hodges et que produit De Laurentiis où les similitudes sont flagrantes.

Alejandro Jodorowsky

Au terme de cette aventure hollywoodienne on sent dans les propos de Jodorowsky une profonde amertume et une blessure encore à vif. De cette immense masse de travail, Jodorowsky va reprendre des éléments en les développant dans ses scénarios pour des bandes dessinées (L’Incal…) et (c’est nous qui ajoutons) dans son film Santa Sangre (1989). Le Dune de Jodorowsky n’est pas resté lettre morte dans l’univers implacable du 7e art, éparpillé de-ci et de là, on retrouve de bribes de cet extraordinaire travail dans bon nombre de blockbusters depuis une quarantaine d’années et ce n’est certainement pas fini !

Jodorowsky’s Dune est passionnant de bout en bout et donne furieusement envie de voir ou de revoir les films d’Alejandro Jodorowsky. Si vous ne connaissez pas son œuvre, il est grand temps de combler cette lacune, précipitez-vous et ayez l’esprit toujours ouvert…

Fernand Garcia

Jodorowskys's Dune

Jodorowsky’s Dune, un film de Frank Pavich avec Alejandro Jodorowsky, Michel Seydoux, Brontis Jodorowsky, Chriss Foss, Nicolas Winding Refn, Diane O’Bannon, H.R. Giger, Gary Kurtz, Richard Stanley, Amanda Lear. Scénario : Frank Pavich. Directeur de la photographie : David Cavallo. Montage : Paul Docherty. Alex Ricciardi. Musique : Kurt Stenzel. Producteurs : Frank Pavich – Stephen Scarlata – Travis Steven. Co-producteur : Michel Seydoux. Production :Highline Picture – Caméra One – Endless Picnic – Snowfort Pictures. Distribution (France) : Nour Films (16 mars 2016). Etats-Unis – France. 2013. 83 mn. Couleur. Dolby Digital. 1,78 :1. Sélections : Quinzaine des Réalisateurs, Cannes 2013 – L’Etrange Festival, 2015.