Coup de chance – Woody Allen

Le dieu du hasard, s’il existe, a parfois le don pour modifier les destins. Alain (Niels Schneider) et Fanny (Lou de Laâge) s’étaient perdus de vue. Ils se rencontrent dans la rue de Paris. Il rentre chez lui, elle va à son travail.  Ils échangent les banalités habituelles. Rapidement, ils évoquent, leur passé, il est à Paris pour quelque temps afin de mettre la dernière main à son roman. Elle s’est remariée après un premier mariage malheureux. Alain la trouve toujours aussi séduisante, et fut sincèrement attiré, chose qu’il n’avouait jamais osé lui dire. Ils se quittent avec la promesse de se revoir. Le vent aurait dû emporter leurs paroles et ils auraient dû s’en retourner à leurs vies. Alain va forcer le destin. Ils vont se revoir…

Coup de chance débute par un magnifique plan en mouvement qui finit par enfermer Fanny et Alain dans un cercle. Ce superbe plan dans la rue anticipe sur le mouvement général du film. Woody Allen est le Deus ex machina invisible de Coup de chance. Sa mise en scène alliée à son sens de l’écriture, du dialogue juste, de la construction rigoureuse, des bifurcations surprenantes, du « magique » se retrouvent dans ce 50e film. Pour la première fois de sa carrière, Woody Allen tourne dans une autre langue, le français. Le phrasé est différent de l’anglais, les phrases sont plus longues, ce qui ralentit dans une certaine mesure les scènes, difficultés que Woody Allen surmonte sans le moindre problème.

Le film s’installe, comme lors d’une histoire d’amour naissant, avec ses hésitations, ses arrêts et ses redémarrages. Alain est attiré par Fanny, il l’aime depuis leurs années d’études. Il s’était « épris » d’une autre camarade de classe, un amour de substitution. Son couple ne pouvait ternir dans le temps. Alain a fini par se séparer. De son côté, Fanny n’avait jamais fait attention à Alain, lui trouvant du charme sans aller au-delà. Après cette rencontre de hasard, Fanny est au fur et à mesure de leurs rencontres, séduite par Alain. Elle est troublée par sa sincérité et ses « aveux ». La parole a un encore un pouvoir, celui de faire basculer les êtres. Cela peut sembler désuet et pourtant, les histoires d’amour, heureux ou malheureux, s’étalent encore dans les journaux ou sur les pages d’accueil des serveurs Internet.

Le coup de chance semble être cette rencontre entre Fanny et Alain. Si la sincérité des mots d’Alain charme Fanny, il en va différemment pour Jean (Melvil Poupaud), son mari. Les mots de Jean traduisent un vide sentimental profond. Fanny n’est rien d’autre qu’un trophée. Fanny nage dans un ennui bourgeois sans fin. La répétition à l’infini d’une routine d’ultra-riche. Alain a pour métier de rendre les riches encore plus riches via l’optimisation fiscale et autres systèmes d’enrichissement. Comme tout homme à la limite de la légitimité, Jean est soupçonneux. Tandis que Fanny se libère petit à petit de l’emprise de Jean et se laisse aller à une aventure extraconjugale, son mari devine la présence d’un amant. Il réagit alors avec ses armes.

Woody Allen sait faire basculer ses récits, tordre le cou aux convenances et aux archétypes. On pourrait croire à une nouvelle version de Match Point, chef-d’œuvre réalisé en Grande-Bretagne, il n’en est rien. Au fur et à mesure que l’histoire progresse, l’aspect faussement romantique s’éloigne. L’aspect burlesque avec l’introduction des tueurs se métamorphose en une sorte de pathétique, la dernière partie vire de thriller cynique. Parce que le film se déroule en France, on pense parfois à Claude Chabrol pour son traitement de la bourgeoisie française dans la dernière partie. Mais aussi à François Truffaut avec l’utilisation de la société de détective, mais c’est aussi une constante chez Woody Allen.

Il introduit un personnage étonnant de détective, au physique et à la dégaine d’homme, mais présenté comme une femme, ce que confirme sa voix. Ce personnage, qui va suivre le couple illégitime, va s’accélérer le récit et conduire les protagonistes au malheur. Mais sur un dernier coup du destin, dont la probabilité est phénoménale, le monde rentre dans un nouvel ordre, sur la base d’autre malheur. Nous ne sommes que des pantins à la dérive sur l’océan des sentiments semblent nous murmurer Woody Allen.

