Vivarium – Lorcan Finnegan

A la recherche de leur première maison, un jeune couple effectue une visite en compagnie d’un mystérieux agent immobilier et se retrouve pris au piège dans un bien étrange lotissement.

Le cinéaste irlandais Lorcan Finnegan a effectué des études de design graphique à Dublin avant de commencer sa carrière à Londres en travaillant pour Zeppotron, la société de Charlie Brooker (Black Mirror), en tant que designer, monteur et plus tard comme réalisateur. En 2004, Lorcan Finnegan retourne à Dublin où il crée sa propre société de production, Lovely Productions. Depuis, il a écrit et réalisé de nombreux spots publicitaires, des clips musicaux et des courts-métrages de genres qui ont remportés de nombreux prix dans les festivals à travers le monde. Son premier long-métrage, Without name, a été présenté au TIFF (Festival International du Film de Toronto) en septembre 2016. Le réalisateur travaille actuellement avec son scénariste Garret Shanley (Foxes, Without name) sur plusieurs projets : le drame dystopique Goliath et le thriller surnaturel Nocebo. Il est également en cours d’écriture avec Thomas Martin d’un thriller psychologique de science-fiction intitulé Précipice.

Vivarium, est son second long-métrage mais le premier à sortir dans les salles en France. Pour sa première mondiale, le film a été projeté en compétition à la Semaine de la Critique au festival de Cannes 2019 et a obtenu le Prix Fondation Gan à la Diffusion. Vivarium a également été sélectionné dans une vingtaine de festivals internationaux dont ceux de Stockholm, Melbourne, Londres, Gérardmer ou encore L’Etrange Festival 2019 où il a été récompensé par le Grand Prix Nouveau Genre. A l’affiche du film on retrouve les comédiens Jesse Eisenberg (Les Berkman se Séparent, 2005 ; Bienvenue à Zombieland, 2009 ; The Social Network, 2010 ; To Rome With Love, 2012 ; Night Moves, 2013 ; Café Society, 2016 ; Batman vs Superman, 2016 ; Justice League, 2017 ;…) et Imogen Poots (28 Semaines plus tard, 2007 ; A Very Englishman, 2013 ; Knight Of Cups, 2015 ; Green Room, 2015 ; Mobile Homes, 2017 ;…).

« C’est un conte à la fois surréaliste et tordu, à la fois sombre, ironiquement drôle, triste et effrayant » Lorcan Finnegan.

Né à la suite de constats acerbes concernant notre mode de vie aliéné au consumérisme par le matraquage médiatique des publicités insidieuses qui vous promettent « une vie idéale », Vivarium dénonce de manière brillante notre soumission à la réalité fantasmée que l’on nous impose et inculque et à laquelle nous finissons par aspirer. L’omniprésence de la publicité et le consumérisme capitaliste créent des manques et ne font que contribuer à faire des individus d’éternels insatisfaits. L’accès à la propriété immobilière est-il un but absolu à atteindre dans la vie ? Une fois pris au piège, nous travaillons toute notre vie pour payer nos dettes. L’étrange modèle de contrat social que l’on nous impose et que l’on accepte de manière implicite – devenez propriétaire ; élevez vos enfants et vous serez libre ! – se révèle absurde et ressemble plus à une condamnation. La pression sociale, avec sa dictature de la famille traditionnelle, nous incite à devenir propriétaire afin d’éviter le risque permanent de « déclassement » et à être des parents parfaits. N’est-il pas effrayant que nous vivions dans une société qui pense et a des projets pour nous ? N’est-il pas effrayant que nous vivions dans une société qui nous impose ce à quoi nous devons aspirer ? Pour beaucoup, le rêve de posséder une maison a déjà viré au cauchemar. La maison peut vite devenir une prison. Les gens font des emprunts énormes pour acheter leur maison mais leur remboursement revient à creuser un trou sans fin. Passer chaque instant de sa vie à rembourser sa dette c’est un peu comme creuser sa propre tombe. La question qui se pose est : Quel sens donne-t-on à la vie aujourd’hui ?

