Un dollar entre les dents – Luigi Vanzi

Étrange destin que celui d’Un dollar entre les dents produit dans le sillage des Dollars de Sergio Leone! Le film est un médiocre succès en Italie et passe inaperçu en France. L’acteur Tony Anthony propriétaire des droits du film pour les Etats-Unis les cédait à Allen Klein, futur manager des Rolling Stones et des ex-Beatles John Lennon, George Harrison et Ringo Starr. Klein rétrocède ses droits à la MGM en quête d’un succès à la Leone sur le territoire américain. Rebaptisé The Stranger in the Town, la firme au lion déploie toute sa puissance de frappe dans une importante campagne publicitaire, c’est un carton. Une suite est aussitôt mise en chantier, Un homme, un cheval, un fusil (The Stranger Returns, chez l’Oncle Sam). Le succès étant une fois de plus au rendez-vous, une suite est aussitôt entreprise, Le cavalier et le samouraï (The Silent Stranger) dont l’action se déroule au Japon. Tous trois dirigés par Luigi Vanzi avant que Ferdinando Baldi ne réalise la dernière aventure de L’Etranger avec Pendez-le par les pieds (Get Mean) en 1975.

Le héros de cette trilogie est Tony Anthony, acteur américain venu en Italie pour faire carrière. Anthony avait débuté comme producteur aux Etats-Unis et en compensation d’un cachet des plus modestes sur Un dollar entre les dents, il obtient donc les droits pour le marché américain, un bon investissement. Le film se transforme en une petite coproduction entre l’Italie et les Etats-Unis. Le tournage à Almeria en Espagne se révélant beaucoup trop onéreux pour la production, c’est dans la banlieue de Rome en Studio et dans ses environs que Luigi Vanzi plante ses caméras. Le résultat à l’image est tout à fait valable.

Le vent souffle fort, puis meurt aussi soudainement qu’il était apparu. Un cavalier (Tony Anthony) entre dans la ville, elle est déserte. Un soleil de plomb tient les rares habitants à l’écart des rues poussiéreuses. Les péons dorment tous adossés aux murs. Le cavalier en pousse un du pied, il s’effondre, mort, égorgé… Le conseil d’un Mexicain hors-la-loi siffle aux oreilles de l’Etranger « Pars et ne t’arrête pas avant d’avoir parcouru dix miles », mais il s’en fout, le Mexicain finit au sol. L’Etranger n’est pas là par hasard…

Un dollar entre les dents est un western européen, il avance selon un rituel gravé dans la roche par Leone (et Kurosawa) dans Pour une poignée de dollars (et Yojimbo). Un étranger sans nom arrive dans une petite ville et découvre de pauvres habitants terrorisés par un impitoyable tueur. Paysage désertique, gueule patibulaire, sentiment exacerbé, cynisme à tous les étages, rien ne manque. Il suffit de se prendre au jeu. La pauvreté des moyens n’est pas un handicap, elle disparaît dès l’apparition du méchant, Aguilar (Frank Wolff), être vil et brutal. La force du western se cache dans l’inhumanité de son méchant. Frank Wolff a la gueule de l’emploi, il s’en donne à cœur joie,  il éructe, ricane et massacre tant et si bien que les incohérences du film passent au second plan. Dans cet étalage de sadisme, il faut une face pure, Chica (Jolanda Modio), la brave mère vite contrebalancée par Maruka (Gia Sandri), une garce amante d’Aguila. La première est trop pure pour intéresser réellement l’œil du spectateur, Jolanda Modio est une « belle plante », on frisonne pour elle sans passion. Par contre, Maruka attire aussitôt l’attention, assemblage d’ambiguïtés, elle navigue entre le bien (un tout tout petit peu, soyons honnête) et le mal (avec énormément de délectation). Gia Sandri, brune, cheveux courts, fascine instantanément. Son sourire de satisfaction après un massacre et sa manière de manier le fouet, un rêve pour tout pervers admirateurs de scènes déviantes.

