Deux Flics à abattre – Ruggero Deodato

Antonio (Marc Porel) et Alfredo (Ray Lovelock) font leur ronde à moto. Rome se prépare pour les fêtes de Noël. Devant la Banque d’America e d’Italia, un jeune motard épie à l’intérieur sa future victime. Elle va sortir. Le voleur rejoint son complice sur une grosse cylindré. La jeune femme son sac à main en bandoulière, arrive à l’angle de la rue. Les voleurs foncent sur leur victime, le passager arrière se saisit du sac. Le pilote accélère, mais la femme s’agrippe à son sac. Elle est traînée sur plusieurs mètres, sa tête se fracasse contre un lampadaire. Le voleur saute de la moto et tente de lui arracher le sac, tout en la frappant violemment à coup de pied au visage et dans les côtes. Antonio et Alfredo arrivent sur la place et interviennent aussitôt. Les deux voleurs prennent la fuite. Antonio porte secours à la femme, mais trop tard, elle n’est plus qu’un corps sans vie. Alfredo prend en chasse les deux voleurs…

Ruggero Deodato c’est Cannibal Holocaust ! Cette odyssée de l’horreur extrême, en 1980, a éclipsé tous ses films. Avant cette sidération planétaire, Ruggero Deodato avait réalisé quatorze films et obtenu quelques grands succès dont Deux flics à abattre qui reste l’un de ses plus beaux spécimens. On retrouve dans son unique poliziottesco (le genre ne s’étend que sur une poignée d’années) sa patte, cette volonté d’être efficace, ses cadrages comme arrachés à la réalité et son rythme soutenu. Il va s’en dire que Deux flics à abattre avance dans un maelström de violence sans temps mort (et des cadavres par dizaine).

La première séquence nous plonge directement dans l’ambiance du film, au ton mi-figue, mi-raisin des deux héros sur leur moto débouche sur une violente et spectaculaire agression suivie d’une course-poursuite dans les rues de Rome. Séquence d’introduction d’une grande efficacité qui se termine d’une manière surprenante. Si l’un des voleurs à la tire meurt dans une collision, l’autre, gravement blessé, est tout simplement achevé par Antonio. Nous ne sommes pas en présence de deux flics traditionnels, ce que nous confirme la suite. Antonio et Alfredo rejoignent tranquillement leur QG, comme si de rien n’était. Il se dégage de cette séquence, une impression de violence malsaine (accentuer par une musique guillerette tonitruante, une constante dans le cinéma de Deodato) et un sentiment que le temps de la pitié et de l’excuse est révolu. On reconnaît toutefois dans cette mise en place le style de Fernando Di Leo, qui signe le scénario.

Fernando Di Leo, observateur autant résigné que révolté par les dérives de la société italienne, brouille d’emblée les cartes. Son constat est amère, l’explosion de la petite et grande violence, la corruption qui touche toutes les couches de la population, n’a pas de quoi le tranquilliser, ce film, comme du reste de son œuvre, est d’un pessimisme noir. Di Leo imagine que pour vaincre la voyoucratie, la police doit utiliser les mêmes armes, ainsi la ligne qui sépare les flics des voyous s’estompe. Le scénario fonctionne en entonnoir, à partir d’une vision d’ensemble d’une délinquance urbaine, le film se focalise sur un parrain, tête pensante d’une organisation ultra-violente.

Deux flics à abattre, poliziottesco classique, est aussi un Buddy Movie, original à plus d’un titre. Contrairement à ce que les scénaristes de Hollywood vont concocter à partir des Anges gardiens (Freebie and the Bean, 1974), les deux flics ne fonctionnent pas sur une opposition ni de caractère, ni d’âge, ni de culture, ni de couleur. Antonio et Alfredo sont une sorte de dédoublement l’un de l’autre, l’un blond, l’autre brun, simplement. Les deux flics agissent comme des fils de l’Inspecteur Harry, même volonté d’anéantir le mal, usant de procédés expéditifs en marge de l’institution policière. La relation entre Antonio et Alfredo est pour le moins ambigüe. Ils partagent tout, ils chevauchent la même moto, enquêtent, tuent, vivent sous le même toit, draguent et se partagent les conquêtes.

