Casablanca – Michael Curtiz

1943, Casablanca, plaque tournante de la résistance française. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le cabaret le plus couru de Casablanca est tenu par Rick Blaine (Humphrey Bogart), un Américain en exil. Mais l’établissement sert également de refuge à ceux qui voudraient se procurer les papiers nécessaires pour quitter le pays. Un soir arrive parmi ses clients son ancien amour, Ilsa (Ingrid Bergman), accompagnée de son époux, le dissident politique Victor Laszlo (Paul Heireid), traqué par les nazis…

Né en Hongrie en 1886, Michael Curtiz commencera une carrière d’acteur avant de réaliser des films dans l’Europe entière. Curtiz est un des fondateurs du cinéma hongrois, en cinquante ans de carrière dans quatre pays différents (Hongrie, Allemagne, France et États-Unis), il s’attaquera à tous les genres et réalisera une centaine de films. Il arrive aux États-Unis en 1926 et commence à travailler pour la Warner. De Bette Davis (Sixième édition, 1935 ; La Vie privée d’Elisabeth d’Angleterre, 1939) à Errol Flynn ( Capitaine Blood, 1935 ; La Charge de la Brigade Légère, 1936 ; Les Aventures de Robin des Bois, 1938) en passant par Joan Crawford (Le Roman de Mildred Pierce, 1945), le cinéaste fera tourner les plus grands dans quantité de films historiques, bibliques (L’Esclave reine, 1924 avec Maria Corda…), de polars (L’Étrange Passion de Molly Louvain, 1932 avec Ann Dvorak ; The Kennel Murder Case, 1933 avec William Powell et Mary Astor ; The Case of the Curious Bride, 1935 avec Warren William et Margaret Lindsay ; The Breaking Point, 1950 avec John Garfield et Patricia Neal…), de drames (Vingt mille ans sous les verrous, 1932 avec Spencer Tracy et Bette Davis ; Jimmy the Gent, 1934 avec James Cagney et Bette Davis ; Furie noire, 1935 avec Paul Muni…), de comédies (The Perfect Specimen, 1937 avec Errol Flynn…), de comédies musicales (La Glorieuse ParadeYankee Doodle Dandy, 1942 qui valu un oscar à James Cagney…), de romances (Quatre au Paradis, 1938 avec Errol Flynn et Olivia de Havilland ; Rêves de JeunesseFour Daughters, 1938 et Quatre jeunes femmesFour Wives, 1939 avec Priscilla Lane, Rosemary Lane, Lola Lane et Gale Page…), de films d’épouvante (Doctor X, 1932 et Mystery of the Wax Museum, 1933, tous deux avec Lionel Atwill ; The Walking Dead (1936) avec Boris Karloff…), de films de guerre (Les Chevaliers du ciel, 1942 avec James Cagney et Dennis Morgan…), de westerns (La Bataille de l’or, 1938 avec George Brent et Olivia de Havilland ; Les Conquérants, 1939 avec Errol Flynn et Olivia de Havilland…) et de films d’aventures (L’Aigle des mersThe Sea Hawk, 1940 avec Errol Flynn et Brenda Marshall ; Le Vaisseau fantômeThe Sea Wolf, 1941 avec Edward G. Robinson et Ida Lupino…).

Cinéaste prolifique et doué, Michael Curtiz signe des œuvres qui se révèleront à la fois des succès critiques et commerciaux mérités. Sorti en 1942, Casablanca reste aujourd’hui encore un classique incontournable de l’histoire du cinéma, un symbole de la mythologie hollywoodienne.

Casablanca « fonctionne en dépit des théories esthétiques et des théories cinématographiques parce qu’en lui se déploient par force presque tellurique les Puissances de la Narrativité sans que l’art n’intervienne pour les discipliner. Mais dans ces conditions nous pouvons accepter que les personnages changent d’humeur, de moralité, de psychologie d’un moment à l’autre, que les conspirateurs toussent pour interrompre le discours quand un espion s’approche, que les joyeuses entraîneuses pleurent en écoutant La Marseillaise. Quand tous les archétypes déferlent sans aucune décence, on atteint des profondeurs homériques. Deux clichés font rire. Cent clichés émeuvent. » Umberto Eco

Casablanca est une production de la Warner qui, depuis les années 1930, produisait des films au rythme frénétique d’un ou deux par semaine pour atteindre son apogée au début des années 1940. Cinéaste pilier du studio Michael Curtiz tourne pas moins de 35 longs métrages pour le studio entre 1928 et 1935. Ce qui n’empêchera pas le studio, comme en témoignent de nombreux mémos, de lui reprocher ses coûteux et « inutiles » mouvements de caméra.

