« Après que les océans eurent englouti l’Atlantide et avant l’avènement des fils d’Arius, il y eut une époque inouïe, où des royaumes étincelants s’étendaient à travers le monde. Alors vint Conan, le Cimmériens, une épée à la main… » Alors que Conan (Arnold Schwarzenegger) se recueille sur un autel dédié à la mémoire de Valeria, son amour perdue, des hommes arrivent pour le capturé. Le combat tourne à l’avantage de Conan, quant la Reine Taramis (Sarah Douglas) sonne la fin des combats. Par la sorcellerie, elle fait apparaître sur l’autel dans des flammes le corps de sa bien-aimée. Elle propose à Conan de ressusciter Valeria en échange de son aide…
Conan le barbare (Conan the Barbarian, 1982) marque une étape décisive dans l’histoire de l’heroic fantasy au cinéma. Réalisé par John Milius, le film restitue l’esprit des récits de Robert E. Howard, créateur du barbare cimmérien, tout en y intégrant des inspirations personnelles venues de Friedrich Nietzsche, du cinéma japonais ou encore de la mythologie nordique. Le succès est considérable, aussi bien aux États-Unis que dans le reste du monde, et consacre Arnold Schwarzenegger dans un rôle désormais indissociable de son image. Fort de ce triomphe, Dino De Laurentiis et Universal décident de lancer une suite. Mais, soucieux d’élargir le public, les producteurs choisissent d’atténuer la violence et la dimension brutale du premier film. Cette orientation déplaît autant à John Milius qu’à Arnold Schwarzenegger. Le réalisateur se retire du projet, tandis que l’acteur, lié par contrat à De Laurentiis, n’a pas la possibilité de s’en dégager.

Dino De Laurentiis songe d’abord à Roger Donaldson, finalement mobilisé sur Le Bounty en remplacement de David Lean. John Milius, qui avait lui-même trouvé une inspiration dans l’épopée réaliste et sanglante des Vikings (1958), et la productrice Raffaella De Laurentiis, recommandent alors Richard Fleischer. Ce dernier est un proche du producteur, avec qui il a déjà collaboré en Italie sur l’un des meilleurs péplums des années 1960, Barabbas (1961), puis aux États-Unis sur Mandingo (1975), anti-Autant en emporte le vent radical et Amityville 3D (1983). Avec Fleischer, le projet prend une orientation claire : offrir un divertissement calibré pour un public familial, loin de la noirceur initiale de Milius.
Mais Richard Fleischer est un cinéaste d’expérience : même lorsqu’il se trouve aux commandes d’un film du plus important studio indépendant conçu pour répondre à un cahier des charges, il parvient à glisser en contrebande un grand nombre d’images et d’idées personnelles. Si Conan le Destructeur (Conan the Destroyer, 1984) s’apparente davantage à une bande dessinée qu’au récit mythologique et sombre de Milius, Fleischer le parsème de touches érotiques particulièrement bienvenues, servies par des costumes splendides. Les costumes riquiquis de cuir de Grace Jones, les robes échancrées ou couleur chair de Sarah Douglas, les tenues étranges d’Olivia d’Abo qui mettent en valeur sa silhouette : ces costumes couvrent tout en suggérant les formes. À cela s’ajoute une véritable esthétisation du muscle, incarnée par le corps d’Arnold Schwarzenegger, magnifiquement sculpté par la lumière.

