Cat Ballou – Elliot Silverstein

« Mes amis, prêtez l’oreille et écoutez cette merveille La Balade de Cat Ballou, le professeur Samuel Shade (Stubby Kaye) et Sunrise Kid (Nat King Cole) la chante pour vous. C’est le jour de la pendaison à Wolf City, Wyoming. On est en 1894.  Ils vont faire passer Cat Ballou (Jane Fonda) à la trappe de la potence. Elle a tué un homme, et c’est pourquoi ils vont l’exécuter… » Comment la jeune et jolie Catherine Ballou en est-elle arrivée-là ? Quelques mois auparavant, dans le train à destination de Sumpqua, Catherine rencontre d’un séduisant bandit Clay Boone (Michael Callan), aussi pieux qu’un cochon, et un pasteur, Jed (Dwayne Hickman), rond comme une barrique…

La belle idée de Cat Ballou est de ponctuer l’histoire par deux troubadours incarnés par Stubby Kaye et Nat ‘King’ Cole. Ils narrent en chansons l’itinéraire édifiant de Cat Ballou. L’autre est d’avoir confié un double rôle cartoonesque à Lee Marvin, la seule comédie de sa carrière. Mais revenons à l’origine du film. Il s’agit de l’adaptation d’un roman « sérieux » de Roy Chanslor, l’auteur de Johnny Guitar. Au fil des écritures, le scénario va s’éloigner du roman et s’orienter vers une fantaisie burlesque loin du roman de Roy Chanslor.

Frank R. Pierson est le 11ème scénariste à intervenir sur le script. Il reprend le script des mains de Walter Newman, qui avait eu l’idée de sortir le scénario du carcan d’un film chanté à la « Gene Autry », célèbre cow-boy chantant, pour en faire une comédie. Pierson poursuit son travail et oriente définitivement le film sur la piste de la pure comédie loufoque. Pierson a de l’expérience (beaucoup de séries TV), mais Cat Ballou est son premier scénario porté à l’écran.

Frank Romer Pierson débute dans la publicité avec l’ambition de devenir scénariste.  Sa mère Louise Randall Pierson, avait durant la Seconde Guerre mondiale, écrit un roman à succès Roughly Speaking, porté à l’écran en 1945. L’histoire de ce roman semi-autobiographique racontait la guerre du point de vue de ses trois enfants engagés dont Frank R. Pierson. De retour de la guerre, Pierson envisage une carrière dans l’écriture, mais avant de vivre de sa plume, végète dans une agence de pub, où il aligne les slogans. La chance lui sourit, Pierson vend un premier script à Goodyear Television Playhouse en 1951 pour une dramatique d’une demi-heure Point of Impact que réalise Arthur (Love Story) Hiller en 1959 ! Pierson écrit à plein temps et petit à petit fait son trou à la télévision. En ces temps de boom de la production télévisuelle, Pierson est producteur de 51 épisodes de la série western Have Gun – Will Travel (1957), un méga-succès d’audience avec Richard Boone.

L’énorme succès de Cat Ballou lance la carrière de Frank R. Pierson au cinéma. Il retrouve aussitôt Elliot Silverstein pour son film suivant : Les détraqués (The Happening, 1967), une comédie policière avec Anthony Quinn et Faye Dunaway. Et surtout, il coscénarise de l’un des meilleurs polars de la fin des années 60 : Luke la main froide (1968) avec Paul Newman et George Kennedy, réalisé par Stuart Rosenberg. Pierson a de l’ambition, il passe à la réalisation avec une adaptation de John Le Carré : Le Miroir aux espions (The Looking Glass War, 1970) avec Christopher Jones et Anthony Hopkins, un succès d’estime. Il poursuit toutefois en tant que scénariste et signe avec Le Gang Anderson (The Anderson Tapes), une remarquable adaptation du polar de Lawrence Sanders pour Sidney Lumet. Un film prémonitoire sur la société de surveillance. Mais c’est avant tout sa collaboration au scénario d’Un après-midi de chien (Dag Day Afternoon, 1975) qui reste dans les mémoires.