Depuis des décennies, des zones naturelles sont détruites pour laisser place à des rangées de maisons identiques et deviennent ainsi les véritables labyrinthes d’une société uniforme et morose. Les immenses lotissements faits de maisons identiques sont un concept relativement nouveau qui n’est guidé que par la recherche du profit.  Nous ingérons sciemment des « aliments » transformés et nocifs. Ici les fraises n’ont plus de goût. Sans aucun contact avec nos voisins nous perdons tout sens de la communauté. En permanence devant les écrans et outils numériques, nous ne lisons plus, nous nous désociabilisons et nous nous abrutissons en nous soumettant à la dictature des réseaux sociaux qui, par leur vacuité, par leur absence de recul, d’analyse et de réflexion ne représente en fait que « la revanche des cancres ». La posture bête et méchante a pris le pas sur l’analyse et la réflexion. Autant de faits qui précipitent inéluctablement nos sociétés dites « modernes » de la médiocratie vers l’idiocratie. Les lotissements de banlieue nous isolent et nous transforment en morts-vivants. L’impertinence du commentaire social de Vivarium met en lumière le non-sens, l’incohérence et le vide de nos vies. Notre effrayant modèle sociétal détruit des vies et nous prépare à l’enfer.   

Avec son exploration du cauchemar immobilier, Vivarium vient faire écho aux précédentes réalisations du cinéaste. En effet, en 2007, en réaction à ce qui est arrivé lors du pic du boom économique et alors qu’il recevait continuellement des publicités pour des emprunts immobiliers Lorcan Finnegan réalise le court-métrage d’animation Defaces dans lequel un personnage tente de s’échapper d’une affiche publicitaire pour une banque dont le slogan est « Réussissez votre vie : Faites un emprunt » pour rejoindre une fille dessinée au pochoir sur le mur d’en face. En 2011, il adapte une nouvelle de Garret Shanley pour réaliser son court-métrage, Foxes, un conte surnaturel sur un jeune couple vivant dans une « propriété fantôme » au milieu d’une nature envahissante. La femme trouve une échappatoire en rejoignant les renards sauvages qui gémissent tels des spectres chaque soir. En Irlande, les propriétés fantômes sont le résultat du boom économique. D’immenses lotissements ont été construits au milieu de nulle part et à l’époque les banques proposaient des emprunts couvrant la totalité du prix d’achat. En 2008, lorsque la récession a frappé, les chantiers ont soudain été mis à l’arrêt et de nombreuses personnes se sont retrouvées à vivre dans des lotissements à moitié finis, souvent sans voisins ou infrastructures. Aujourd’hui, leur maison ne vaut rien mais ils doivent rembourser leur emprunt. Comme le jeune couple de Vivarium, ils se sont retrouvés pris au piège financièrement et physiquement dans ces lotissements. Le titre du film lui-même, Vivarium, nous indique clairement, sans aucune ambiguïté possible, que nous vivons comme des cobayes, comme des animaux en cage. Définition de vivarium : Établissement aménagé qui tente de reconstituer un milieu naturel ou biotope en vue de la conservation et de l’élevage de petits animaux vivants dans des aquariums (animaux aquatiques, poissons), insectariums (insectes) et terrariums (petits vertébrés terrestres).

Témoignant tristement de l’état actuel de l’industrie cinématographique avec la difficulté de produire et donc de réaliser des œuvres singulières et/ou originales, le financement de Vivarium a été complexe et a pris beaucoup de temps. Suffisamment pour Lorcan Finnegan de réaliser un autre film intitulé Without name. L’histoire d’un homme envoyé mesurer les forêts anciennes irlandaises pour un promoteur immobilier un peu louche. Mais la forêt possède un esprit surnaturel qui la protège. Without name est un conte psychédélique horrifique qui traite une fois encore de la question de la propriété, de la terre.

Alors que Defaces traitait des publicités pour les emprunts immobiliers permettant d’acheter une maison dans un lotissement neuf, que Foxes s’intéressait aux gens qui en avaient souscrit un et que Without name développait la question de la possession de la terre, à la fois comme la synthèse et le prolongement des précédentes réalisations du cinéaste, Vivarium reprend les thèmes qui l’obsèdent : l’isolement, le consumérisme capitaliste, l’immobilier, la propriété, l’uniformisation, le conformisme, la parentalité ou encore la fragmentation de la société et du contrat social. Conçu délibérément dans la même veine que les meilleurs épisodes de l’inégalable série La Quatrième Dimension (The Twilight Zone) de Rod Serling, Lorcan Finnegan et son scénariste Garret Shanley se sont emparés de ces thèmes et, comme le réclame le genre, ont exagéré les traits de la société afin de mieux en dénoncer la dangerosité et la stupidité. Notons par exemple que c’est en voyant un documentaire de la BBC réalisé par David Attenborough sur le cycle de vie des coucous européens qui n’élèvent pas leurs petits eux-mêmes mais le font faire par d’autres que le réalisateur et le scénariste ont eu l’idée de représenter dans le film les agents immobiliers comme des sortes de coucous, des parasites qui dépendent des autres pour élever leurs progénitures. L’agent immobilier devient en quelque sorte le croquemitaine de notre société moderne. Par extension la maison devient donc ici la métaphore du nid. Les multiples lectures du film qui dialoguent et se répondent entre elles apportent toute la profondeur à son propos. Ce sont tous les messages que l’auteur fait passer qui donnent au film sa richesse et sa puissance.