Ce culte du corps passe avec une fluidité remarquable grâce au savoir-faire de Fleischer, qui ne s’appesantit jamais sur une scène. Son sens du rythme entraîne le spectateur d’une séquence à l’autre, sans laisser place à l’ennui : le spectacle est total. À la photographie, Fleischer retrouve son vieux complice Jack Cardiff, avec qui il avait déjà collaboré sur Les Vikings. Le résultat est splendide : Conan le Destructeur esthétiquement superbe, porté par des extérieurs d’une beauté saisissante. Évidemment, l’approche de Fleischer éloigne Conan le Destructeur de la dimension « nietzschéenne » du premier film. Le cinéaste ajoute des touches comiques, comme le gag du chameau qui reconnaît Conan et lui crache au visage — clin d’œil direct au film de Milius — ou encore des répliques volontairement ironiques :
– « Pourquoi ils ne nous tuent pas ? »
– « Pour nous capturer et nous torturer à mort. »
Cette veine humoristique n’est pas nouvelle chez Fleischer. Quelques années plus tôt, il avait déjà injecté un second degré réjouissant dans l’excellent Mister Majestyk (1974), polar écrit par Elmore Leonard, où Charles Bronson incarnait un agriculteur de pastèques en guerre contre des racketteurs. Malgré cet assouplissement du ton, Fleischer reste fidèle au monde protohistorique de Conan, avec ses hordes de barbares, ses sorcières maléfiques, ses créatures monstrueuses et sa violence ritualisée. Les combats à l’épée demeurent sanglants, mais dans une mesure contrôlée : le réalisateur a dû couper certains plans trop gore, même si quelques éclaboussures subsistent, heureusement.

Le récit repose sur un scénario signé Roy Thomas et Gerry Conway, deux scénaristes issus des comics et grands admirateurs de Robert E. Howard. Roy Thomas, passionné de bandes dessinées depuis l’enfance, débute chez DC Comics en 1965 avant de rejoindre Marvel, où il devient le bras droit de Stan Lee puis son successeur au poste de rédacteur en chef. En 1970, il lance l’adaptation en comic book des aventures de Conan, magnifiquement illustrées par Barry Windsor-Smith, qui rencontrent un immense succès. Gerry Conway, qu’il recrute peu après, participe lui aussi à cette aventure éditoriale. Entré chez Marvel en 1970, il contribue à forger l’identité moderne de Spider-Man durant les années 1972-1975, période souvent qualifiée d’« âge d’or » pour le personnage. Il travaille ensuite pour DC Comics sur Justice League en 1975, avant de revenir à Marvel.
Le duo Thomas/Conway signe son premier scénario de cinéma pour Tygra, la glace et le feu (Fire and Ice, 1983), film d’animation réalisé par Ralph Bakshi avec la collaboration graphique du légendaire Frank Frazetta. À la suite de ce projet, le producteur Edward R. Pressman les engage pour écrire Conan le Destructeur. Dino De Laurentiis rejette la première version du scénario de Thomas et Conway. Traduit de l’anglais à l’italien, le texte lui semble trop sombre et pas assez « grand public », ni assez drôle. Le producteur fait alors appel à Stanley Mann, qui vient de terminer pour lui l’adaptation de Firestarter d’après Stephen King.
Scénariste chevronné, Stanley Mann s’était déjà illustré par plusieurs adaptations littéraires ambitieuses : L’Obsédé (The Collector, 1965) de John Fowles porté à l’écran par William Wyler ; Cyclone à la Jamaïque (A High Wind in Jamaica, 1965) d’après Richard Hughes, réalisé par Alexander Mackendrick ; L’Arme à l’œil (Eye of the Needle, 1981) d’après Ken Follett pour Richard Marquand ; ou encore Damien, la malédiction II (Damien: Omen II, 1978), suite du classique horrifique de Richard Donner. Mann réécrit le scénario de Conan le Destructeur, ce qui entraîne rapidement un conflit ouvert entre Thomas et Conway et le producteur italien. Les deux scénaristes soupçonnent De Laurentiis d’avoir volontairement modifié le contrat afin de récupérer les droits d’éventuelles suites, leurs engagements initiaux ayant été passés avec Edward R. Pressman. Finalement, Roy Thomas et Gerry Conway ne conservent qu’un crédit : celui de l’« histoire » au générique, tandis que Stanley Mann est reconnu comme scénariste principal.

