Contronatura – Antonio Margheriti

Contronatura est une véritable rareté, il est signé par un des grands noms du cinéma Bis italien, Antonio Margheriti. Le film s’inscrit pleinement dans le cinéma gothique avec sa nuit sous une pluie diluvienne, son hôtel délabré, ses personnages un pied dans la tombe et ce brin d’érotisme pervers qui fait le charme du genre.

Contronatura

L’histoire se déroule en Angleterre, terre d’élection du gothique, dans les années 20. Elle met aux prises un groupe de notables avec une mère medium en état de transe et son fils, Uriat. Les arrivants sont invités à prendre place à la table de la médium. Une séance de spiritisme débute, et les secrets les plus inavouables vont surgir du fond des ténèbres…

Marianne Koch ContronaturaMargheriti met en place une ambiance poisseuse. Si toute l’histoire tourne autour d’Archibald, dont la soif de richesse est intarissable, il articule toutefois son intrigue autour de la personnalité de Vivian (Marianne Koch). Lesbienne, elle a des regards qui ne laissent place à aucune ambiguïté. Autour d’elle, les hommes, de riches notables, pour lesquels elle travaille, l’acceptent sans broncher. Elle est en tout point fascinante : ses tenues à la garçonne, son attitude hautaine et sa manière d’être à l’égal de ceux, pour qui elle travaille. Le titre rappelle que les amours lesbiens étaient considérés en ces temps lointains comme « contre nature ». A fleur de peau, elle est d’une jalousie extrême et c’est cette fragilité qui donne toute sa beauté au personnage.

Margaret (Dominique Boschero) est son pendant hétérosexuel. Autant blonde que l’autre est brune, c’est une femme libre de la belle époque. Elle choisit ses amants autant par plaisir que par intérêt, c’est une intrigante. Sous le regard « jaloux » de Vivian, Margaret a une aventure avec Alfred (Claudio Camaso), le secrétaire d’Archibald. Margheriti la présente comme la concubine d’Archibald. Scénaristiquement il était impossible de faire de Margaret et d’Archibald un couple marié, une femme mariée ne peut avoir d’aventure extra-conjugale.

Marianne Koch Dominique Boschero

Revenons au film, dans ce petit monde de notables, la réussite passe avant tout par la propriété privée. Ce qui motive les personnages masculins est la signature par Archibald (Joachim Fuchsberger) d’un acte de propriété, les escapades sentimentales ne sont que des plaisirs périphériques. Tout est jeu. Des jeux d’argent et des jeux de l’amour qui parfois se confondent. Ainsi Margaret vole facilement, Alfred a une autre femme, il est vrai, que celle-ci était d’une classe sociale inférieure. Margaret peut lui promettre bien « plus » que du sexe. Elle est l’échelle plaisante qui mène Alfred au succès dans la haute société. Mais au jeu, il y a parfois des combinaisons étranges. Ambitieuse et manipulatrice, Margaret succombe presque au charme de Vivian, mais au dernier moment se refuse à elle. Vivian n’a rien à lui apporter.

De leurs côtés, les hommes sont obnubilés par les jeux d’argent et de pouvoir. Ils sont capables de toutes les tromperies, les amitiés ne sont que de façade. Les cartes vont s’abattre et les masques de l’hypocrisie tomberont au fur et à mesure des révélations de la médium. Margheriti met en scène une nuit de cauchemar à l’issu apocalyptique.

Helga Anders, Marianne Koch

Contronature fonctionne sur des flashbacks, qui petit à petit révèlent toutes les frustrations (sexuelles) et duperies des bourgeois. De manière élégante, Margheriti relie les personnages les uns aux autres. Ainsi le premier flash-back, alors que les personnages prennent place à l’intérieur d’une voiture, qui débute sur le visage d’Alfred, c’est son histoire que nous suivons, avant que celui ne passe le relais à Vivian. Margheriti se permet ainsi au cours du flash-back de changer de point de vue. C’est tout à la fois habile et sophistiqué.