Comme tout droit sorti d’un rêve, ou d’un cauchemar, avec son lotissement baptisé « Yonder », ses maisons identiques, froides, vides et impersonnels aux couleurs pastel verdâtres et toxiques, son absence de nature, de vent, de pluie, sa lumière artificielle particulière et ses nuages en forme de… nuages, eux aussi tous identiques, l’environnement de Vivarium semble réel mais artificiel. Dans ce lotissement, tout est lissé. Tout est trop lisse. Même les sons en extérieur résonnent étrangement. Sans mouvement, sans vie, vide et désincarné, l’environnement de Vivarium semble vrai et dans le même temps factice. Principalement tourné en studio, l’esthétique surréaliste du film fait bien plus ici que servir son propos. Elle est le sujet même du film et évoque ouvertement les toiles de Magritte (L’Empire des Lumières). Tom, jardinier, et Gemma, institutrice, sont pris au piège dans cet endroit où tout est identique et vont perdre leurs repères. Prisonniers d’un univers effrayant se situant entre une peinture et un prospectus glacé et photoshoppé d’agence immobilière, le couple cherche à s’en sortir. Cette situation surnaturelle va les mettre face à eux-mêmes. Ils cherchent leur chemin. Ils cherchent le sens de leur vie. Si Gemma semble se résigner et accepter son rôle de mère, Tom, lui, cherche coûte que coûte à échapper à ce morne quotidien. Il s’agite et s’épuise physiquement jusqu’à ne plus pouvoir penser à sa vie, à sa condition.

Épaulé par l’ingéniosité et le talent de ses collaborateurs sur le film, du scénariste Garret Shanley au directeur artistique Robert Barrett, en passant par le directeur de la photographie MacGregor, le responsable des effets spéciaux Peter Hjorth qui a travaillé avec les cinéastes Thomas Vinterberg (Festen, 1998), Lars von Trier (Dancer In The Dark, 2000 ; Dogville, 2003 ; Antichrist, 2009 ; Melancholia, 2011) ou encore Nicolas Winding Refn (The Neon Demon, 2016), le monteur Tony Cranstoun, le compositeur Kristian Eidnes Andersen lui aussi habitué à travailler avec Lars von Trier (Manderlay, 2004 ; Antichrist, 2009 ; Melancholia, 2011 ; Nymphomaniac, 2013, The House That Jack Built, 2018) sans oublier bien évidemment ses comédiens exceptionnels, fan du vrai cinéma de genre, pour concevoir et réaliser Vivarium, Lorcan Finnegan s’est donc non seulement inspiré de Twilight Zone mais également d’œuvres et de cinéastes comme Roy Andersson ( Chansons du deuxième étage, 2000 ; Un Pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence, 2014 ;…), La femme des sables (Suna no onna, 1964) de Hiroshi Teshigahara, Lost highway (1996) de David Lynch, Safe (1995) de Todd Haynes, Phase IV (1974) de Saul Bass ou encore Le Dernier Survivant (The Quiet Earth, 1985) de Geoff Murphy. Avec une direction artistique incroyablement soignée, la proposition esthétique de Vivarium avec sa banlieue pavillonnaire aseptisée n’est pas non plus sans rappeler les univers d’Edward Aux Mains D’Argent (Edward Scissorhands, 1990) de Tim Burton ou de The Truman Show (1998) de Peter Weir.

L’histoire du film et son ambiance basculent dès l’entrée du couple dans l’agence immobilière. L’agence immobilière est comme une porte vers une autre dimension, un passage vers un univers parallèle. Le choix d’utiliser le genre pour ce film, ici le fantastique, est un moyen pour Lorcan Finnegan d’aborder des idées sociales et politiques et d’en dénoncer ses excès tout en amplifiant et en mettant en exergue ces constats. C’est par le biais du fantastique que le réalisateur transforme la réalité quotidienne en cauchemar graphique et confère au film une dimension qui le place hors du temps. C’est bien le regard acerbe et la vision ironique que porte Finnegan sur la morne « normalité » et l’absurdité du sens de nos vies et de ce que nous en faisons qui donnent au film toute sa dimension surnaturelle. Le réalisateur joue avec le spectateur de ce qu’il voit. Il joue de ses certitudes. En effet, on se demande si la maison en est vraiment une ou si l’enfant que l’on voit grandir à vitesse grand v en est vraiment un. Ce dernier maîtrise non seulement son sujet mais aussi la forme et le genre qu’il a choisi d’explorer dans Vivarium. Parfaitement contrôlés, le rythme et le climat angoissant du film, tiennent le spectateur en haleine de bout en bout sans jamais user d’effets gratuits.

