Ugly – Juri Rechinsky

Une femme assise dans une baignoire. Elle rit, elle pleure. Quelqu’un lui donne une douche. Nous ne savons pas encore qu’elle s’appelle Hanna (Angela Gregovic) et qu’elle est Autrichienne. Une longue route balayée par la neige. Hanna est allongée sur une civière, les internes s’activent autour d’elle; à quelques pas, son compagnon Jura (Dmitriy Bogdan). Il est Ukrainien. Nous sommes dans un hôpital vétuste, délabré, quelque part en Ukraine. Un champ de blé balayé par les vents. Une voiture a quitté la route. Jura sort du véhicule tandis qu’Hanna git inconsciente à l’intérieur…

Le début est intrigant et nous emporte immédiatement au cœur de l’histore. Ugly est un puzzle dont les différentes pièces vont se mettre en place, s’emboiter et révéler un paysage humain à plusieurs facettes. Portrait d’un couple, Hanna et Jura, de leurs parents et de deux pays, l’Ukraine et l’Autriche. Ugly s’ouvre sur la douleur et se termine dans la mélancolie. A l’hôpital, Hanna est au plus mal, son corps n’est plus qu’une souffrance. Elle hurle de douleur, Jura ne peut rien pour elle, il culpabilise, fume cigarette sur cigarette, erre dans les couloirs à la recherche d’une infirmière qui puisse soulager sa compagne. Il n’a que de brefs moments de repos quand Hanna s’endort. Mais, la douleur est trop forte et elle se réveille dans d’atroces souffrances. Séquences puissantes où les cris succèdent à des plages de silence. L’angoisse de Jura devient palpable. Longue partie sans dialogue et puis nous basculons en Autriche. Une soirée, une maison chic, aseptisée. Martha (Maria Hofstätter), la mère d’Hanna reçoit. Hanna joue Bach au piano. C’est un flash-back et puis nous allons perdre le fil de cet enchevêtrement de temps, mais quelle importance, l’essentiel est ailleurs.

Martha souffre d’Alzheimer. Le temps file entre ses doigts et nous, spectateurs, nous nous perdons dans cet espace-temps. Martha aime son compagnon plus jeune, Joseph (Raimund Wallisch), mais n’est plus capable de faire l’amour avec lui. Rude séquence où Joseph et Martha tentent le coup, mais elle se termine pathétiquement dans le vomi. Elle a oublié les gestes de l’amour, trop de médicaments. Joseph ne sait plus être à son écoute. A l’hôpital, Hanna revient à la vie. Elle a besoin des caresses de Jura de sentir ses mains sur son corps. Elle tente de faire l’amour avec lui, mais il est bien trop perturbé.

Ce qui nous semblait être des différences en l’Autriche et l’Ukraine, accentué par le décor, va petit à petit s’aplanir. Martha dérive sur une barque et une rame qui s’échappe de ses mains. Le silence l’entoure. Hanna et Jura sortent de l’hôpital avec dans le lointain le bruit d’explosion, ils sont dans la réalité dur d’un pays divisé et meurtri comme leur couple. Ugly est un film sur la difficile reconstruction de l’amour. L’enfant que porte Hanna est peut-être le signe d’un espoir.

Juri Rechinsky réussit un premier film de fiction d’une grande maitrise. Il y a une évidente parenté avec le cinéma d’Ulrich Seidl (co-producteur) ne serais-ce que par l’utilisation de la même actrice Maria Hofstätter (la mère) et de ses chefs opérateurs : Wolfgang Thaler et Sebastian Thaler. Pourtant Juri Rechinsky a son univers propre, plus lyrique et mélancolique que Seidl. Et contrairement à l’auteur d’Import/Export, Rechinsky n’hésite pas à utiliser la musique, et on ne saurait lui donner tort tant la partition d’Anton Baibakov est magnifique. Les acteurs, Angela Gregovic, Dmitriy Bogdan, Maria Hofstätter, Raimund Wallisch, sont impeccables.

Ugly a la beauté des œuvres imparfaites avec ses moments d’une brillance si intense qu’ils emportent le spectateur.

Fernand Garcia

Ugly un film de Juri Rechinsky avec Angela Gregovic, Dmitriy Bogdan, Maria Hofstätter, Raimund Wallisch, Larysa Rusnak, Vladislav Troitskyi… Scénario : Klaus Pridnig, Juri Rechinsky. Image : Wolfgang Thaler, Sebastian Thaler. Direction artistique : Conrad Moritz Reinhard. Costumes : Oksana Meinychuk. Montage : Roland Stöttinger. Musique : Anton Baibakov. Producteurs : Alexander Glehr, Franz Novotny, Ulrich Seidl, Maxim Asadchiy. Production : Novotny & Novotny Filmproduktion – Ulrich Seidl Film Produktion – Pronto Film. Ukraine – Autriche. 2017. 100 minutes. Couleur. Sélection 2017 : Rotterdam Film Festival. Nouveaux Talents, L’Etrange Festival.