La réalisation impeccable et intelligente de Sidney Lumet et l’interprétation fabuleuse d’Al Pacino, font du film un classique instantané. Il reçoit l’Oscar du meilleur scénario sur le plateau d’Une étoile est née (A Star Is Born) qu’il réalise avec Barbra Streisand et Kris Kristofferson. Un cauchemar, il ne s’entend pas avec Kristofferson, pour des raisons de services « militaires » et surtout accumule les tensions avec son actrice. Streisand s’initie dans tous les aspects artistiques du film. Une expérience amère pour Pierson qui ne réalise plus qu’un film pour le cinéma après cette expérience, Le Roi de Gitans (King of the Gypsies, 1978). Il préfère alors se tourner vers la télévision où il poursuit sa carrière. Dernièrement, il était producteur consultant sur l’une des séries les plus importantes de la décennie : Mad Men.

L’aspect directement parodique et comique de Cat Ballou est à l’époque une nouveauté, mais l’humour n’a jamais été absent des westerns que ce soit chez John Ford, Howard Hawks ou Gordon Douglas. Elliot Silverstein entraîne Cat Ballou vers le burlesque des bandes muettes des pionniers du cinéma. Il encourage Lee Marvin à une interprétation à la Tex Avery. Ponctué par les interventions des deux troubadours de l’Ouest, le film trouve son rythme. Il ajoute des gags visuels et accélère les poursuites, qui doivent autant à Billy Wilder (la séquence du wagon-couchettes renvoie à celle de Certains l‘aiment chaud) qu’aux classiques du western. Mais, indéniablement, l’introduction du (double) personnage de Lee Marvin, dynamite le film. Un double rôle jouissif, Tim Strawn, régulateur, tueur sans pitié, au nez métallique et Kid Shelleen, légende de l’Ouest alcoolique au dernier degré. Marvin apporte à son tireur vieillissant, une humanité qui l’éloigne de la simple caricature pour en faire un personnage attachant, ce qui renforce l’aspect comique.

Lee Marvin, est un magnifique bad boy et tueur professionnel, personnages durs et violents, auxquels par la finesse de son jeu, il apporte de grandes nuances. Engagé dans les Marines, Lee Marvin est grièvement blessé durant la Seconde Guerre mondiale. Revenu à la vie civile, Lee Marvin, débute au théâtre à New York en 1946. Henry Hathaway lui donne son premier (petit rôle) dans La marine est dans le lac en 1951. Mais c’est dans Règlement de comptes (The Big Heat, 1953), prodigieux film noir de Fritz Lang, qu’il stupéfie les spectateurs. Il s’oppose « sauvagement » à Marlon Brando dans L’Equipée sauvage (The Wild One, 1953) de Laslo Benedek. C’est d’ailleurs, ce rôle qui incitera Elliot Silverstein et Harold Hecht à prendre Marvin pour Cat Ballou.

Il se dégage de Lee Marvin, une masculinité puissance et froide, accentué par sa carrure et par une forme d’immobilisme glaçant. Il est impérial en tueur obsessionnel dans Le point de non-retour (Point Blank, 1967), chef-d’œuvre du polar signé par John Boorman, qui le dirige à nouveau dans Duel dans le Pacifique (Hell in the Pacific, 1968), l’opposant dans un combat sans fin à Toshiro Mifune. Boorman, grand ami de l’acteur, lui consacrera un touchant documentaire John Boorman : A Personal Portrait by John Boorman (1998).  Lee Marvin est une star du cinéma d’action, commandant à la tête d’une mission suicide dans Les Douze salopards (The Dirty Dozen, 1967), énorme succès de Robert Aldrich pour la MGM. Durant les années 70, Lee Marvin est l’image d’une forme de virilité, plus ambiguë qu’il n’y paraît.

Jane Fonda débute au théâtre avec son père, l’immense Henry Fonda. Le succès relatif qu’elle rencontre l’incite à suivre les cours de l’Actor’s Studio. Elle joue à Broadway avant d’apparaître dans son premier film : La tête à l’envers (Tall Story, 1960) de Joshua Logan avec comme partenaire Anthony Perkins.