L’adultère parcourt l’œuvre de Woody Allen, aussi bien au cinéma qu’au théâtre. Les couples illégitimes sont l’un des moteurs de ses histoires, soit l’élément principal soit l’élément secondaire de l’intrigue. Woody Allen aborde à chaque l’infidélité de manière différente, comique, pathétique, douloureuse, sentimentale, etc. Le couple dans ses films est loin des niaiseries de la comédie romantique.   

Woody Allen collabore une nouvelle fois avec Vittorio Storaro à la photographie. L’image est somptueuse. L’utilisation des zones de couleur (bleu – jaune) à l’intérieur de l’appartement d’Alain et Fanny renvoie avec celui du couple William et Alice d’Eyes Wide Shut. Au cours de ses longues années de gestation, Stanley Kubrick avait envisagé de confier le rôle du médecin new-yorkais à Woody Allen, avant qu’il n’aboutisse au couple Tom Cruise – Nicole Kidman.

Tout au long de sa carrière, Woody Allen a eu de longues et fructueuses collaborations avec ses directeurs de la photographie, Gordon Willis (Annie Hall, Manhattan, Zelig, etc.), Sven Nykvist (Crimes et délits, Celebrity), Carlo Di Palma (Hannah et ses sœurs, Alice, Maris et femmes, Tout le mode dit I Love You, etc.), depuis 2016 et Café Society, Vittorio Storaro, est son directeur de la photographié attitré. Coup de chance est leur cinquième film. Vittorio Storaro n’est plus à présenter. L’un des plus grands, Le Conformiste, Le dernier Tango à Paris, 1900, Le dernier Empereur, Apocalypse Now, Reds… sont quelques-uns de ses titres les plus célèbres.

Le trio de Coup de Chance est composé d’un quatuor : Lou de Laâge, Niels Schneider, Melvil Poupaud et Valérie Lemercier, excellents.

Lou de Laâge découverte au début des années 2010, poursuit un chemin dans le cinéma d’auteur et la comédie romantique. Anne Fontaine, lui confie le rôle principal des Innocentes (2016) puis dans l’étrange Blanc comme neige (2019) avec Isabelle Huppert. Elle donne la réplique à son futur partenaire de Coup de chance, Niels Schneider dans Le Cahier noir (O Caderno Negro, 2018) de Valeria Sarmiento adaptation du roman de l’auteur portugais Camilo Castelo Branco. Le thriller, Boîte noire de Yann Gozlan avec Pierre Niney, est un succès qui permet à Lou de Laâge d’élargir son public. L’avenir nous dira si Coup de chance est un tournant dans sa jeune carrière. Toujours est-il que Lou de Laâge est une des actrices les plus talentueuses de la jeune génération.

Niels Schneider est un acteur franco-canadien. Il est remarqué dans J’ai tué ma mère (2009) de Xavier Dolan, avant de faire sensation dans Les amours imaginaires (2010). Schneider est un des acteurs « fétiches » de Xavier Dolan. Il répond à des propositions du cinéma. Il obtient le César du meilleur espoir masculin dans l’un des meilleurs polars français de ces dernières années, Diamant noir (2016) d’Arthur Harari. Le film ne rencontre pas son public, mais la carrière de Niels Schneider est sur de bons rails. Saint-Just dans Un roi et son peuple (2018) de Pierre Schoeller, Pierre Louÿs dans Curiosa (2019) de Lou Jeunet, ex-amoureux de Sibyl de Justine Triet, autre rôle marquant dans Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait (2020) d’Emmanuel Mouret. Niels Schneider est un des acteurs les plus demandés du cinéma français.

Melvil Poupaud débute enfant dans les films de Raul Ruiz. Il tourne sous sa direction pour la première fois dans La ville des pirates (1983) s’ensuivront une dizaine de films et peut-être encore tant la filmographie de Ruiz reste encore un continent à défraîchir. La Fille de 15 ans (1989) de Jacques Doillon et L’Amant (1992) de Jean-Jacques Annaud, attire encore plus l’attention du jeune acteur. Il partage l’affiche du méconnu A la belle étoile (1994) d’Antoine Desrosières avec une jeune génération d’acteurs et actrices : Mathieu Demy, Julie Gayet et Chiara Mastroianni (sa compagne de l’époque). Poupaud enchaîne les films, son visage devient familier des spectateurs des salles arts et essais. Il entre dans l’univers d’Eric Rohmer avec Conte d’Eté (1996).