Dans une séquence hallucinante, Antonio et Alfredo se tapent à tour de rôle Lina (Sofia Dionisio/Flavia Fabiani), la sœur du chef mafieux, tout en poursuivant un interrogatoire. Flics modernes, grands enfants de la révolution sexuelle, ils refusent toutefois le plan à trois, ironiquement proposé par la secrétaire au QG. Il n’en reste pas moins, une forte dose de subversion dans l’attitude et le mode de vie des deux flics. Selon certaines sources, dans le scénario original de Fernando Di Leo, Antonio et Alfredo étaient homosexuels. Cette notion a été gommée par Deodato pour en faire des mâles dominants, des play-boys tous droits sortis d’un roman-photo.

L’idée du film réside dans la création d’un service spécial au sein de la police. Unité qui n’hésite pas à utiliser les mêmes méthodes que les organisations criminelles. Il ne s’agit pas d’une section parallèle comme dans Magnum Force, le 2e des Inspecteur Harry, mais intégrée. Deodato présente ce service à la manière d’un James Bond. Les deux flics à la place de 007, quant à la secrétaire, Norma (Silvia Dionisio), elle est bien plus coquine et libérée que Moneypenny. Il n’est donc pas étonnant de trouver à la tête du service spécial, le grand Aldolfo Celi, n° 2 du SPECTRE dans Opération Tonnerre (Thunderball, 1967). Le machisme des héros est taillé en pièces par Norma, c’est elle qui choisit ses partenaires (et le nombre), et qui leur donne une petite leçon : « Les femmes ont plus d’endurance que les hommes. Quand un homme ne peut plus, une femme peut encore avoir deux ou trois orgasmes… La suprématie masculine, c’est du flan. » Cet élan de féminisme inhabituel dans le genre est à mettre au crédit de Fernando Di Leo, qui poussera plus loin avec Avoir 20 ans, plus qu’à celui de Ruggero Deodato.

La marque de fabrique de Ruggero Deodato éclate dans les scènes d’action et de violence. De la course-poursuite en ouverture, en passant par la prise d’otages et les scènes de tortures, Deodato n’y va pas avec le dos de la cuillère. A tel enseigne que la censure italienne a exigé et obtenu des coupes (plan depuis disparu). Deodato, afin de démultiplier l’effet de ses scènes d’agression, opte pour un style documentaire avec la caméra portée. Cette façon de faire le rapproche de William Friedkin, d’ailleurs pour la petite histoire, la course-poursuite dans Rome a été réalisée (en partie) sans autorisation de tournage comme celle de French Connection. L’aspect urbain ainsi que l’authenticité des intérieurs sont un des points forts du fort.

Un autre point fort est son casting. Les protagonistes, des victimes aux petites frappes, ont la gueule de l’emploi. Renato Salvatori campe le monstrueux Pasquini, le parrain, avec son air toujours entre-deux, il fait froid dans le dos. Ces scènes sont découpées avec soin par Deodato, le plaçant systématiquement dans une position de toute puissance traduisant ainsi sa toxicité.

Antonio est incarné par Marc Porel, acteur français, trop tôt disparu dans l’enfer de la drogue. Il débute en France à 18 ans dans Un homme de trop (1967) de Costa-Gavras. Remarqué comme jeune premier prometteur, Marc Porel enchaîne les tournages, Le Clan des Siciliens (1969) d’Henri Verneuil avec Alain Delon, Jean Gabin et Lino Ventura, La Horse de Pierre Granier-Deferre avec Jean Gabin à nouveau, La route de Salina (1970) de Georges Lautner. Rapidement, il se retrouve en Italie, dont il parle couramment la langue. Luchino Visconti, le dirige dans Ludwig : le crépuscule des Dieux (1972), ainsi que dans son dernier film, le magnifique L’innocent (L’innocente, 1976). On limite souvent la carrière de Marc Porel à ces deux films, c’est évidemment réducteur oubliant au passage qu’il a fait une carrière de premier plan en Italie. C’est là qu’il retrouve Alain Delon pour l’excellent Big Guns (1973) de Duccio Tessari. Lucio Fulci, pas encore le pape du gore, fait appel à lui pour l’un de ses meilleurs films La longue nuit de l’exorcisme (Non si sevizia un paperino, 1972) et pour L’emmurée vivante (Sette note in nero, 1977) où il partage l’affiche pour la seconde fois avec Jennifer O’Neill après L’Innocent. Sa carrière oscille entre polar, érotique post-Malicia et films d’auteur. Avec Deux flics à abattre, Marc Porel atteint le sommet de sa notoriété en Italie.

