Festival de Cannes, 2019 – Compte rendu

Il est à déplorer que la majorité des films du Festival de Cannes ou de l’art moderne en général ne se préoccupent que du désespoir et que le rôle social du cinéma nous plonge dans l’angoisse, sans aucun message d’espoir ou de confiance pour l’avenir.

Le président du festival était fier d’affirmer que tous les films traitent des sujets sociaux, sans doute pour défendre l’image d’une débauche de luxe et d’argent au milieu du cinéma que le festival projette. En pleine crise, le Festival est-il aussi déraisonnable qu’il le paraît ? Surtout que les excès sont souvent nombreux. Il y a quelques années, Armani avait déployé une toile publicitaire de 30 mètres dans le champ des caméras de Canal+ lors de la montée des marches.

Trop paillettes et trop chic, beaucoup s’accordent à penser. Mais tout ce qu’on reproche au Festival fait aussi sa force, puis sur les 195 millions d’euros que rapporte le Festival de Cannes, une bonne partie va au tourisme local, selon un responsable.  

Le seul film qui prétend vraiment atteindre cet objectif en donnant de l’espoir en présentant l’homme comme humain, est Une vie cachée. La vision de transcendance de Terrence Malick est métaphysique, réaffirmant le potentiel de rédemption humaine.

Les pronostics de la presse cannoise sont souvent erronés. L’alchimie des jurys change d’année en année. Vous ne savez jamais si le président décide ou impose sa décision ou laisse chaque membre attribuer un prix en se réservant la Palme d’Or ? Une chose est sûre : les prix sont souvent attribués aux sujets. Ce qui explique pourquoi un film rebattu et décevant comme celui des frères Dardenne a obtenu la mise en scène.

Mais il faut préciser que la sélection de cette année s’est heurtée à un manque de consensus critique prévisible. C’était difficile de choisir parce que chaque cinéaste a abordé un sujet touchant mais que presque tous ont raté quelque chose qui les plaçaient au-dessus des autres.

Certains journaux français avaient prédit la victoire de Douleur et Gloire d’Almodóvar, mais saluent le choix du jury présidé par Alejandro Gonzalez Iñarritu qui a décidé d’attribuer la Palme d’or du 72e festival de Cannes au film Parasite, le meilleur du cinéaste coréen Bong Joon-ho : Une satire sociale et une histoire de lutte de classe racontée de la manière la plus divertissante qui pourra, paraît-il intéresser l’Académie des Oscars.

Peu de journaux ont remarqué que Parasite est inspiré du film The Servant, de Joseph Losey, écrit par Harold Pinter en 1963 et interprété par James Fox, Dirk Bogarde, Sarah Miles et Wendy Craig.

James Fox incarne Tony, un jeune homme riche sans ambition qui fait l’imbécile avec sa petite amie Susan. Il engage Hugo Barrett comme un domestique. Barrett amène sa « sœur » Vera (qui est en vrai sa maîtresse) comme femme de ménage. C’est un drame psychologique fascinant et troublant sur la séduction, le fort contre le faible. Le serviteur devient lentement le maître en s’attaquant aux vulnérabilités d’un playboy sans but de la classe supérieure.

Parasite, qui est sorti en salles le 5 juin, parle des membres d’une famille pauvre dirigée par Song Kang-ho prétendant qu’ils ne sont pas liés pour profiter d’une famille aisée, qui les embauche dans des rôles différents.

Parasite part du principe que ces escrocs n’ont aucun plan, improvisant leur chemin au fur et à mesure jusqu’à ce que les choses se déchaînent comme dans le film japonais qui a remporté la Palme d’Or l’année dernière Une affaire de famille où nous avons également rencontré une famille opportuniste pauvre aussi mais unie par la nécessité plus que par le sang, qui enfreignent la loi mais néanmoins le jury, la presse et le public sympathisent avec eux car ils sont pauvres.