Sa carrière ne démarre réellement qu’en France grâce à René Clément qui la dirige dans Les Félins (1964). Elle partage le haut de l’affiche avec Alain Delon, l’une des plus stars de grande de l’époque. Jane Fonda apporte au film une touche d’érotisme que remarque Roger Vadim. Il la dirige dans La Ronde (1964) adaptation du roman d’Arthur Schnitzler, et l’épouse à la suite du film. Ils sont à nouveau réunis pour La Curée (1966) avec Michel Piccoli et pour Metzengerstein, segment d’Histoires extraordinaires (1968) où elle croise son frère Peter Fonda. Vadim en fait un sex-symbol. Il conçoit pour elle, Barbarella (1968), fidèle transposition d’une bd « féministe » et érotique de science-fiction, où Jane Fonda apparaît dans des tenus ultras suggestifs et sexy. Entretemps, son succès en Europe, attire l’attention des producteurs et réalisateurs américains Cat Ballou marque une étape dans sa carrière son énorme succès, la lance aux Etats-Unis. Arthur Penn la dirige dans l’apocalyptique La poursuite impitoyable (The Chase, 1966) avec Marlon Brando, un chef-d’œuvre. Jane Fonda participe aux évènements de mai 68 à Paris. On achève bien les chevaux (They Shoot Horses, Don’t They ? 1969) de Sidney Pollack d’après Horace McCoy, l’installe définitivement comme une grande actrice respectée du nouvel Hollywood. Ce que confirme son film suivant Klute (1971) d’Alan J. Pakula pour lequel elle reçoit son premier l’Oscar de la meilleure actrice, elle est de nouveau récompensée en 1979 pour Le retour (Coming Home) de Hal Ashby. Jane Fonda est de retour en France pour Tout va bien (1972), constat sur la situation politique de l’après 68 et critique du capitalisme par Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, elle y incarne la femme d’Yves Montant. Elle prend courageusement position contre la guerre du Vietnam et se rend à Hanoï en 1972. Son intervention fait scandale. Elle divorce de Roger Vadim en 1973. Elle produit, via IPC Films, plusieurs films dont La maison du Lac (On Golden Pond, 1981) dernier film avec son père, Henry Fonda pour lequel il se voit enfin décerner l’Oscar qu’il avait mérité à maintes reprises. Jane Fonda une très belle carrière qui mérite d’être revisitée.

Cat Ballou est un western culte aux Etats-Unis et pointe même à la dixième place d’un classement de l’AFI (American Film Institut) des meilleurs westerns de tous les temps ! De quoi en perdre son froque ! On retrouve dans le patchwork des visions perverses d’Alex DeLarge dans Orange Mécanique (A Clockwork Orange, 1971)de Stanley Kubrick, le plan en contre-plongée de la pendaison de Cat Ballou. Décidément, Cat Ballou est un western bien surprenant.

Fernand Garcia

Cat Ballou, une édition Sidonis – Calysta dans la collection Western de légende, en combo (DVD + Blu-ray), avec en complément : Une présentation de Patrick Brion « Un western inhabituel » (5 minutes). Une deuxième présentation de Jean-François Giré « j’ai l’impression que réaliser un western comique est difficile » (12 minutes). La légende de Cat Ballou, document où Elliot Silverstein évoque ses choix de mise en scène et la production du film (12 minutes). La bande-annonce (3 minutes).

Cat Ballou, un film d’Elliot Silverstein avec Jane Fonda, Lee Marvin, Michael Callan, Dwayne Hickman, Nat ‘King’ Cole, Stubby Kaye, Tom Nardini, John Marley, Jay C. Flippen, Arthur Hunnicutt, Bruce Cabot… Scénario : Walter Newman et Frank R. Pierson d’après le roman de Roy Chanslor. Réalisateur 2e équipe : Yakima Canutt. Directeur de la photographie : Jack A. Marta. Direction artistique : Malcolm Brown. Montage : Charles Nelson. Chansons : Mack David et Jerry Livingstone. Musique : Frank De Vol. Producteur : Harold Hecht. Production : The Harold Hecht Corporation – Columbia Pictures. 1965. 97 minutes. Eastmancolor. Format image : 1,85 :1. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français, 5.1 et 2.0 et Version française 2.0. DTS-HD. Tous Publics. Prix d’interprétation à Berlin, Golden Globe, Oscar du meilleur second rôle et BAFTA du meilleur acteur (Lee Marvin). Mention spéciale pour le scénario (Walter Newman et Frank Pierson) et Meilleur film pour les jeunes spectateurs (Elliot Silverstein) Festival de Berlin, 1965.