Ray Lovelock est italien et contrairement à beaucoup d’acteurs de la péninsule, il s’agit vraiment de son nom. Sa mère était italienne et son père anglais. Il débute en 1967 dans un western mythique Tire encore si tu peux (Se sei vivo, spara) de Guido Questi, il y croise son ami Tomas Milan, les deux avaient fondé un groupe de rock au début des années 60. Il trouve un terrain de prédilection dans le poliziottesco, à partir de Brigade volante (Squadra volante, 1974) de Stelvio Massi avec Tomas Milian. Durant cette courte période, il enquille des classiques du genre La rançon de la peur (Milano odia : la polizia non puo sparare, 1974) d’Umberto Lenzi, Rome violente (Roma violente, 1975) de Mariano Girolami. Puis, il est alors happé par le cinéma d’horreur, parmi ceux-ci le macabre Frissons d’horreur (Macchie solari, 1975) d’Armando Crispino. Avec l’effondrement du cinéma italien, Lovelock poursuit sa carrière à la télévision.

Pièce essentielle du genre, Deux flics à abattre était resté inédit en France, cette lacune est enfin comblée. Il est considéré comme le polizittesco le plus violent de l’histoire, et pour Quentin Tarantino, l’un des meilleurs. Un must du polizittesco.

Fernand Garcia

Deux Flics à abattre, une édition combo (DVD+Blu-ray+Livret) et en édition métal limitée chez Eléphant Films, avec en compléments : Le film par Gérard Duchaussoy et Romain Vandestichele « un film très violent et enfantin par d’autres aspects » un regard croisé, dans la limite d’un discours callé sur des critères de notre époque, parfois assez maladroit (21 minutes). Violent Cops, documentaire sur le Deux flics à abattre, avec des interviews de Ruggero Deodato, Al Cliver, Ray Lovelock, etc. le film par ceux qui l’ont fait (40 minutes). Ruggero Deodato : ses publicités commentées, intéressante mise en perspective de véritables petits films (publicitaires) par Deodato. Il a signé, selon ses dires, plus 1500 pubs (autant qu’un autre stakhanovitch : Ridley Scott), un document rare (19 minutes). La bande-annonce d’époque (en anglais) de Deux flics à abattre (4 minutes), et des autres films dans la collection Les années de plomb : La trilogie du milieu, Colère noire et Mister Scarface. Et enfin, Eléphant films ajoute un livret : Les années de plomb par Alain Petit (24 pages).

Deux Flics à abattre (Uomini si nasce poliziotti si muore), un film de Ruggero Deodato avec Marc Porel, Ray Lovelock, Adolfo Celi, Franco Citti, Silvia Dionisio, Renato Salvatori, Marino Masè, Flavia Fabiani (Sofia Dionisio), Gina Mascetti, Marcello Monti, Tom Felleghy, Alvaro Vitali… Sujet : Fernando Di Leo, Alberto Marras et Vincenzo Salviani. Scénario : Fernando Di Leo. Directeur de la photographie : Guglielmo Mancori. Décors : Franco Bottari. Montage : Gianfranco Simoncelli. Musique : Ubaldo Continiello. Producteurs : Alberto Marras et Vincenzo Salviani. Production : C.P.C. Citta di Milano S.r.l. – T.D.L. Cinematografica S.r.l. Italie. 1976. 96 minutes. Telecolor. Format image : 1,85 :1. Son : Version originale italien ou anglaise avec ou sans sous-titres français DTS-HD MA 2.0.