À la demande de Richard Fleischer, Arnold Schwarzenegger prend encore du poids et du muscle pour incarner Conan. Plus massif et imposant que dans le premier film, il apparaît comme une véritable statue vivante, incarnation idéale du héros barbare. Mais cette transformation physique ne sert pas seulement à renforcer la dimension spectaculaire du personnage : Fleischer encourage Schwarzenegger à jouer davantage sur le second degré, à assumer un humour discret qui naît du contraste entre sa carrure colossale et certaines situations absurdes ou ironiques. Cette orientation constitue une étape importante dans l’évolution de l’acteur. Alors que dans Conan le Barbare il restait marqué par une interprétation monolithique et essentiellement physique, Conan le Destructeur lui permet d’expérimenter une approche plus nuancée, où la force brute s’accompagne d’un soupçon d’autodérision. Schwarzenegger approfondira cette veine au fil de ses films suivants, jusqu’à en faire l’une des marques de fabrique de son jeu, notamment dans ses collaborations avec James Cameron et dans les comédies d’action qui jalonneront sa carrière.
Avec Conan le Destructeur, Richard Fleischer signe un grand spectacle populaire, esthétiquement somptueux et narrativement limpide. Le film offre une succession de scènes d’action d’une efficacité redoutable, servies par un sens du rythme impeccable et par une mise en scène qui allie souffle épique et touches d’ironie. Fleischer réussit à imposer une vision personnelle dans les limites d’un divertissement calibré pour le grand public. Film de commande devenu, entre les mains d’un maître artisan, une fresque épique et colorée, Conan le Destructeur s’impose aujourd’hui comme un jalon dans l’histoire de l’heroic fantasy au cinéma.
Fernand Garcia

L’édition proposée par BQHL (Blu-ray ou DVD) s’impose comme une véritable référence pour les amateurs de Conan le destructeur. Elle réunit une pléthore de suppléments aussi variés que passionnants. On y trouve d’abord un commentaire audio de Richard Fleischer, riche en détails sur la fabrication du film, ainsi qu’un second commentaire d’Olivia d’Abo et Tracey Walker, plein d’anecdotes savoureuses (VOSTF). À cela s’ajoutent plusieurs documents : Conan, une BD légendaire portée à l’écran, de la bande dessinée au cinéma, « Pour moi, Conan, c’est Robert E. Howard au sommet de son art » (Roy Thomas), entretien avec Roy Thomas et Gerry Conway (14’). La saga de Conan par Basil Poledouris « La musique doit transparaître tout le long du film et rappeler constamment au public qu’il s’agit d’une mythologie qui existe depuis l’aube des temps » retour sur la création de la musique de Conan par son compositeur (17’). Un présentation du film par Stéphane Moïssakis (22’). Une analyse de la musique du film par Olivier Desbrosses, de Total Trak (17’). Une édition soignée, à la fois érudite et divertissante, qui rend pleinement justice au film et à son univers.
Conan le destructeur (Conan the Destroyer), un film de Richard Fleischer avec Arnold Schwarzenegger, Grace Jones, Wilt Chamberlain, Mako, Tracey Walker, Olivia d’Abo, Sarah Douglas, Pat Roach, Jeff Corey, Ferdinand Mayne… Scénario : Stanley Mann. Histoire de Roy Thomas et Gerry Conway d’après les personnages de Robert E. Howard. Directeur de la photographie : Jack Cardiff. Décors : Pier Luigi Basile. Costumes : John Bloomfield. Dagoth créé par Carlo Rambaldi. Montage : Frank J. Urioste. Musique : Basil Poledouris. Productrice : Raffaella De Laurentiis. Production : Dino De Laurentiis Company – Edward R. Pressman – Universal Pictures. États-Unis. 1984. 1h41. Technicolor. Format image : 2,35:1. Son : Version originale sous-titrées en français et en Version française. Dolby True HD 5.1 et 2.0. Tous Publics.