Béryl Peillard – Entretien

Nina et sa fille adoptent un chien Jojo, un berger allemand adulte. C’est un semblant de solution ou un cache misère au problème de Nina – l’alcoolisme.

Parfaitement équilibré au niveau de sa mise en scène, de sa photo, de ses costumes, de sa  musique, l’étrange Animal Serenade est une réussite. Quant au rôle de Nina, il est merveilleusement interprété par Marie Denarnaud. Ce bijou a obtenu le Prix du Meilleur court métrage du Syndicat Français de la Critique 2014. Parfait prétexte pour un entretien avec sa réalisatrice, Béryl Peillard.

Animal Serenade

KinoScript : Comment est né le projet ?

Béryl Peillard : J’avais le désir de traiter de l’addiction, plus particulièrement de l’alcoolisme. Après, il fallait trouver la forme qu’emprunterait le film. Au départ, je savais surtout ce que je ne voulais pas : une approche naturaliste et/ou psychologisante, un film clos sur le sujet de l’alcoolisme. Puis, l’idée du chien est venue et, avec lui, celle d’un film mêlant incarnation et allégorie. Avec l’allégorie, le film devient un espace de projection pour chaque spectateur. Chacun peut s’en approprier le sens intime. Je tiens beaucoup à cette idée de rendre le spectateur actif…

KS : Aviez-vous des références en tête lors de l’écriture du scénario ?

Béryl Peillard : Cinématographiques, aucune. Sans doute parce que c’est mon premier film, il s’agissait moins de chercher des références extérieures que de cheminer de l’intérieur vers l’extérieur, c’est-à-dire d’accoucher de mon intimité avec le sujet et d’un geste cinématographique personnelle.

Un court texte de Duras, L’Alcool, m’a accompagnée ainsi que mes principaux partenaires sur le film. Duras y exprime avec limpidité ce qui sous-tend Animal Serenade : l’alcoolisme n’est pas réductible à une explication psychologique, mais relève d’une raison plus existentielle et irréparable : on boit pour combler l’absence de Dieu.

KS : L’idée de frôler le fantastique avec cette ambiance dérangeante figurait-elle dès le départ dans le scénario ?

Béryl Peillard : Bien sûr. Faire naître l’étrangeté au cœur même de l’incarnation, jouer avec le genre sans jamais y aller pleinement, était même un enjeu principal de l’écriture. Et de toute la fabrication du film d’ailleurs…

KS : Le personnage de Nina est assez complexe, ce qui est finalement rare pour les personnages féminins dans le cinéma, en étiez-vous consciente dès l’écriture ?

Béryl Peillard : Oui, j’en avais envie surtout. Je voulais un personnage très concret, incarné, trivial même, et porteur d’une dimension plus ample, existentielle. Je déteste la classification film de femme et film d’homme, mais je crois qu’en tant que femmes nous avons une responsabilité non négociable vis-à-vis des personnages féminins que nous créons. La force de la représentation est trop importante. Particulièrement par les temps qui courent. D’ailleurs, tous les cinéastes hommes devraient se sentir investis de la même responsabilité politique vis-à-vis de leurs personnages féminins… Mais ne soyons pas manichéen, le problème inverse existe : quelques réalisatrices stéréotypent facilement leurs personnages masculins. Je préférerai toujours quelqu’un comme Jane Campion pour qui la complexité n’a ni sexe, ni genre. Cette complexité de Nina, cette humanité au fond, mon co-scénariste Christophe Blanc et moi avons essayé de l’appliquer à chaque personnage. D’être dans une approche renoirienne des êtres.

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KS : Quel a été l’apport de Christophe Blanc au scénario ?

Béryl Peillard : Il a été extrêmement important, même essentiel. Christophe est cinéaste à part entière depuis de nombreuses années, et il a accepté avec beaucoup de générosité d’être co-auteur de ce simple scénario de court métrage. Moi, j’avais envie d’écrire ce film avec lui et personne d’autre. J’ai toujours été frappée par les grandes qualité et sensibilité de son écriture. Et, à mon sens,  il est le meilleur dialoguiste actuel du cinéma français !

Le scénario d’Animal Serenade était complexe à écrire, le talent et l’expérience de Christophe ont été salutaires. Il s’est glissé dans mon univers qui, par plusieurs aspects, est assez éloigné du sien. Il a été une sorte de vigie quand je pouvais avoir la tentation facile d’une écriture délaissant un peu trop l’incarnation ou glissant trop vers la noirceur. Il a su m’apporter de la confiance aussi à un moment où le doute aurait pu l’emporter sur le faire.

KS: Le rôle de Nina va comme un gant à Marie Denarnaud, comment l’avez-vous rencontré ?