Il semble que tout le monde trouve normal que les pauvres puissent également tricher, car le monde du capitalisme sauvage est injuste et constitue une folie exorbitante. Tout à fait vrai, mais le message qu’aucun cinéaste – à part Terrence Malick – ne met en avant est que ceux qui considèrent la richesse avec indifférence et sont capables de renoncer à certains de leurs biens sont les gens à suivre et non les riches qui trichent.

Parasite, après deux blockbusters anglophones pas très réussis (Snowpiercer et Okja),  marque le grand retour de Bong Joon-ho. La Croisette a accueillit Parasite par une longue ovation.

« Je n’ai jamais été obsédé par la Palme d’or, je le suis encore moins maintenant » déclare à El Pais Pedro Almodóvar. Pourtant, il n’a jamais été aussi près de l’obtenir que cette année, avec Douleur et Gloire, selon la presse française qui lui a décerné 11 Palmes d’Or. Et dans la presse étrangère il était avec Parasite le plus étoilé. Mais aucun film dans la compétition n’a obtenu plus de 3.8 sur 5. Parasite a eu sa Palme et
Almodóvar a dû se contenter du prix de l’interprétation masculine pour Antonio Banderas.

Au niveau de la parité, nous sommes encore loin avec seulement quatre réalisatrices en lice : la Franco-Sénégalaise Mati Diop avec Atlantique, l’Autrichienne Jessica Hausner (Little Joe), et les Françaises Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu, avec Adèle Haenel et Noémie Merlant) et Justine Triet (Sibyl, avec Virginie Efira et Adèle Exarchopoulos). Mais la question qui se pose est : pouvons-nous appliquer la parité pour la parité ? Aucun de ces quatre films – dont deux primés – n’avait tous les atouts pour gagner la Palme, même le formidable film Adam de la réalisatrice marocaine Maryam Touzani, qui était en compétition à Un Certain Regard. Ce film avec une réalisation très maîtrisée n’a rien obtenu, probablement à cause du sujet déjà traité à plusieurs reprises.

La comédienne-scénariste-réalisatrice française Mati Diop fut la première noire à être dans la compétition officielle. Elle revient au Sénégal pour son premier long métrage racontant une histoire de fantômes mettant en vedette la jeune non-professionnelle Mama Sane.

Réalisatrice de courts métrages acclamés, Mati Diop monte d’un cran avec son lyrique Atlantique. C’est son hommage au célèbre film sénégalais Touki Bouki (1973), réalisé par son oncle Djibril Diop Mambety.

Les images sont de Claire Mathon, il rassemble des éléments d’initiés, d’outsiders, et montre littéralement des fantômes de défunts habitant à l’intérieur des femmes vivantes. Néanmoins, le scénario ressemble parfois à un concept pour un court métrage atténué (les mêmes sujets dans son court-métrage Atlantiques de 2009). Les performances sont approximatives de la part de certains comédiens non professionnels. Diop dans ce film se concentre plutôt sur les femmes qui restent derrière au lieu de continuer à se concentrer sur l’histoire d’un homme qui a tenté d’échapper aux difficultés économiques par le biais d’un voyage océanique périlleux en Espagne. Pourquoi pas ? Mais le résultat est mitigé.

Les Anglo-Saxons et certains journaux français ont beaucoup apprécié Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma.

Comme Atlantique et Sibyl, les deux autres cinéastes françaises dans la compétition, Portrait de la jeune fille en feu proclame le droit des femmes de disposer de leur corps et de leur destin.

De bonnes raisons de ne pas lui donner la Palme : Céline Sciamma peut décevoir ceux qui attendaient une révolution formelle. Son film ressemble à une pièce de théâtre et manque d’audaces stylistiques. Avec une étude minutieuse d’une histoire d’amour lesbienne au XVIII siècle en France. Portrait d’une femme au feu était le film le plus acclamé cette année par la presse surtout étrangère. Il impose surtout un autre point de vue que l’habituel regard masculin auxquels des décennies de fiction patriarcale nous a habitué.

