Hervé Bérard

Le moins de 18 ans n’est qu’un jugement moral

Entretien avec Hervé Bérard, réalisateur et spécialiste des questions de censure, à propos de la future réforme de l’interdiction aux moins de 18 ans.

Hervé Bérard

KinoScript : Pourquoi une réforme de l’interdiction aux moins de 18 ans ?

Hervé Bérard : En résumé, le projet de réforme doit résoudre le dilemme suivant : comment permettre à la Commission de classification d’autoriser le sexe explicite entre 12 et 16 ans alors que la justice l’interdit aux moins de 18 ans? Jusqu’à présent la Commission fonctionnait sans critères a priori, ni de grille pré-établie, elle avait une marge d’appréciation assez large pour choisir une mesure d’interdiction adaptée aux films comportant des scènes de sexe explicite ou de grande violence. Cela allait du moins de 12 ans au moins de 18 ans. A la suite d’une réécriture de la partie réglementaire du code du cinéma qui date de juillet 2014, la Commission a désormais l’obligation en cas de « scène de sexe non simulée » d’interdire le film aux moins de 18 ans. C’est la fin de la jurisprudence française qui refusait jusqu’à présent de juger les scènes de sexe ou de violence sans tenir compte de l’œuvre, méthode pratiquée chez les Anglo-saxons.

K.S. : Des films interdits aux moins de 16 ans comme L’Empire des sensShortbus ou La Saveur de la pastèque, seraient donc aujourd’hui interdits aux moins de 18 ans au regard de la nouvelle réglementation.

H.B. : Tous. Pour prendre des exemples récents : Année Bissextile de Michael Rowe (2010) ou Q de  Laurent Bouhnik (2011). Et les films interdits aux moins de 12 ans avec peu de sexe explicite comme Le Diable au corps de Marco Bellocchio (1986), Intimité de Patrice Chéreau (2001) ou Serbis de Brillante Mendoza (2008), seraient désormais interdits aux moins de 16 ans. C’est ce qui est arrivé avec Nymphomaniac Volume 1 de Lars von Trier, qui a vu son interdiction aux moins de 12 ans relevée aux moins de 16 ans par la justice en 2014.

K.S. : La Commission avait pourtant voté à deux reprises une interdiction aux moins de 16 ans pour Love de Gaspar Noé ?

H.B. : Ne pas respecter la réglementation, pour une commission composée essentiellement de fonctionnaires de ministère, c’est une vraie révolution ! Et la ministre de la culture a suivi leur avis ! Ensuite, le Conseil d’Etat a sifflé la fin de la récré et leur a tapé sur les doigts dans sa décision du 30 septembre 2015 rappelant qu’en l’état actuel du droit (article R. 211-12), un film qui comporte des scènes de sexe non simulées doit nécessairement être interdit aux moins de 18 ans ! (avec ou sans classement « X » selon les cas).

K.S : Quelle différence entre un classement X et une interdiction aux moins de 18 ans ?

H.B. : Sur le fond, aucune différence. Comme le classement X jadis, le moins de 18 ans est destiné aux adultes pour signifier que tel oeuvre, malgré sa dimension artistique, comportent des images non acceptables que la morale réprouve, c’est un avertissement, il y a des limites à ne pas dépasser. Le moins de 18 ans n’est qu’un jugement moral totalement dépassé compte tenu de l’évolution des mœurs et de la création. Le cinéma d’auteur flirte depuis longtemps avec le sexe explicite et l’opinion ne semble pas s’en offusquer. Il n’y a qu’à voir les récents succès de La Vie d’Adèle ou de L’Inconnu du lac. Comme fut le X, le moins de 18 ans est une mesure répressive dont la finalité est d’empêcher ou de restreindre considérablement la diffusion du film.

Mad Max

K.S. : Le moins de 18 ans, gardien de la morale ?