Béryl Peillard : Nous nous sommes rencontrées lors d’essais filmés. J’insiste sur le « nous » car le casting est l’occasion d’une rencontre tant pour le réalisateur que le comédien. Y a-t-il une possibilité de dialogue, de travail, de confiance ? Cette question vaut pour les deux. Et avec Marie, j’ai eu l’évidence d’une réponse positive au terme de cette première rencontre. Les essais avec elle ont eu lieu tardivement, après avoir vu beaucoup de comédiennes entre 20 et 30 ans : Marie étant plus âgée, nous n’avions pas pensé à elle. C’est ma directrice de casting, Soria Mouffakir, qui a eu soudain une illumination en la voyant dans un film rediffusé à la télé. Dès ces essais, Marie a eu une façon de jouer l’alcool, qui m’a énormément plu. C’est tellement difficile… Il était évident aussi qu’elle était porteuse d’une vitalité, d’une incarnation, d’une sensibilité à fleur de peau, d’un vécu aussi.

KS: Animal Serenade est un film assez atypique, a-t-il était simple a monter financièrement ?

Béryl Peillard : Dès l’écriture, le film nous est paru assez ambitieux en terme de production. Aussi, Christophe Blanc et moi avons choisi de ne contacter Elisabeth Perez, future productrice du film avec qui je souhaitais travailler, qu’une fois le scénario abouti. La croyance immédiate d’Elisabeth dans le film, son énergie communicative à le produire, l’ont amenée à lancer très vite la recherche de financement, après un ultime et rapide peaufinage du scénario. Il nous fallait le scénario le pus affirmé possible. Après, ça passe ou ça casse, mais au moins le projet du film est clair. Les trois principaux soutiens sollicités (CNC, Région Basse Normandie et ARTE) nous ont dit oui. Nous avons eu de la chance. Il y a toujours une part de chance dans le fait qu’un projet rencontre le désir des autres.

KS: Avez-vous modifié le scénario pendant le tournage ?

Béryl Peillard : Non, à une ou deux répliques près. Pour autant, place était laissée à des moments plus improvisés, principalement pour les scènes de groupe. En revanche, des éléments de structure ont bougé au montage, et quelques scènes ont été coupées ou raccourcies. Il fallait aérer le film, recréer des pleins et des déliés. Et aussi se débarrasser des choses ratées lors du tournage !

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KS: Combien de temps a duré le tournage ?

Béryl Peillard : Le tournage s’est étalé sur deux semaines, avec trois lieux différents (Calvados et Orne en Basse Normandie, et trois jours en Ile de France)

KS : Quelles contraintes impose un tournage avec un chien ?

Béryl Peillard : En prépa, je pensais souvent à l’adage Hitchcock selon lequel il faut éviter de tourner avec un enfant, un chien, et la nuit. Animal Serenade réunissait les trois… Heureusement, la réalité du tournage a donné tort au Maître Hitch’.

Pour le chien, c’était notamment une affaire de préparation plusieurs semaines en amont du tournage. Avant toute chose, je dois dire que j’ai eu la chance de travailler avec Chloé Verschueren, dresseuse de cinéma, assistante de Patrick Pittavino, et son chien Emerone. Dès notre première rencontre, j’ai trouvé chez Chloé et Patrick un savoir faire et une précision incomparables avec les autres dresseurs. Ma productrice, Elisabeth Perez, a eu l’intelligence de refuser de lésiner sur ce pan du film, elle savait que la viabilité du tournage et le résultat artistique final en dépendaient.

Pendant plusieurs semaines, Chloé, la dresseuse, a fait travailler au chien les différentes actions qu’il aurait à accomplir pendant le tournage. En parallèle, il y a eu plusieurs séances entre Marie et le chien, afin de créer un lien de familiarité entre eux, d’amener l’animal à se comporter comme si elle était réellement sa maîtresse, ce qui évidemment n’était pas du tout le cas lors de leur première rencontre. Il a tellement adoptée Marie que, lors du tournage, il lui est arrivé de la défendre, presque jalousement, quand un comédien l’approchait trop brusquement dans le feu de l’action d’une scène. Pour terminer la préparation, Marie a répété elle-même les scènes les plus pointues avec le chien.

Une fois sur le tournage, comme il avait intégré toutes ses actions, il était préférable de ne pas répéter avant les prises, de ne pas l’user. Chloé lui rafraîchissait la mémoire… et il était prêt à tourner ! La seule contrainte était de ne pas l’amener à saturation en multipliant trop les prises, afin d’éviter qu’il ne devienne imprévisible, involontairement dangereux.

KS : Marie Denarnaud était-elle doublée pour certaines scènes, qui semblent assez « dangereuses » ?