Avec ces flashbacks, Margheriti se permet des glissements dans le temps non seulement de plusieurs mois, mais aussi, et cela est surprenant, de quelques minutes. Ainsi le récit d’Uriat (Alan Collins/Luciano Pigozzi) passe d’une situation présente à un moment qui précède l’arrivée du petit groupe. Ce saut dans le temps est porté par la voix d’Uriat et se termine sur un zoom arrière des flammes d’un feu de cheminée, « les flammes de l’enfer », au visage de la médium (Marianne Leibl). Ce plan est annonciateur de ce qui attend les protagonistes.

Marianne Leibl

Contronatura est un grand film gothique, il est vrai que le cinéaste transalpin avait connu de beaux succès dans le genre avec La Vierge de Nuremberg (La Vergine di Norimberga, 1963) et Danse macabre (Danza macabra, 1964), quand il entreprend en 1969 la réalisation de Contronatura. Le film devait lui tenir particulièrement à cœur puisque Margheriti en signe seul le scénario et en est coproducteur avec ses partenaires allemands. Il s’y investit totalement, sa mise en scène est particulièrement soignée. Quant à la distribution, composée principalement d’acteurs italiens et allemands, elle est remarquable.

Côté féminin, elle est dominée par Marianne Koch dans le rôle de Vivian. Découverte dans Pour une poignée de dollars de Sergio Leone, elle est renversante de beauté froide, c’est l’une de ses meilleures interprétations. Il en va de même pour Dominique Boschero que Magheriti avait déjà dirigée dans La flèche d’or en 1962. Elle incarne une arriviste avec ce qu’il faut de perversité et de fausse naïveté. Signalons enfin Helga Anders dans le rôle court mais important d’un amour rebelle et tragique de Vivian.

Joachim Fuchsberger, Claudio Camaso, Dominique Boschero,

Côté masculin, Joachim Fuchsberger, l’une des grandes figures des films policiers allemands (les fameux Krimi), impose sans problème son autorité dans la peau d’un personnage totalement antipathique. Quant à Claudio Camaso, sa ressemblance avec son frère Gian-Maria Volonté est si frappante que l’on a parfois l’impression de voir l’acteur d’Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon. Enfin, Luciano Pigozzi (Alan Collins), un habitué du cinéma de Margheriti, est excellent dans la peau du fils de la médium.

Malheureusement, Contronatura est un échec commercial en Allemagne et en Italie, sa distribution à l’international s’en voit ainsi fortement réduite. Coincé dans la filmographie d’Antonio Margheriti entre deux westerns, Avec Django, la mort est là (1968) et le formidable Et le vent apporta la violence (1970), Contronatura tombe dans les oubliettes du 7e art. Film gothique à la lisière du drame à la D.H. Lawrence et du polar, Contronatura est une petite perle par l’un des maîtres du genre, à découvrir…

Fernand Garcia

Contronatura-3DContronatura est édité en DVD par Artus Films avec en compléments : Des cris dans la nuit, un retour instructif sur le film de Margheriti par Alain Petit, un diaporama des affiches et photos d’exploitation du film et enfin, les bandes-annonces de Contronatura mais aussi des autres films de la collection Les chefs-d’œuvre du Gothique (Le manoir maudit, Vierges pour le bourreau, L’effroyable secret du docteur Hitchcock, Le château des messes noires).

Contronatura (The Innaturals/Schreie in Der Nacht) un film d’Anthony M. Dawson (Antonio Margheriti) avec Joachim Fuchsberger, Dominique Boschero, Marianne Koch, Claudio Camaso, Alan Collins (Luciano Pigozzi), Helga Anders, Marianne Leibl… Scénario : Antonio Margheriti. Directeur de la photographie : Riccardo Pallottini.Décors : Fabrizio Frisardi. Montage : Otello Colangeli. Musique : Carlo Savina. Producteurs : Artur Brauner – Franco Ciferri – Antonio Margheriti. Production : CCC (Central Cinema Company Film) – Edo Cinematografica – Super International Pictures. Italie – Allemagne. 1969. 87 mn. Couleurs. Cromoscope. Format 2.35 original respecté. 16/9ème compatible 4/3. Versions : italien, allemand. Sous-titres : français.