Exorcisme tragique – Romano Scavolini

Le film s’ouvre sur une séquence bucolique. Une voiture s’arrête sur un chemin en forêt. Un homme en descend. A l’arrière, sa fille Marialé. A l’abri de grands arbres, une jeune femme dans une immaculée robe blanche est allongée avec son jeune amant… ils viennent de faire l’amour. Elle se redresse et pose un regard attendri sur son amant endormi étendu nu à ses côtés… tout est calme et pourtant… La jeune femme sent comme une menace… derrière un arbre, son mari pointe une arme sur elle. Son amant se réveille et saisit aussitôt le danger qui plane sur eux. Le mari tire. L’amant s’effondre avant que deux balles n’atteignent sa femme adultère… le carnage a lieu sous les yeux de  Marialé… Dans les dernières lueurs de l’après-midi finissant, le père se suicide… La jeune fille vient de perdre sa mère et son père… Trente ans après, Marialé organise une soirée dans le château familial où elle vit recluse…

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Exorcisme tragique est estampillé giallo, le film, comme souvent dans le genre, s’y rattache et s’en éloigne tout à la fois. C’est en tout cas un film d’excellente tenue. L’intrigue fonctionne sur un traumatisme lié à l’enfance, celui de Marialé, la mort de ses parents. Et c’est au cours d’une nuit, où elle a invité plusieurs personnages, que chacun va révéler sa nature profonde. Pourquoi Marialé a-t-elle réuni ses personnages-là ? Le film va sur ce point être assez évasif, le propos se situant ailleurs. Il s’agit d’un drame bourgeois mettant en scène des archétypes de classe, des petits-bourgeois, des nouveaux riches engendrés par le boom économique des années 60. Romano Scavolini n’y va pas par quatre chemins – les invités sont réacs, racistes, petits et dans une lutte permanente pour consolider leur place dans le monde capitaliste.

Romano Scavolini enferme son groupe dans un château vestige d’un ancien temps. Imbus d’eux-mêmes, ils ne peuvent refuser l’étrange invitation de Marialé. A l’intérieur, une visite des sous-sols les entraîne dans un passé aristocratique figé et monstrueux. Véritable séquence de terreur, clair-obscur angoissant, toile d’araignée, tête momifiée –  c’est, pour les convives, le basculement où vont s’exprimer les sentiments les plus vils. Le retour des refoulés. Ils sont prêts pour un dîner apocalyptique. Travestis, ils se laissent aller. Des êtres animés par des instincts bestiaux, la satisfaction immédiate de leurs désirs. Sûrs de leurs pouvoirs, plus rien ne les arrête. Ils blasphèment copieusement, « Prenez et mangez : ceci est mon corps » avec un morceau de poulet. Des relents de colonialisme resurgissent. Mais Semy la noire, au cours d’une incroyable scène de danse, prend le pouvoir (par une sorte d’ambiguïté sexuelle) sur son amant et ce petit monde pathétique et hypocrite. Prise de pouvoir de courte durée, mais cette société porte en elle les germes de sa propre destruction.

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Romano Scavolini utilise le genre avec tout son folklore gothique, fantastique et violent pour un jeu de massacre antibourgeois, une version gauchiste des Dix petits nègres en somme. Œuvre radicale, mâtinée de données psychanalytiques et de considérations politiques qui condamne sans exception tous ses protagonistes. Radicalité que l’on peut rattacher au mouvement contestataire du cinéma des années 60 dans le sillage de Bernardo Bertolucci ou de Marco Bellocchio.

