Carte Blanche à Paul Verhoeven

Une Carte Blanche à Paul Verhoeven était au programme de cette 4e édition du festival Toute la Mémoire du Monde. Le cinéaste a ainsi choisi six films qui ont marqué son rapport au cinéma et influencé ses choix. Cette sélection, accompagnée des notes et des présentations du réalisateur, a permis, pour ceux qui en doutaient encore, de témoigner également du brillant sens critique de ce dernier.

 « On garde en soi ce qu’on voit, sans savoir si cela nous inspire.

Mais on trouve parfois des solutions qui vont dans la direction

de films qu’on a vus. »

Paul Verhoeven

La Ruée vers l’Or (The Gold Rush) de Charlie Chaplin

La ruée vers l'or

Les aventures de Charlot qui se fait chercheur d’or au péril de sa vie. Il partage une cabane avec Big Jim. Maladroit et malchanceux, ses aventures seront rocambolesques

Cinéaste visionnaire et artiste complet, Chaplin (1889 – 1977) offre à travers toute son œuvre le témoignage sensible d’une éternelle condition humaine doublé d’une critique implacable des organisations sociales et politiques de son temps.

« Dans l’histoire du cinéma, Charles Chaplin est une figure unique, en raison de sa mimique, de sa gracilité quasi féminine et de ses mouvements élégants. Mais surtout, grâce à ce personnage qu’il incarne : le « schlemihl », le malchanceux, le perdant, absolu, écrasé par le destin mais qui réussit toujours à s’en sortir à la fin. Le vagabond, l’homme simple, un personnage qui collait parfaitement à son époque. (…) D’où le succès international de Chaplin car des « schlemihl », ou des « underdogs », on en trouve partout, ce sont des personnages universels. (…) En tant que cinéaste, Chaplin est d’abord et avant tout le maître du gag visuel. (…) Chaplin dote sa caméra d’un objectif à courte focale, ce qui donne une image large sans déformation. A l’intérieur de ce cadre, ses acteurs doivent réaliser une véritable chorégraphie. » Paul Verhoeven – Extrait de Selon Verhoeven, traduit du néerlandais par Harry Bos.

La Ruée vers l’Or (The Gold Rush, 1925), avec Charlie Chaplin, Mack Swain, Tom Murray…Numérisé en HD par MK2 à partir de la restauration photochimique effectuée par la Cineteca di Bologna.

Le Septième Sceau (Det Sjunde Inseglet) de Ingmar Bergman

Le septième sceau

Au Moyen-Âge, un chevalier et son écuyer retournent en Suède après plusieurs années de croisades. Sur leur chemin, ils rencontrent la Mort avec laquelle le chevalier entame une partie d’échecs.

Metteur en scène de théâtre, réalisateur, scénariste et producteur, Ingmar Bergman (1918 – 2007) est une des figures les plus importantes du cinéma mondial. Au cours de son œuvre, il n’a eu de cesse de mettre en scène ses questionnements philosophiques et psychologiques sur les relations des hommes à Dieu, à l’amour et à la mort.

« Est-ce qu’on peut jouer aux échecs avec la Mort ? Bien sûr que non, on perd toujours. (…) C’est elle qui nous met échec et mat. Et Dieu ? Dieu ne vient pas à la rescousse, il ne fait que se taire. C’est le thème central du Septième Sceau. Nous sommes tous condamnés. (…) Ce constat a tourmenté ce fils de pasteur qu’était Ingmar Bergman pendant toute sa vie. S’il n’y a rien après, s’il ne reste rien, quel est le sens de cette misérable vie qu’est la nôtre ? Ces questions-là, on ne les retrouve plus très souvent dans le cinéma de fiction aujourd’hui. Trop graves, on n’a plus le temps, sauf quand on s’appelle Woody Allen. Ou Michael Haneke. Ingmar Bergman exprime ses doutes existentiels à travers chacun de ses principaux personnages. »

Le Septième Sceau (Det Sjunde Inseglet, 1956) avec Max Von Sydow, Gunnar Björnstrand, Nils Poppe… Restauré en 2K par Svensk Filmindustri, en partenariat avec Studiocanal à partir du négatif 35 mm.