Tout le monde s’accorde à penser que le prix de la mise en scène décroché par Luc et Jean-Pierre Dardenne est inexplicablement gagné. Le jeune Ahmed encouragé, par un Imam insidieux et haïsseur de la liberté, à échanger ses jouets d’enfance pour le Coran, un tapis de prière pour des objets tranchants qu’il peut sortir pour les utiliser contre les infidèles. Il ne manque plus aux Dardenne que le Prix du jury ! La réalisation du Jeune Ahmed faisait pâle figure à côté des hardiesses de style de certains films. Selon beaucoup de journaux la compétition 2019 fut « un très grand cru » – le meilleur depuis dix ans, bien que Le Ruban Blanc de Michael Haneke avait triomphé au détriment de Vincere de Marco Bellocchio en compétition également cette année avec son film Le Traîtrequi n’a rien gagné aussi.

Le Jury a crée cette année un huitième prix, une « Mention spéciale » qui l’a décerné à Elia Suleiman pour It Must Be Heaven, projeté le dernier jour du festival. Le cinéaste palestinien, absent des écrans depuis dix ans, faute de budget pour tourner.

Sa comédie est généralement comparée à Tati et Keaton – et ce n’est pas tout à fait exact. Le but de la réalisation de Suleiman est de nous orienter souvent dans le sens d’une situation politique et cette fois encore, son thème est sur l’exil.

Un producteur rejette le scénario de Suleiman parce que ses films « ne traitent pas assez de la Palestine« . C’est-à-dire qu’ils ne prêchent pas la violence ni assez « palestiniens » dans le sens misérabiliste. Mais la comédie est là pour montrer qu’il existe d’autres moyens d’insister sur  l’identité culturelle palestinienne. Pour Suleiman, la comédie est une sorte de non-violence rhétorique. Et pourtant, il y a aussi ici un pessimisme, un lecteur de cartes de tarot avertissant qu’un État palestinien ne sera pas visible du vivant de son protagoniste.

Il y a des moments où la qualité passive et insaisissable de It Must Be Heaven, comme avec d’autres films de Suleiman, nous échappe et s’est sentie maniérée et superficielle, mais c’est aussi une signature qui le distingue.

On ignore si le jury connaît bien le travail de chaque cinéaste connu ? Sinon, il n’aurait pas attribué le prix de la mise en scène aux frères Dardenne. Un prix qui aurait pu être donné sans hésitation à Terrence Malick ou à Almodóvar sans que leurs films soient parfaits d’autant plus qu’il est difficile de comprendre pourquoi le dialogue en allemand dans le film de Terrence Malick n’a pas été traduit. En vérité,  aucun film n’était proche de la perfection comme Ragtime, Vol au-dessus d’un nid de coucou (One’s flew over the Cuckoo’s nest) de Milos Forman ou 2001 : L’odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey) de Stanley Kubrick.

Cependant, personne ne peut nier la justesse des prix attribués aux deux films brésiliens : l’audacieux Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles : Prix du jury partagé avec Ladj Ly. C’est un western contemporain. Les deux cinéastes ont osé critiquer indirectement, en recevant le prix, le président issu de l’extrême droite brésilien Jair Bolsonaro et sa politique contre la culture. En s’adressant en vain au public du festival : « Nous avons besoin de votre soutien ». On a envie de leur dire dans ce monde qui ne s’améliore guère hélas : « Who cares ! ». Et le Prix d’Un Certain regard pour : La vie invisible d’Eurídice Gusmão (un bijou) de Karim Aïnouz pour sa beauté, sa finesse et sa structure narrative bien ficelée.

Certains de ces longs-métrages, présentés au Festival de Cannes 2019, sont déjà en salle. D’autres, non et il est fort possible qu’ils ne seront pas distribués surtout ceux qui sont dans les sélections parallèles.