Curieusement Romano Scavolini doit sa petite renommée, hors d’Italie, non pas au cinéma politique mais à un vrai film de genre : Cauchemars à Daytona Beach (1981), film d’horreur avec quelques meurtres particulièrement sadiques et dans une moindre mesure à Exorcisme tragique. Son itinéraire est assez singulier, il vient du cinéma documentaire et de fiction de la gauche contestataire des années 60. Ses films restent en grande partie totalement inconnus à l’exception notable de ses deux films de genre. Une cinéaste et une œuvre à redécouvrir…

Fernand Garcia

exorcisme-tragique-dvdblurayExorcisme tragique est édité pour la première fois en DVD-Blu-ray dans un magnifique Digipack 3 volets par Le Chat qui fume. Édition avec le film en version intégrale dans une magnifique copie en édition combo et un deuxième DVD de compléments de première importance.

Histoire d’Ida, passionnante rencontre avec Ida Galli (Evelyn Stewart) elle évoque sa rencontre avec Federico Fellini pour La Dolce Vita, Mario Bava pour Le Corps et le fouet et Luchino Visconti pour Le Guépard. Son immense regret d’avoir dû renoncer à incarner la mère dans Mort à Venise sous la pression de Michèle Lupo, entre autres… (55 mn, production Freakorama).

Ésotérique et cryptique entretien avec Romano Scavolini (36 mn). Le réalisateur italien revient sur ses débuts à la fin des années où docker il suit les cours du Centre Expérimental de Rome, ses premières et sa conception du cinéma. Il est photographe indépendant au Viêt-Nam, pour lui pas question de faire du cinéma sur un conflit. Des films sur le Viêt-Nam, Scavolini déteste particulièrement Full Metal Jacket de Stanley Kubrick. Revenu du conflit, il est chef-opérateur sur des séries B et des westerns. Période épique du cinéma italien avec des films tournés avec de minuscules budgets où il fallait se battre pour toucher son salaire. Pour couvrir les dettes contractées sur la production d’un premier film réalisé par son frère, il accepte de mettre en scène Exorcisme tragique. Tout est déjà en place: la distribution, les décors, l’équipe technique. Il trouve le scénario, un film d’horreur gore, épouvantable, « humiliant ». Il le réécrit de fond en comble.  Même s’il a du mal à l’intégrer à sa filmographie, car il s’agit d’une commande, il reconnaît que le film lui donne en partie satisfaction. Document précieux  qui permet de découvrir un cinéaste où l’on note parfois une pointe de prétention (production Freakorama).

L’Exorcisme de Marialé par Jean-François Rauger, l’historien et directeur de la programmation de la Cinémathèque Française analyse avec clairvoyance le film et la porosité entre les films des grands maitres et les artisans, entre l’art aristocratique et l’art populaire  (12 mn, production Le Chat qui fume).

Scavolini l’anarchiste par Olivier Rossignot qui revient sur la carrière et l’engagement militant de  Scavolini (11 mn, production Le Chat qui fume). Scènes inédites, dont une version alternative du début avec une plus forte présence des animaux du majordome (4 mn) et enfin cinq films annonces de la collection Exploitation italienne : Exorcisme Tragique, La Nuit des diables, La Sœur d’Ursula, Terreur sur la lagune et Tropique du Cancer.

Exorcisme Tragique / Les Monstres se mettent à table (Un Bianco vestito per mariale’) un film de Romano Scavolini avec Evelyn Stewart (Ida Galli), Luigi Pistilli, Ivan Rassimov, Pilar Velazquez, Edilio Kim, Gengher Gatti, Giancarlo Bonuglia, Gianni Dei, Shawn Robinson… Scénario : Giuseppe Mangione & Remigio Del Grosso sujet de Giuseppe Mangione (et non crédité Romano Scavolini)   Directeur de la photographie : Romano Scavolini. Montage : Francesco Bertuccioli. Musique : Fiorenzo Carpi (direction d’orchestre Bruno Nicolai). Producteur : Franca Luciani. Production : KMG Cinema. Italie. 1972.  88 mn. Versions : français, italien. Sous titres : Français. Techniscope. Format 2.35 :1. Format original respecté 16/9ème compatible 4/3. Couleur. Interdit aux moins de 16 ans.