Le Divorce d’après Diane Johnson (cosénariste de Shining) réalisé de James Ivory est une nouvelle incursion dans le cinéma international. Le temps qui reste (2005) est son premier film sous la direction de François Ozon, il deviendra un de ses acteurs fétiches. Il est de plus en plus demandé, on le retrouve à l’affiche d’Un Conte de Noël (2008) d’Arnaud Desplechin ou Speed Racer (2008) des trans Wachowski. Il retrouve Raul Ruiz pour le merveilleux Mystères de Lisbonne (film et mini série, 2011) adapté de Camilo Castelo Branco. Laurence Anyways (2012) de Xavier Dolan, qui traite de la transidentité est un tournant dans la carrière de Melvil Poupaud. Il incarne maître Labori dans le remarquable, J’accuse (2019) de Roman Polanski. En 2023, il est le Comte du Barry dans Jeanne du Barry de et avec Maïween et Johnny Depp.

Valérie Lemercier accède à une certaine notoriété avec la série humoristique Palace de Jean-Michel Ribes. Elle débute au cinéma sous la direction de Louis Malle dans l’excellent Milou en mai (1988). Elle réussit une petite performance en incarnant une femme dans la cinquantaine, alors qu’elle n’a qu’une petite vingtaine d’année. Valérie Lemercier crée un one-woman-show qui rencontre un énorme succès. Elle refuse toute captation de ses spectacles. Elle aligne les seconds rôles dans des comédies populaires, Le bal des casse-pieds (1992) d’Yves Robert, L’opération Corner Beef (1993) de Jean-Marie Poiré avec Jean Reno et Christian Clavier, trio qu’elle retrouve pour Les Visiteurs, un véritable triomphe avec plus de 13 millions de spectateurs.

Son personnage de bourgeoise coincée, Frénégonde de Pouille, lui rapporte le César de la meilleure actrice dans un second rôle. Elle refuse de reprendre le rôle dans Les couloirs du temps : les visiteurs 2 (1998). Muriel Robin en hérite, hélas le résultat est médiocrement. Si Lemercier aligne les succès et les récompenses au théâtre, sa carrière au cinéma est plutôt en demi-teinte. Elle passe à la réalisation avec Quadrille (1997) d’après Sacha Guitry. Le Derrière (1999), sur les clichés homosexuels, est drôle et touchant. 100% cachemire est un échec à tout point de vue, l’ironie se transforme en méchanceté envers les pauvres. Le remontage du film n’y change rien.

Marie-Francine en 2017 passe inaperçu. Elle revient en meilleure forme avec une vraie – fausse bio de Céline Dion, Aline (2021). Sa performance est récompensée par le César de la meilleure actrice. Valérie Lemercier incarne dans Coup de chance, la mère de Fanny, femme excentrique, embringuée dans une drôle d’enquête policière. Lemercier s’inscrit dans la tradition des actrices, Dianne Wiest, Diane Keaton, etc., avec talent. La réussite de la distribution serait totale si Woody Allen avait trouvé mieux pour les seconds français. Hélas, ils leur manquent ce fonds d’originalité que l’on trouve chez les acteurs anglo-saxons, en peu de mot, ils manquent de consistance.

Woody Allen a déclaré que Coup de chance était son dernier film. Dans cette dernière décennie, Allen a réalisé quelques films remarquables, peut-être même quelques chefs-d’œuvre, Minuit à Paris (2011), Blue Jasmine (2013), L’homme irrationnel (2015), Wonder Wheel (2017). A 86 ans, Woody Allen est à la tête d’une des plus belles filmographies du cinéma américain, il est bon de l’écrire et de le rappeler à nouveau.

Fernand Garcia

Coup de chance, un film de Woody Allen avec Lou de Laâge, Niels Schneider, Melvil Poupaud, Valérie Lemercier, Grégory Gadebois, Anna Laik, Yannick Choirat, Elsa Zylberstein, Arnaud Viard, Samantha Fuller, Benoît Forgeard, Sâm Mirhosseini, Jamel Elgharbi… Scénario : Woody Allen. Directeur de la photographie : Vittorio Storaro. Décors : Véronique Melery. Costumes : Sonia Grande. Montage : Alisa Lepselter. Productrices : Letty Aronson & Erika Aronson. Coproduction : Dippermouth – Perdido Productions – Petite Fleur Productions. Production : Gravier Productions. Distribution (France) : Metropolitan Films (sortie le 27 septembre 2023). Etats-Unis. 2022. 93 minutes. Format image : 2.00 :1. DCP. Tous Publics. Sélection officielle – Hors compétition – Festival de Venise, 2023.