Quant au héros, L’Etranger sans nom, c’est un looser magnifique, clone déviant de l’Homme sans nom (Clint Eastwood) des Dollars. L’Etranger est pour Tony Anthony la chance de sa vie. Acteur un poil fade à l’écran, Anthony enrichit son personnage de quelques excentricités au fil des trois films de la saga. Vêtu d’un tricot de corps rose, il arborera une ombrelle, orientant son personnage vers une imagerie bisexuelle assez surprenante dans un genre où la masculinité viriloïde est dominante.

Un dollar entre les dents est le premier western d’un ex-assistant, Luigi Vanzi, ce n’est pas son premier film, il avait déjà dirigé sous plusieurs pseudonymes, péplums et films d’espionnage, après avoir débuté dans le « Mondo » dans le sillage de Jacopetti et Prosperi. Il est loin d’être un stakhanoviste du cinéma de genre puisque sa carrière ne compte que huit films réalisés entre 1960 et 1973. Un dollar entre les dents est un travail pro, de bons mouvements de caméra, parsemé de touches d’humour assez bienvenues. Vanzi n’a pas l’emphase baroque des maîtres du western italien, mais son sens du rythme donne à l’ensemble une belle dynamique. Vanzi et Anthony se retrouveront pour les deux autres films de la saga et une dernière fois avec un polar mafieux, Piazza pulita, en 1973.

La musique de Benedetto Ghiglia, moins sophistiquée et expérimentale que celle d’Ennio Morricone, n’en demeure pas moins excellente et apporte une ponctuation musicale d’excellente qualité.

La résolution du conflit se conclut logiquement dans un déchaînement de violence où les corps tombent criblés de balles. Le duel final entre L’Etranger à Aguila termine Un dollar entre les dents dans un ruissellement de douilles pour un maigre dollar.

Fernand Garcia

Un dollar entre les dents, un superbe mediabook (Blu-ray – DVD – Livret) d’Artus Films dans la collection Western Européen. Le Master 2K restauré proposé est somptueux. Le livret : La Sage de l’Etranger par Alain Petit est un petit précis (64 pages tout de même) des plus éclairants sur la saga et Un dollar entre les dents en particulier, l’iconographie est impeccable. Artus ne s’arrête pas au livret et ajoute en suppléments : Une présentation du film par Curt Ridel. Excellent connaisseur du genre, Ridel pointe gentiment les diverses gaffes du film (9 minutes).Un entretien avec Tony Anthony et Ron J. Schneider (producteur) réalisé en 2015. Retour passionnant sur des modes de productions pour le moins artisanales mais toujours créatives. Un bel hommage à Frank Wolff de la part d’Anthony et de savoureux souvenirs de Klaus Kinski, un document rare et particulièrement émouvant (23 minutes). Le générique français aux temps héroïques des Films Jacques Leitienne (2’57). Un diaporama d’affiche et de photos et enfin le film-annonce original (3’19).

Un dollar entre les dents (Un Dollaro Tra I Denti – A Stranger in Town) un film de Vance Lewis (Luigi Vanzi) avec Tony Anthony, Jolanda Modio, Frank Wolff, Gia Sandri, Raf Baldassarre, Aldo Berti, Enrico Capoleoni, Arturo Corso, Antonio Marsina, … Directeur de la photographie : Marcello Masciocchi. Scénario : Jone Mang et Warren Garfield. Décors et costumes : Carmelo Patrono. Montage : Maurizio Lucidi. Musique : Benedetto Ghiglia. Producteurs : Roberto Infascelli et Massimo Gualdi. Production : Primex Italiana (Rome) – Taka Production INC. (New York). Italie – Etats-Unis. 1966. 86 minutes. Estmancolor. Wide Screen. Format image :  1,85 :1. 16/9e compatible 4/3. HD 1920/1080p. Son : VO italienne sous-titrée et VF. Tous Publics.