Les mauvaises langues disaient que « la 72ème édition du Festival de Cannes a toujours vanté le tapis rouge le plus glamour au monde. Mais à part le jury du festival de cette année – qui comprend Alejandro G. Iñárritu et Elle Fanning – il n’y a eu que quelques stars éparses sur la liste ». Et alors ? Certains Américains se sont moqués de la décision du festival, pour la deuxième année consécutive, d’interdire à Netflix de participer au festival pour protéger les salles de cinéma françaises. Mais d’autres presses américaines disaient que Cannes continue à maintenir son emprise sur l’art international et sur l’industrie, ce qui n’est pas rien à l’ère du streaming. Ils affirment qu’il y a plus à voir et à penser que Disney et Netflix, ces monstres jumelés qui dominent de plus en plus les écrans et qui attirent les médias de divertissement.

D’autres pensent que Cannes a préparé le terrain pour le reste de l’année. Le paysage des Oscars a changé : le film de Terrence Malick a un distributeur américain (Fox Searchlight). En général, beaucoup semblent assez satisfaits de la façon dont Cannes s’est déroulé : Les studios Amazon ont dépensé largement pour Les Misérables, un film à petit budget avec un regard déchiré sur la brutalité policière ainsi que la violence des jeunes dans une banlieue parisienne.

La lauréate d’un Oscar, Julianne Moore, s’est prononcée en faveur des quotas lors d’une conférence au festival. « Je crois qu’il est important d’essayer d’égaliser les chances pour tous, sans distinction de sexe, de culture ou d’ethnie« , a-t-elle déclaré. « Vous devez ouvrir les portes. »

Les militantes de #MeToo ont lancé une pétition demandant le retrait du prix, qualifiant Alain Delon de « misogyne » violent. L’acteur avait auparavant admis avoir giflé des femmes après que son fils eut révélé qu’il avait déjà brisé deux fois les côtes de sa mère et son nez.

Paramount Pictures a déboursé 40 millions de dollars à Cannes pour Down Under Cover, une comédie mettant en vedette Chris Hemsworth et Tiffany Haddish. Fox Searchlight a dépensé entre 12 et 14 millions de dollars pour Une vie cachée (A Hidden Life) de Terrence Malick. Mais à part cela, les négociations au marché du festival ont été un peu au ralenti. Il y a certains types de films que Hollywood ne produit plus.

Hollywood préfère un film comme celui de Roland Emmerich qui est venu à Cannes pour présenter son grand spectacle à 150 millions de dollars, Moonfall, un film catastrophe dans lequel la lune se briserait sur la Terre (à l’image de l’astéroïde frappant la Terre dans Armageddon).

Quant au film de zombies de la soirée d’ouverture de cette année, The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch, qui a amené des stars : Adam Driver, Bill Murray, Tilda Swinton et Selena Gomez à Cannes il a subi de terribles critiques et des applaudissements tièdes lors de sa première projection le 14 mai.

Sony Pictures, a espéré que la foudre touche à nouveau Tarantino vingt-cinq ans après Pulp Fiction mais il n’a rien obtenu. Pourtant, son film Once Upon a Time in Hollywood a mis en vedette deux acteurs, Leonardo DiCaprio et Brad Pitt que l’Académie des Oscars aurait du mal à choisir : lequel va concourir pour le meilleur acteur. La rédaction n’a pas pu le voir à Cannes. Salle comble dans les deux projections.

Les rues et les restaurants n’étaient pas aussi encombrés, les panneaux d’affichage n’étaient pas également ostentatoires, les yachts moins évidents… Sans doute à cause de la crise économique mais aussi à cause de la présence d’une sécurité intense de policiers et de soldats lourdement armés.

Ces dernières années, le flux des films « art cinema » était au rendez. 21 films en compétition avec une sélection « solide » des habitués de Cannes – Tarantino, Almodóvar, Loach, les Dardenne et autres – ainsi que de nouveaux notamment Céline Sciamma. D’autres films venant de France, de Roumanie, du Brésil, de Chine, de Russie, du Québec et des États-Unis. A quelques exceptions médiocres mais primés tout de même comme Liberté, Chambre 212 etc, il y avait une programmation, très semblable à un Cannes traditionnel.