Adapté de la pièce Everybody Comes to Rick’s de Murray Burnett et Joan Allison, savant dosage d’aventures, d’exotisme et d’actualité, Casablanca est principalement porté par le charisme et l’alchimie de son couple vedette, l’incomparable et inégalable Humphrey Bogart et la romantique Ingrid Bergman, qui suite au succès du film va devenir l’une des actrices les plus en vue de Hollywood. Casablanca est un conte de fées moderne qui va devenir l’étendard de la propagande américaine antinazie. Tourné en studio en moins de trois mois malgré ses problèmes d’écriture (quatre scénaristes se succèdent pour effectuer l’adaptation de la pièce et, sans ligne directrice, le scénario s’écrit au jour le jour durant le tournage) et de distribution (pressentis pour les premiers rôles, Ann Sheridan, Michèle Morgan et Ronald Reagan feront marche arrière), rythmé par la mise en scène singulière et soignée de Curtiz, reconnaissable dans ses recherches formelles du cadre et du découpage, dans ses mouvements de caméra venant dynamiser les émotions et les sentiments des personnages, et son travail avec le chef opérateur Arthur Edeson sur le noir et blanc, le clair-obscur, la lumière et les ombres, parfaite combinaison aussi bien sur le fond que sur la forme entre réalisme, romantisme, drame et film d’espionnage expressionniste, porté par la musique de Max Steiner (Autant en emporte le vent, 1939), Casablanca est en quelque sorte la parfaite synthèse de l’œuvre du cinéaste. Le film doit son titre du fait de sa connotation à la fois romantique et exotique mais aussi du fait qu’à cette période, la ville est contrôlée par Vichy. Comme Michael Curtiz lui-même, la plupart des acteurs allemands, autrichiens et hongrois du film sont des exilés.

Avec son personnage d’Ilsa, Ingrid Bergman incarne à la perfection l’héroïne déchirée entre sa loyauté et ses sentiments. Face à elle, dans le rôle de Rick, solitaire blessé et cynique en conflit avec lui-même entre ses sentiments et ses valeurs morales, l’immense Humphrey Bogart, après le succès du Faucon Maltais (1941) de John Huston, quitte ses rôles de détectives et de gangsters pour incarner un héros romantique et vient définitivement asseoir son statut de star. Traversé par le mythe du sacrifice qui vient faire écho de manière positive à la période de guerre dans laquelle vivent alors les gens, Casablanca fera de Bergman et de Bogart de véritables icônes de la culture contemporaine et des symboles du romantisme moderne.

La qualité formelle, la morale de l’histoire avec la grandeur d’âme des personnages qui se sacrifient afin de faire passer le bien de l’humanité avant le leur, et son succès phénoménal conféreront au film une dimension mythique et lui vaudront une incroyable postérité.

Casablanca marque la cinquième collaboration entre l’acteur et le cinéaste. Ils ont en effet travaillé ensemble sur Le Dernier Round ou Le Dernier Combat (Kid Galahad, 1937) avec Edward G. Robinson et Bette Davis, Femmes marquées (Marked Woman, 1937) avec Bette Davis, Les Anges aux figures sales (Angels with Dirty Faces, 1938) avec James Cagney et Pat O’Brien et La Caravane héroïque (Virginia City, 1940) avec Errol Flynn et Miriam Hopkins. Après le succès de Casablanca, les deux hommes se retrouveront pour deux films, Passage pour Marseille (Passage to Marseille, 1944) avec Claude Rains et Michèle Morgan et la comédie La Cuisine des Anges (We’re No Angels, 1955) avec Aldo Ray et Peter Ustinov.

 « On a dit de Casablanca que c’était un film parfait évoquant l’amour, le patriotisme, le mystère et l’idéalisme avec une intégrité et une honnêteté que l’on trouve rarement au cinéma. Je suis d’accord. Des générations se plongeront dans le drame du Rick’s Café américain. Et au fil du temps, le charme de Casablanca, de Bogey et de Bergman continuera à nous ensorceler. C’est ça, la vraie magie du cinéma. » Lauren Bacall

 Lors de la cérémonie des Oscars en 1944, Casablanca remporte trois statuettes, celle du meilleur film, celle du meilleur scénario comme adaptation et celle du meilleur réalisateur pour Michael Curtiz.

Steve Le Nedelec

Casablanca, une édition Blu-ray, Warner Bros.

Casablanca un film de Michael Curtiz avec Humphrey Bogart, Ingrid Bergman, Paul Heinreid, Claude Rains, Conrad Veidt, Sydney Greenstreet, Peter Lorre, S.Z. Sakall, Madeleine Lebeau, Dooley Wilson, Joy Page… Scénario : Julius J. Epstein, Philip G. Epstein et Howard Koch d’après la pièce de Murray Burnett et Joan Alison. Directeur de la photographie : Arthur Edeson. Décors : Carl Jules Weyl. Costumes : Orry-Kelly. Montage : Owen Marks. Musique : Max Steiner. Producteur exécutif : Jack L. Warner. Producteur : Hal B. Wallis. Production : Warner Bros. Etats-Unis. 1942. 102 minutes. Noir et blanc. Pellicule 35 mm. Eastman Plus-X. Format image : 1,37 :1. DCP. Tous Publics. Oscar du Meilleur film, meilleur réalisateur et scénario. Toute la mémoire du monde, 2020.