Virus cannibale – Vincent Dawn (Bruno Mattei)

Virus cannibale seuil limite de l’absurde au cinéma, sorte de nectar du nanar, millésimé 1980, est une légende du Z. La réalisation de Bruno Mattei défie la raison, mais que tournait-il réellement ? Un remake sauvage du Zombie (1978) de George A. Romero et du Syndrome Chinois (1979) de James Bridges, grands succès de l’époque ? Une arnaque pour les marchés internationaux ? Tout cela et peut-être plus encore tant le scénario, écrit au fur et à mesure du tournage, ne tient compte de quoi que ce soit de logique, navigant à vue au gré des courants commerciaux du moment et de la lecture hebdomadaire du Variety. Les séquences s’enchaînent tant bien que mal dans un foutoir généralisé. Tout dans Virus cannibale est à l’emporte-pièce.

Bruno Mattei et son scénariste et assistant-réalisateur, Claudio Fragasso, improvisent un spectacle stupéfiant. L’expérimentation sur un virus mutant a lieu dans une centrale nucléaire (qui ressemble plus à une raffinerie qu’à une centrale nucléaire), Dieu sait pourquoi. Un groupe écologiste, particulièrement excité et irresponsable, prend en otage le personnel de l’ambassade des Etats-Unis à Londres (les voitures des policiers sont espagnoles !). Les revendications sont à l’image du film, totalement incohérentes. Ainsi, le chef hurle : « On n’a pas le droit de tuer les autres, c’est pour ça que je vous tuerai ! ». Une perle parmi d’autres.

Les acteurs sont en roue libre. Bruno Mattei laisse s’exprimer la créativité de chacun afin de combler les pages blanches du script, cela donne des moments hallucinants. La journaliste qui part à la rencontre des sauvages, nue, avec un drôle de maquillage (primitif) sur le visage, une ligne noire descendant jusqu’au nombril, et pour masquer son pubis une ceinture de feuilles. Mattei en profite, l’espace d’un plan, pour cadrer plein écran les seins (charmants) de Margit Evelyn Newton. C’est la séquence sexy du film, mais comme tout le reste cela n’aboutit à rien. Rien de comparable avec la sidération qui saisit le spectateur quand un membre des forces spéciales chantonne Chantons sous la pluie, au beau milieu des zombies, dans un improbable hommage à Orange mécanique ! Dingue.

Virus cannibale est un festival de champs / contrechamps par utilisation massive de stock-shots, des morceaux ou des chutes d’autres films, sans la moindre cohérence visuelle ou géographique. Mattei et son monteur placent tout ce qu’ils ont sous la main. Leur Nouvelle-Guinée devient un monde à part, où se croisent, Toucans, gerboises, chouettes, éléphants d’Afrique, chauves-souris, etc. Que dire de l’aspect ethnographique ?  Là aussi tout est bon pour faire du métrage, des plans de Mondo particulièrement gratinés : rites funéraires, morts, animal éventré, tout ce qui peut susciter le dégoût est montré. Mattei utilise même des chutes de La Vallée de Barbet Schroeder (images de Nestor Almendros). Tout cela sans la moindre exigence au niveau des raccords lumière, rendant impossible toute harmonisation à l’étalonnage. Bancal en diable, Virus cannibale, offre aussi quelques effets gore réussis et à la surprise générale un semblant de mise en scène lors de la séquence de l’attaque de la journaliste dans une salle de classe déserte.

Bruno Mattei utilise la musique comme les stock-shots, il colle sur la bande son des compositions d’autres films. Pêle-mêle se retrouvent des plages entières de Zombie, de Blue Holocaust et de Contamination des Goblin et d’un giallo Diamanti Sporchi di Sangue dû à Luis Bacalov, pas de doute ça fait riche. Une bonne part du budget rachitique de Virus cannibale a dû partir dans l’édition musicale.

La version française est à l’image du film, comme saisie d’une folie collective. Le virus certainement. C’est un véritable festival d’improvisation en one shot comme si la bande rythmo s’était retrouvée coincée au gré des bobines, laissant les acteurs de doublage livrés à eux-mêmes. Faites l’expérience de suivre la version française avec les sous-titres de la version italienne, ça mérite vraiment le détour.

Virus cannibale est à tous niveaux un truc de fou, une comédie involontaire, c’est dire la puissance de sa charge comique. Contrairement à beaucoup de films sérieux sortis à la même époque et depuis disparus des radars. Il est inutile de prendre Virus cannibale au sérieux et pourtant la Commission de classification, en son temps, l’interdit aux moins de 18 ans. Le second degré leur a complètement échappé. Plus fort encore, l’impayable censure anglaise l’inscrit sur l’infâme liste des Vidéos Nasties, une référence en soi.

Tout ce qui a été écrit de négatif sur Virus cannibale est exact : jeu pitoyable et amateur, nullité du montage, réalisation inexistante, etc., etc., Mais par un étrange phénomène d’inversion des valeurs, tous ces éléments se sont métamorphosés, au fil des années et de ses milliers d’égarés dans l’enfer de la vidéo, en qualités (comique et absurde). Virus cannibale est à tout niveau un cul-de-sac dont il serait pure folie de s’acharner à trouver une quelconque cohérence interne. Culte, vraiment culte.

Fernand Garcia

Virus cannibale est disponible en combo (Blu-ray – DVD) chez Rimini Editions, copie du film HD impeccable, en complément : Christophe Lemaire (critique et journaliste de cinéma) évoque sa découverte du film avec ses camarades de Starfix et bien sur l’œuvre elle-même (27 minutes). L’éditeur joint à cette édition un livret, reprise d’une longue et passionnante interview de David Didelot lors de la sortie de son ouvrage sur le cinéaste (20 pages).

Concernant « l’œuvre » de Bruno Mattei, nous vous conseillons le livre de David Didelot, certainement le plus grand connaisseur au monde du cinéaste, sobrement intitulé Bruno Mattei, Collection Cinéma Bis – Itinéraires Bis, aux Editions Artus Films (450 pages).

Virus cannibale (Virus – L’Inferno del Morti Viventi) un film de Vincent Dawn (Bruno Mattei) avec Margit Evelyn Newton, Frank Garfield (Franco Garofalo), Selan Keray, Robert O’Neil (José Gras), Gaby Renom, Victor Israel, Luis Fonoll (Josep Lluis Fonoll)… Scénario : Claudio Fragasso, José Maria Cunilles (et non crédité Rossella Drudi). Directeur de la photographie : John Cabrera. Décors : Antonio Belart. Maquillage : Giuseppe Ferranti. Montage : Claudio Borroni. Producteurs : José Maria Cunilles, Isabel Mula. Production : Beatrice Film – Films Dara. Italie-Espagne. 1980. 100 minutes. Telecolor. Format image : 1.85 :1. 16/9e. Son : Version italienne avec ou sans sous-titres (Dual Mono) et Version Française (Stéréo). Interdit aux moins de 16 ans.