Certaines presses américaines nombrilistes ou réalistes se demandent qu’en dehors de Once Upon a Time de Hollywood de Quentin Tarantino, de A Hidden Life de Terrence Malick, et de la comédie vampire de Jim Jarmusch, The Dead Don’t Die  combien de grands titres cannois seront-ils vus de manière significative dans les salles américaines ? Dans quelle mesure les films des auteurs internationaux lancés par Cannes, peuvent-ils être visionnés sur grand écran ? Étant donné qu’ils ne racontent pas une histoire universelle qui traverse les frontières mais très locale comme le très réussi film marocain Adam ?

Le premier film Les Misérables du réalisateur français Ladj Ly fut apprécié par beaucoup : ce film présente des thèmes et des situations que tout le monde peut comprendre, peu importe la langue et donc c’est un thème universel. Il se déroule dans une banlieue parisienne très peuplée d’habitants d’origine africaine et arabe.

Vingt-quatre ans après le film de Mathieu Kassovitz La Haine, le jeune cinéaste issu du célèbre collectif Kourtrajmé, fondé par Romain Gavras et Kim Chapiron, reprend la même sujet – les violences dans la cité des Bosquets à Montfermeil. Dans Les Misérables, trois flics sont confrontés à une guérilla urbaine où chacun défend son territoire et son autorité : les caïds de la drogue, les Frères musulmans, les Roms, les barbus recyclés en voyous, les enfants livrés à eux-mêmes et les parents impuissants.  Amazon a acheté les droits internationaux des Misérables, de Ladj Ly. Selon Variety, Netflix était aussi sur le coup.

Ainsi que la violence (que nous n’avons pas vu), dans Bacuraude Kleber Mendonça Filho et de Juliano Dornelles est un thème un peu universel selon certaines presses. Centré sur des personnes qui se séquestrent avec leurs armes dans un coin reculé du Brésil, le film ressemble à la société américaine.

Alors que Douleur et Gloire, une autobiographie d’Almodóvar, sera certainement vu dans le monde entier grâce à la réputation internationale de son réalisateur et de ses stars, Antonio Banderas et Penélope Cruz bien que la spécificité proustienne d’Almodóvar au sujet des choses qui lui tenaient à cœur a quelque peu gêné la connexion avec son histoire, laissant le spectateur à moitié ému, bien que la partie de son enfance était très touchante.

Trois heures et demie, d’un ennui accablant. C’est ce à quoi nous a contraints le dernier long-métrage d’Abdellatif Kechiche, Mektoub, My Love : Intermezzo, « dont on ne saisit guère les raisons qui ont conduit à sa sélection à Cannes » a écrit un journal. Deuxième volet de Mektoub, My Love, Canto Uno (sorti en 2018) est le premier volet d’une fresque qui en comptera trois –, le film retrouve le lieu, les personnages et les acteurs laissés dans le précédent opus, sans rien y apporter de nouveau. D’abord, la durée du film, 210 minutes, dont les trois quarts filmés à l’intérieur d’une boîte de nuit sétoise où l’on écoute Voulez-vous d’ABBA en boucle. Une  obsession du réalisateur pour les fesses des femmes, aux lumières stroboscopiques et à la musique techno des années 1990. La principale comédienne, Ophélie Bau, était absente lors de la conférence de presse très tendue, le 24 mai, au lendemain des projections.