Ivan le Terrible (1ère et 2ème partie) (Ivan Grozny) de Sergueï M. Eisenstein

Ivan le terrible

En 1547, Ivan est couronné tsar et débute son règne dans une atmosphère semée de complots. Pour les briser, il fait régner la terreur. Alors qu’il essaie de consolider son pouvoir en établissant une milice, ses rivaux politiques, les Boyards, fomentent un complot pour l’assassiner.

En 1925, Le Cuirassé Potemkine est perçu en Europe comme un sommet de l’art d’avant-garde. Dans les années 1930, Eisenstein (1898 – 1948) part pour Hollywood. Aucun de ses projets n’aboutira et il ne récupérera jamais les rushes de Que Viva Mexico ! tourné au Mexique. Le cinéaste reçoit alors une commande de Staline, «Ivan le Terrible (1941-1946), initialement prévu en trois parties.

« Jamais un film de fiction ne s’était autant approché d’un opéra. Et les conditions dans lesquelles Sergueï Eisenstein devait travailler font que l’ensemble est encore plus dramatique, plus « opératique » que la plupart des opéras. La première partie d’Ivan Grozny fut un grand succès en 1944, notamment au Kremlin. (…) Joseph Staline aimait se reconnaître dans le portrait du tsar « héroïque » Ivan IV. (…) Au départ, il était question d’un triptyque, mais la deuxième partie du film plut beaucoup moins au tsar rouge. Le récit ne parle plus de conquêtes et de pacifications mais des nombreuses intrigues et machinations à la cour d’Ivan IV. (…) On ne le dit jamais haut et fort, mais il est clair qu’on vise le régime sanguinaire de Staline au Kremlin. (…) Dans Le Cuirassé Potemkine, il n’y avait qu’agitation et dynamisme, notamment grâce aux scènes de masse et au rapide montage parallèle. Pour Ivan Le Terrible, Eisenstein opte pour un style presque opposé. Plus solennel, plus mystique, ce qui convient mieux au sujet. Tel un photographe scolaire, il pose sa caméra à un endroit fixe, en créant ainsi un cadre immobile. À ce cadre, il oppose les mouvements des acteurs. Comment les acteurs apparaissent soudainement dans ce cadre, à quelle vitesse et sous quel angle, tout cela est d’une importance capitale pour Eisenstein. Les émotions des personnages trouvent ainsi leur expression. (…) C’est justement ce cadre fixe qui permet de créer une tension supplémentaire. Comme si on voyait l’intérieur d’une mystérieuse boîte à images (…). »

Ivan le Terrible (1ère et 2ème partie 1945-1958) avec Nikolaï Tcherkassov, Lioudmila Tselikovskaia, Serafima Birman… Restauré numériquement par Mosfilm Cinema Concern.

La Dolce Vità de Federico Fellini

Ekberg Mastroianni La Dolce Vita

Marcello est un journaliste mondain. Il fait le tour de Rome la nuit et de ses fêtes décadentes avec désinvolture et amertume afin d’alimenter ses chroniques.

À travers une mise en scène baroque, les films de Fellini (1920 – 1993) expriment sa tendresse pour les marginaux et les « petites gens ». En 1960, La Dolce Vità assoit sa réputation et marque le début de sa collaboration avec Marcello Mastroianni, double fellinien. Avec Satyricon (1969), il explore ouvertement le champ de l’imaginaire. Il intègre dans ses œuvres suivantes de moins en moins d’éléments réalistes, comme dans Roma (1972). La fin de sa carrière sera teintée de nostalgie comme en témoignent Ginger et Fred (1984) et Intervista (1987).

« Pendant des années, je rêvais la nuit de devenir l’assistant de Fellini. (…) Assistant de Fellini ! C’était évidemment à cause de La Dolce Vità, à mes yeux une œuvre d’art, un miracle d’élégance. (…) Le film parle de choses infiniment humaines. Le déclin de l’aristocratie italienne est l’un des fils rouges, mais aussi l’adieu à la religion et à Dieu. (…) L’idée que derrière la beauté se cache irrémédiablement le chaos… Il faut des années pour saisir tout ce que Fellini et ses deux coscénaristes ont mis dans le film. (…) D’où mon sentiment catégorique : il s’agit ici d’un des plus grands films jamais réalisés, peut-être le meilleur film de tous les temps. (…) Ce n’est pas un film hollywoodien à trois actes doté d’un grand final. C’est un collage, une mosaïque, et à l’intérieur de cela, on nous présente tellement de scènes fantastiques qu’on en oublie presque le thème principal. (…) Voilà ce que je trouve phénoménal ici. Le scénario à multiples niveaux, la photographie sublime d’Otello Martelli, le casting parfait, la musique, la psychologie, la tragédie et l’humour. »

La Dolce Vità (1959) avec : Marcello Mastroianni, Anouk Aimée, Anita Ekberg… Copie restaurée et distribuée par Pathé.