Béryl Peillard : Non, Marie a fait toutes les scènes. Seuls son investissement en amont du tournage et la grande qualité du dressage ont rendu cela possible. Marie a été une partenaire indéfectible. C’est extrêmement précieux pour un réalisateur, d’autant plus pour un premier film.

Au-delà des scènes avec le chien, les conditions de tournage sur un court sont intenses, parfois dures. Qui plus est, Marie était de chaque scène ou presque. Elle a éprouvé ces conditions sans jamais lâcher une seconde le film.

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KS : Mahémiti Deregnaucourt aux costumes a créé un look très années 80-90, pourquoi ce choix ?

Béryl Peillard : Nous avons beaucoup échangé avec Mahé. Je voulais des costumes qui, à l’image du film, tournent le dos au naturalisme. L’histoire est suffisamment sombre, pour chercher le contrepoint dans la direction artistique. Nina porte une douleur et un désespoir, mais elle est fondamentalement vivante, fougueuse, sexuée. Ses costumes sont nourris de cela.

Il y avait aussi le désir esthétique d’une image avec une palette chromatique étendue. Je sature des sweats à capuche bleu ou kaki que l’on retrouve dans la plupart des films avec des jeunes, tout comme des costumes dans des déclinaisons de marrons et noirs pour les personnages adultes. Je sature de ce faux réalisme et de cette tendance à l’invisibilité des costumes. J’avais plutôt pour références certains films de Coppola des années 80-90. Pour le look de Nina, je pensais aussi à Adjani dans L’été meurtrier.

Mahé Deregnaucourt s’est emparé de tous ces désirs et les a traduits en osant y aller franchement. J’ai adoré travailler avec elle. Elle a toutes les qualités que l’on recherche chez les membres de son équipe.

KS : Les lieux font penser au Nord de la France, au cinéma de Bruno Dumont… comment les avez-vous choisis ?

Béryl Peillard : Lors de l’écriture, j’avais en tête les villages de mon enfance et adolescence drômoises. Christophe Blanc étant lui aussi drômois, nous avons vraiment écrit à partir de lieux et atmosphères que nous connaissons.

Le soutien de la Région Basse Normandie m’obligeait à tourner dans cette région. Je n’y avais jamais mis les pieds, excepté une ou deux journées à Trouville. J’avoue avoir été un peu dépitée sur le moment… Dès que je suis partie là-bas en repérages, j’ai compris que le film allait gagner à cette déterritorialisation forcée. Par exemple, la présence de la mer, l’horizontalité des paysages ont ouvert le film et participent physiquement, concrètement, à sa dimension existentielle. Et puis, après un important travail d’écriture, c’était en fait une chance d’avoir l’occasion de réinventer certaines images, de pouvoir donner un nouveau souffle à mon imaginaire. C’est même devenu assez jouissif de se dire : tiens, je pensais tourner sur une place de village avec bancs et platanes mais en Normandie, temps frais oblige, cela n’existe pas, quel lieu vais-je trouver ? C’est devenu un bunker au milieu d’un terrain vague.

KS : Le montage a-t-il était long ?

Béryl Peillard : 5-6 semaines environ, je ne sais plus.

KS : La musique occupe une place prépondérante dans votre film…  votre titre fait-il référence à l’album de Lou Reed Animal Serenade ?

Béryl Peillard : Oui, mais sans aucune préméditation… Christophe Blanc et moi venions de finir le scénario et cherchions un titre avant de l’envoyer à Elisabeth Perez, avec qui je souhaitais travailler. Aucune de nos idées ne nous satisfaisait, lorsque Christophe a vu, posé devant nous sur la chaîne hifi, l’album de Lou Reed…

KS : Vous utilisez The Plaint de Purcell, lors de l’escapade en mobylette de Nina, l’effet est assez dérangeant, ce morceau était-il prévu dès le début ?

Béryl Peillard : Non, le morceau est venu pendant le montage. C’est bien sûr une référence au A nos amours de Pialat, où il utilise également un morceau de Purcell.

Ce choix musical a fait débat chez quelques spectateurs, qui le trouve un peu « trop ». J’assume ce lyrisme, je voulais qu’à ce moment-là la musique vienne lever notre regard sur Nina, et concourt à nous donner une lecture plus ample et existentielle du film.

KS : Quel est votre prochain projet ?

Béryl Peillard : Je viens de commencer l’écriture d’un long métrage, développé avec Elisabeth Perez, productrice d’Animal Serenade.

En parallèle, je souhaite réaliser un autre court métrage. Cette fois, il s’agira d’un format vraiment court, maximum 20 minutes. Voilà tout ce que je peux en dire pour l’instant car je n’ai pas encore l’idée de départ…

Propos recueillis par Rita Bukauskaite

Animal Serenade fait partie de notre Top courts métrages 2014