Le film commence par une citation du Coran: « Ils ont des yeux mais ne peuvent pas voir, des oreilles mais ne peuvent pas entendre. » Et alors ? Puis on y découvre une bande de jeunes occupés à se baigner et à danser pendant plus de 30 minutes. Ensuite 2 heures ou plus de fesses ébranlées, avec seulement une pause de 15 minutes pour une scène de cunnilingus explicite. Abdellatif Kechiche cadre les fesses des femmes sous tous les angles, « abandonnées », en mouvement fébrile, de face, de profil, dans l’entrejambe, en contre-plongée. « C’est douloureusement rétrograde et pénible à regarder« , a déclaré le Hollywood Reporter. Variety : « Qu’étant donné l’allégation d’agression sexuelle à l’encontre de Kechiche – ce qu’il nie avec vigueur – cette « provocation démesurée et mesquine » pourrait ne jamais être rendue publique ». David Ehrlich du site Web Indiewire a qualifié ce film de « film de quatre heures sur les mégots« . 60% du film est constitué de gros plans de mégots. « J’ai eu une légère dépression psychotique à un moment donné« , a-t-il tweeté pendant que le rideau s’abaissait.

Le New York Times surenchérit : « On peut imaginer que les programmeurs se sont sentis obligés d’inclure Mektoub à cause de la Palme que Kechiche a obtenu auparavant. On sait que la qualité est rarement la seule raison pour laquelle les films sont sélectionnés à Cannes et dans les festivals en général : les créneaux horaires doivent être remplis, les quotas doivent être atteints et des accords passés dans les coulisses doivent être conclus. Quel que soit le nombre de critiques cinglantes que ce film a reçues, le résultat est que le festival a réaffirmé la stature de Kechiche en tant qu’auteur averti à Cannes ». Même certains des plus grands fans de Kechiche ont été choqués par le film (sauf une journaliste française sur une radio qui a fait l’éloge du film et de ce grand « artiste »).

Cela ne veut pas dire que de nombreux cinéphiles réguliers ne verront jamais Intermezzo. Mais son film précédant n’a pas été largement distribué et n’a pas été bien réussi là où il a été diffusé. Sa diffusion sera compliqué à l’ère de # MeToo.

La cinéaste Justine Triet malgré l’interprétation de Virginie Efira dans Sibyln’a pas sauvé le dernier jour du festival ni la rêverie mélancolique d’Elia Suleiman dans It Must Be Heaven.

Last but not least :

Une vie cachée de Terrence Malick

Pour voir la splendeur de la nature qui change avec les saisons, la vie simple, mais sublime, qu’on peut perdre à tout moment, il faut regarder Une vie cachée. On est en pleine Seconde Guerre mondiale, et à travers le destin du paysan Franz Jägerstätter, très célèbre en Autriche, qui refuse de jurer fidélité à Hitler, comme doivent le faire tous les soldats allemands, Terrence Malick filme la résistance d’un individu devant le collectif devenu malade, de l’humain contre l’animal, de la foi contre l’emprise des esprits. Dieu est partout (un pas trop catho). Un hymne puissant à ce que c’est qu’être un homme humain quand tout le monde a oublié qu’il est humain. Il méritait le Prix de la mise en scène et encore mieux s’il avait coupé une heure de film.

Douleur et gloire de Pedro Almodóvar

L’idée du film est surtout comment se sauver de la mort physique qui frappe à la porte ? Le film ne donne pas une réponse puisque à notre avis la mort physique est inévitable alors que la mort de l’esprit chez certaines religions n’existe pas. Il y a aussi l’assèchement créatif. On y suit Salvador, réalisateur star qui n’arrive plus à créer avec des superbes flashbacks (la partie la plus réussi du film)  de son enfance avec sa mère jouée par Penélope Cruz. « J’aimerais revenir à mon cinéma flamboyant des années 1980-1990″, a déclaré Almodóvar. 

Matthias et Maximede Xavier Dolan

Matthias et Maxime sont deux amis d’enfance, rien de plus, rien de moins. Sauf que, lorsque pour les besoins d’un film étudiant, les deux copains s’embrassent face caméra, le doute s’immisce. Après l’échec de Ma vie avec John F. Donovan, Xavier Dolan revient à une œuvre simple mais très bruyante où on a déjà vu ces scènes plusieurs fois chez lui, et où il se répète. Certaines répliques incompréhensibles : « Ta mère, son Patronus, c’est un Burger King et elle l’a bouffé »… mais c’est un de ses films le plus sincère et le plus classique. Peut être il est temps d’arrêter un peu sa prolifération pour réfléchir à un sujet plus mature ?