Belle de Jour de Luis Buñuel

Belle de Jour

Séverine est une femme au foyer mariée à un riche chirurgien. Un jour, elle entreprend de tromper l’ennui de son confort bourgeois et d’explorer sa sexualité en se prostituant régulièrement dans une maison de rendez-vous.

Entré dans le cinéma par le surréalisme (Un Chien andalou, 1929 et L’Âge d’or, 1930), suivi d’un documentaire social (Las Hurdes, 1933) et d’une longue absence, Luis Buñuel (1900 – 1983) ressurgit au Mexique où, entre 1947 et 1962, il tourne quelques chefs-d’œuvre parmi ceux-ci : Los Olvidados (1950), El (1953), Nazarin (1959), L’Ange exterminateur (1962)… A partir de 1963, il entame une nouvelle période en France et travaille au scénario de presque tous ses films  avec Jean-Claude Carrière : Le Journal d’une femme de chambre (1964), Belle de jour (1966), La Voie Lactée (1969), Tristana (1970) qu’il tourne en Espagne, Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) et Cet obscur objet du désir (1977).

« La question qui se pose à propos de ce film est toujours la même : tout cela n’est-il qu’un rêve ? C’est en raison de ce mélange de flashbacks, de fantaisies érotiques et surtout de cette fin inhabituelle, mais on peut distinguer avec précision faits et fiction. (…). La scène la plus typique est sans doute celle où un Asiatique se présente comme client dans la maison close. Il apporte une mystérieuse petite boîte : en l’ouvrant, il en sort un son bourdonnant et aigu. Est-ce un mécanisme ? Est-ce un être vivant ? On ne le saura jamais. (…) On ne verra que le couvercle, et la blague surréaliste se trouve là. (…) Buñuel nous laisse imaginer ce qui se trouve dedans, comme s’il testait notre propre fantaisie perverse (…). Une pareille boîte se trouvait d’ailleurs déjà dans Un Chien andalou, le manifeste surréaliste que Buñuel tourna en 1929 avec Salvador Dali. Ce n’est pas pour rien que Buñuel est le maître de la continuité cachée. » Paul Verhoeven – Extrait de Selon Verhoeven, traduit du néerlandais par Harry Bos.

Belle de Jour (1966) avec  Catherine Deneuve, Jean Sorel, Michel Piccoli, Pierre Clémenti…

Sueurs Froides (Vertigo) d’Alfred Hitchcock

Kim Novak Vertigo

À San Francisco, Scottie, ancien policier souffrant d’acrophobie, est contacté par un ancien ami afin qu’il suive sa femme Madeleine. Scottie s’éprend de la jeune femme mais va vite se retrouver dépassé par les évènements.

Alfred Hitchcock (1899 – 1980) compte plus de cinquante longs métrages à son actif. Appelé en 1940 par le producteur Selznick à Hollywood, il réalise Rebecca qui marque la fin de sa période britannique. S’ensuivront une liste impressionnante de Chef-d’œuvres incontournables, avec entre autres, Fenêtre sur cour (Rear Window, 1955), La Mort aux trousses (North by Northwest, 1959), Psychose (Psycho, 1960) ou encore Les Oiseaux (The Birds, 1962), Frenzy (1972), des films qui comptent parmi les plus célèbres de l’histoire du cinéma.

« J’ai très clairement conscience du rôle que joue Hitchcock dans mes films, parce que j’admire son travail et toutes les œuvres qu’il a réalisées. J’ai dû voir Sueurs Froides une trentaine de fois, c’est l’un de mes films préférés. Sueurs Froides joue dans Black Book, tout comme dans Basic Instinct, un grand rôle. La transformation féminine telle qu’Hitchcock l’a conçue m’a toujours fasciné. ».

Sueurs Froides (Vertigo, 1957) avec James Stewart, Kim Novak, Barbara Bel Geddes, Tom Helmore, Henry Jones… Copie 35 mm Technicolor originale (tirage par imbibition) déposée par Alfred Hitchcock à La Cinémathèque française en 1968.

Steve Le Nedelec