H.B. : Il est admis depuis plusieurs décennies par les psychiatres, par la protection de l’enfance, par les pouvoirs publics, qu’à partir de 16 ans, les ados ont la maturité suffisante pour faire face aux images de sexe ou de violence. Donc l’interdiction – 18 ans n’a pas d’utilité dans le domaine de la protection des jeunes car il existe déjà  l’interdiction – 16 ans. En réalité, quand les juges affirment que Love doit être interdit aux -18 ans parce qu’il peut heurter la sensibilité des mineurs, sans d’ailleurs préciser de quel âge parlent-ils, ce que les juges affirment et prétendent en réalité, c’est que le film comporte des images choquantes et douteuses. Là, je reprends le même raisonnement que celui du philosophe Ruwen Ogien qui explique qu’en déclarant qu’une œuvre est pornographie, ce que les juges disent en réalité, c’est qu’elle est de mauvais goût. Avant le mauvais goût était classé X porno ou X violence (Massacre à la tronçonneuse, Mad Max). Le classement X existe toujours mais il ne peut plus être utilisé car il conduit à une interdiction totale. Aujourd’hui, le moins de 18 ans le remplace avec à peu près les mêmes conséquences financières et les mêmes atteintes à la liberté des spectateurs. Vous remarquerez que les œuvres – 18 ans sont interdites de diffusion sur les chaînes historiques (TF1, France Télévisions, Arte…) et la TNT. Et sur les quelques chaînes conventionnées autorisées à diffuser des programmes de catégorie 5, des œuvres comme Love, Nymphomaniac Volume 2 et même Saw 3D Chapitre Final, pourraient d’être diffusées mais uniquement dans les cases horaires réservées aux films X de Marc Dorcel, entre minuit et 5h du matin, avec double-cryptage et interdiction de diffuser des bandes-annonces qui en feraient la promo en journée. Jusqu’à présent, aucun des 14 films interdits aux moins de 18 ans depuis le retour de cette restriction en 2001, n’ont été programmé chez ces diffuseurs. Et pour cause, ce ne sont pas des pornos comme le CSA veut nous le faire croire.

K.S. : Les films interdits aux moins de 18 ans sont donc bannis de la télévision, qu’en est-il de la salle ?

H.B. : Les circuits refusent catégoriquement les films classés – 18 ans comme d’ailleurs aussi les films – 16 ans. Dans les années 70, c’était le contraire, les exploitants réclamaient des films interdits aux – 18 ans car ils étaient considérés comme transgressifs et attiraient du monde. Aujourd’hui, ils les chassent de la salle pour plusieurs raisons dont le renforcement du contrôle de l’âge des spectateurs et l’idée que se fait le spectateur assimilant un film interdit aux mineurs à un film porno et non à un film d’auteur !

Nymphomaniac volume 1

K.S. : Quelles sont d’après vous les pistes de réflexion pour que la commission puisse à nouveau classifier les films comme elle l’entend ?

H.B. : C’est un problème juridique. Il faut modifier la réglementation de la commission de manière à éviter le contentieux et d’avoir sur le dos le juge qui décide des interdictions à la place de tout le monde sans rien y connaître. Le conseiller d’état, Jean-François Mary doit remettre ses préconisations de réforme début janvier 2016. Il fera le tour des organisations de cinéma pour avoir leur avis si tant est qu’elles en aient un. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faudrait une modification du Code pénal, principalement l’article 227-24 qui est à l’origine du retour de l’interdiction – 18 ans en 2001 à la suite de l’affaire Baise-moi. Cette disposition pénale totalement scandaleuse permet de s’attaquer aux œuvres avec une grande facilité car elle donne le droit de porter plainte contre la plus anodine image de sexe. En avril 2012, à l’occasion des élections présidentielles, François Hollande s’était montré favorable pour exclure du champ d’application de l’article 227-24 les œuvres de l’esprit. Mais cette promesse n’a aucune chance d’aboutir vu le contexte politique d’aujourd’hui.

K.S. : Est-ce qu’il ne faudrait aussi revoir ces motifs de la protection de l’enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine, qui conditionnent la délivrance ou non du visa d’exploitation ?

H.B. : Lors du débat à Dijon, Catherine Breillat s’est effectivement interrogé sur le sens donné du critère « protection de la jeunesse ». Elle dit que c’est formule dangereuse, elle a parfaitement raison. Protéger les enfants, tout le monde est d’accord, protéger la jeunesse, c’est une notion assez paternaliste voire pétainiste. La réglementation est truffée de notions floues et subjectives; « dignité humaine » « qui heurte la sensibilité des mineurs » « grande violence, très grande violence», des concepts qui ne veulent rien dire et qui du coup, ouvrent la porte à n’importe quelle interprétation.

Propos recueillis par August Tino

C2

Cette rencontre avec Hervé Bérard a eu lieu à l’occasion du débat La Classification des œuvres est-elle encore adaptée à notre société ?  organisé lors des 25ème  Rencontres Cinématographiques de Dijon de l’ARP, le samedi 24 octobre 2015. Étaient présents à ce débat Jean-François Mary conseiller d’état et président de la Commission de classification et chargé d’une concertation sur les conditions d’interdiction des films aux moins de 18 ans à la demande de la Ministre de la culture, Fleur Pellerin, les réalisateurs Catherine Breillat, Gaspar Noé, Luc Béraud, Hervé Bérard, Pascal Kané, Laurent Heynemann, le producteur et distributeur Vincent Maraval, Xavier Lardoux, directeur du cinéma du CNC, Pierre Chantreuil, chef de service des visas et la classification au CNC et Florence Gastaud, déléguée générale de l’ARP.

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