Pour incarner Tom et Gemma, le jeune couple trentenaire du film qui n’aspire qu’à une vie heureuse, Lorcan Finnegan a judicieusement choisi deux des meilleurs acteurs du cinéma indépendant, Jesse Eisenberg et Imogen Poots. Impressionné par l’incroyable performance d’Imogen Poots dans 28 semaines plus tard (28 Weeks Later, 2007) de Juan Carlos Fresnadillo alors qu’elle n’était âgée que de 17 ans, c’est à elle que s’est d’abord adressé le réalisateur pour lui proposer le rôle de Gemma. Elle a adoré le scénario et c’est elle qui, lors d’un déjeuner avec le réalisateur, va lui suggérer le nom de Jesse Einsenberg pour interpréter le personnage de Tom. Ce qui tombera très bien car Lorcan est fan de l’acteur depuis Les Berkman se séparent (The Squid and the Whale, 2005) de Noah Baumbach. Leurs personnalités lumineuses et leurs physiques « classiques » et expressifs apportent à la fois la vulnérabilité et l’humour qu’il faut aux personnages. Ce sont eux qui font que le processus d’identification des spectateurs aux personnages fonctionne à merveille. Toute l’étendue et la justesse de leur jeu vient témoigner du fait qu’ils incarnent tout deux parfaitement leurs personnages. Face à eux, pour leur donner la réplique, les autres comédiens du film ne sont pas en reste. Les compositions de Jonathan Aris, d’Eanna Hardwicke et du jeune Senan Jennings sont incroyables.

Original et singulier, aussi bien dans son parti pris formel que dans son traitement, Vivarium est un excellent film fantastique qui, dans le temps relativement court (1h38) et l’espace restreint qui lui sont impartis (le film est presque un huis-clos), crée l’exploit de nous faire vivre par métaphore une vie en accéléré. Et quand on l’accélère, on se rend mieux compte que la vie se révèle être effrayante. La vie est une absurde comédie, un véritable enfer. Quand le banal devient terrifiant.

Fable dystopique et satirique qui interroge, Vivarium est une critique sociale qui n’est autre que la métaphore de notre asservissement collectif et le révélateur de la vacuité de nos aspirations matérielles, de la vacuité de nos vies. Le regard acerbe et ironique que porte Lorcan Finnegan sur les questions sociétales, la qualité formelle de son travail, son utilisation maîtrisée du genre et la profondeur thématique du film rappellent le cinéma de l’immense John Carpenter. Fascinant et percutant, Vivarium témoigne avec bonheur du fait qu’il existe encore de nouveaux cinéastes qui connaissent, aiment et maitrisent leur art et qui, en plus, ont quelque chose à dire, ont un message à faire passer. Brillante réussite, Vivarium est à ne manquer sous aucun prétexte !   

Steve Le Nedelec

Vivarium un film de Lorcan Finnegan avec Jesse Eisenberg, Imogen Poots, Jonathan Aris, Olga Wehrly, Eanna Hardwicke, Senan Jennings… Scénario : Garret Shanley d’après une histoire de Lorcan Finnegan et Garret Shanley. Image : MacGregor. Décors : Philip Murphy. Costumes : Catherine Marchand. FX : Sefian Benssalem. Montage Tony Cranstoun. Musique : Kristian Eidnes Andersen. Producteurs : Brendan McCarthy, John McDonnell. Production : Lovely Productions – Fantastic Films – Frakas Productiobs – PingPong Film – XYZ Films. Distribution (France) : Les Bookmakers – The Jokers (Sortie en France : le 11 mars 2020). Irlande – Danemark – Belgique – France – Etats-Unis. 2019. 97 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. Dolby SR. DCP. Tous Publics avec avertissement : « En raison du climat oppressant, ce film peut heurter la sensibilité d’un jeune public ». Sélection : Semaine de la Critique, Cannes 2019 – L’Etrange Festival, 2019 – Gérardmar 2020. Même pas peur 2020.