Little Joe de Jessica Hausner

Une scientifique, Emily Beecham (Prix de l’interprétation féminine) offre à son fils une nouvelle espèce de fleur qu’elle a créée et qui rend heureux… Un film étrange, qui a laissé indifférent le public et la presse. Jessica Hausner n’est pas tout à fait à la hauteur de ses œuvres précédentes.

Le Traîtrede Marco Bellocchio

On peut regretter que ce film comme son chef-d’œuvre Vincere n’a rien eu mais son handicap était que sa construction est trop classique sauf par moment avec des petites scènes métaphoriques des animaux féroces dans des cages qu’on aurait aimé avoir plus dans le film. A 79 ans Marco Bellocchio  présente un film mafieux et bouleverse le genre. Chronique du célèbre repenti Tommaso Buscetta, qui fut le premier mafioso sicilien d’envergure à collaborer avec l’État contre la Cosa Nostra dans les années 1980.  Le Traître commence dans une demeure magnifique, une réunion de famille… Buscetta, Pier francesco Favino  qui aurait pu obtenir : le prix d’interprétation masculine est extradé à Rome où il va collaborer avec le célèbre juge Falcone dans sa guerre contre la mafia.

Le lac aux oies sauvages de Diao Yinan

Pour les uns son film : « est un film purement formaliste un peu vain qui se regarde un peu filmer et qui a oublié d’insuffler de la vie à ses personnages ». Pour d’autres : « Au bout de quinze minutes, on sait que ce quatrième long métrage sera son plus ambitieux et mériterait un prix ». Le cinéaste chinois Diao Yinan, primé il y a 5 ans à Berlin avec Black Coal, un film noir, est de retour avec un nouveau film noir et pour la première fois dans la compétition cannoise. Un truand en perdition poursuivi à la fois par la police et ses comparses qui veulent le massacrer. Ajoutant à cela, femme fatale, flics… violence (décapitation, meurtre), courses-poursuites dans des ruelles glauques, jeux d’ombres et de lumières expressionnistes… avec des mouvements de caméras sophistiqués des jeux de couleurs travaillés et plongé dans un univers nocturne, pluvieux, parfois sans dialogue… et ou la femme va triompher à la fin. C’est un polar postmoderniste, avec des clins d’œil parfois à des cinéastes du tel que Fritz Lang, De Palma… Son cinéma est formaliste, spectaculaire. Cependant, on a du mal à s’identifier avec les personnages tellement ils sont peu humains.

Sorry We Missed You de Ken Loach

Ken Loach revient à Cannes avec son nouveau film, Sorry We Missed You.  C’est encore un drame intime sur la vie quotidienne des gens de la classe ouvrière qui peinent à s’en sortir financièrement. Le film se déroule à Newcastle. Une coïncidence parfaite car sa projection à Cannes a été programmé une semaine après l’introduction en bourse semi-désastreuse d’Uber. Loach réussit toujours à trouver de nouveaux visages qui semblent être nés pour le cinéma de Loach. Ensemble, les acteurs imprègnent la famille de valeurs confuses et conflictuelles mais qui sonnent juste.

Loach et Laverty, son scénariste, montrent à quel point c’est terrible que les entreprises – et la société dans son ensemble – exploitent des travailleurs désespérés en les aliénant. À 83 ans, Loach se bat toujours aux côtés des travailleurs. Cette fois, il dissèque la formidable logique cachée derrière l’uberisation de la société, montrant ainsi les dommages collatéraux qu’il provoque dans une famille endettée. Il est peut être facile de rejeter l’approche stéréotypée de Loach et les préoccupations qu’il traite chaque fois dans ses films. Mais Loach excelle à intégrer ces thèmes bien meilleurs que d’autres cinéastes. Sorry we missed you n’a rien de nouveau. Toutefois, c’est une actualité plus importante que jamais pour le cinéaste anglais.

Norma Marcos