The Land of Hope – Sono Sion

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Un tremblement de terre frappe le Japon, entraînant l’explosion d’une centrale nucléaire. Dans un village proche de la catastrophe, les autorités tracent un périmètre de sécurité avec une bande jaune qui coupe en deux la localité. Une sorte de ligne de démarcation absurde, entre danger bien réel et sécurité toute théorique. Au sein de la famille Ono, les parents, âgés, choisissent de rester. Leur fils et son épouse acceptent d’être évacués pour fuir la radioactivité…

Cinéaste « punk » de la chair et du sang, du vice et de la violence, Sono Sion invente son cinéma quand il filme et donne du Japon une vision extrêmement contemporaine. Il donne à voir le Japon tel qu’il se construit et se déconstruit au temps présent. En cela, il rappelle les cinéastes des années 60. C’est avec son style (la fureur et l’outrance), ses thèmes ou encore ses personnages qu’il rompt avec le cinéma de ses aînés. Avec The Land of Hope, Sono Sion semble s’être assagi. Il signe ici un film inhabituellement pudique ancré au cœur même de la culture de son pays, de son actualité et donc, forcément, de ses traumas. Marqué au plus profond de son être par les catastrophes naturelles qui ont frappé son pays (séisme, tsunami,…) et ce qu’elles ont engendré (catastrophe de Fukushima,…), Sion « s’efface » devant l’importance et la gravité de son sujet, devant l’horreur du réel. La violence de la catastrophe dépasse celle qui anime habituellement la révolte du cinéaste. Le sujet ne nécessite pas de mise en scène provocatrice. Cela donne au spectateur la possibilité de voir le film tranquillement, en réfléchissant non seulement au problèmes du nucléaire, à la catastrophe, mais aussi à la situation politique et sociale du pays ainsi qu’aux drames humains (mais pas seulement) qu’ils provoquent.

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Film engagé s’il en est, The Land of Hope est le dixième film de son auteur et le deuxième (seulement), après Guilty of Romance (sorti le 25.07.12) à sortir sur les écrans français. Après Imizu (2011), inédit en France, tourné l’année même de la catastrophe du 11 mars et déjà entièrement dédié au sujet, Sono Sion, en poète virtuose, articule son film post-apocalyptique en véritable pamphlet à l’encontre de l’ère nucléaire. Mais alors qu’Imizu reste un film plus viscéral, l’auteur poursuit ici son exploration des conséquences de l’accident sur la société et les hommes avec une mise en scène digne des grands maîtres classiques à travers le drame pur. Véritable oeuvre sociale, The Land of Hope développe les différents dangers qu’apporte l’énergie nucléaire, sur l’environnement, la santé et surtout, la cohésion sociale entre les individus jusqu’au sein même des familles. Bien qu’invisibles, les radiations s’introduisent partout et provoquent le désordre jusque dans l’intime. Sion parvient même à capter la menace invisible, impalpable de l’air.

Le récit du film s’articule autour de trois couple et de l’impact de la catastrophe nucléaire sur leurs vies. Le premier, le vieux couple (les parents), dont la femme est atteinte de la maladie d’Alzheimer et n’a de cesse de souligner l’absurdité de l’existence des centrales (ironique car c’est elle qui a perdu la raison), qui ne veut pas quitter la terre de ses ancêtres. Le second, que forment leur fils unique et sa femme enceinte, qui eux fuient sur ordre du père. Le dernier, un jeune couple voisin, évacué suite à l’accident, qui ère comme des âmes en peine dans une terre désolée en quête des parents de la jeune femme mais aussi et surtout d’un avenir où tout est à reconstruire « pas à pas ». Un lendemain est-il possible ? C’est en suivant ces personnages dignes et bouleversants que Sion  construit son film témoin, frontal et poétique à la fois, qui tend à exorciser le démon de Fukushima, véritable traumatisme collectif. Il rend hommage à la dignité de tout un peuple pour qui la propriété et l’héritage sont très importants culturellement.

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Mais si la forme du cinéma du réalisateur a changé et semble plus « classique » en apparence (lumière sublime; cadre soigné; découpage des scènes et montage impeccable;…), plus posée, sa mise en scène sensible n’en est pas moins sophistiquée et rigoureuse, et dissimule sous cette apparente douceur, la rage qui le caractérise. La beauté de chaque plan met en exergue l’horreur de la tragédie. En effet, même si ce film offre des scènes fortes, bouleversantes et déchirantes, les motifs et obsessions qui font la marque de Sono Sion sont toujours bien présents : La destruction de la cellule familiale; le déracinement; le sens du devoir; l’instinct de survie; le déni; l’errance, l’abandon; l’isolement; le deuil;… Les vies dévastées. Comme le paysage. Comme le pays. Il expose les suites destructives qu’engendre inéluctablement un tel drame. Il  utilise le prisme de la cellule familiale et part de l’intime pour atteindre l’universel.

Film après film, Sono Sion dissèque et dénonce la tragique et terrible réalité de son pays. Tourné dans les paysages dévastés par le tremblement de terre et le tsunami, le film est d’un réalisme terrifiant. Il éveille les consciences sur un sujet grave dont il est capital d’avoir une réflexion urgente. L’action du film se déroule dans la ville fictive de Nagashima (contraction des noms des deux villes frappées par la bombe atomique) et traite d’un nouveau drame après Fukushima. Film d’anticipation, The Land of Hope dit ce qui a été et ce qui pourrait à nouveau être. Se refusant à tout sensationnalisme gratuit, Sono Sion, dès le début du film, traite l’accident en hors-champs pour se concentrer sur sa fable virulente et désenchantée des conséquences et des ravages sur la communauté : Les régions agricoles désertées; la politique du pays (mensonges et incompétences); la gestion de crise (les autorités incapables de fournir la moindre explication; les évacuations forcées d’habitants effrayés;…); les familles séparées; les décisions absurdes et arbitraires; la désinformation utilisée pour rassurer; les paranoïas suscitées;… La somme de détails réalistes présents montre bien la matière documentaire accumulée par l’auteur pour l’écriture de son film au titre ironique. Il est également important de noter le travail effectué sur le son, remarquable d’inventivité et lourd de sens (la raisonnance des pieux de la barrière qui délimite la zone dangereuse; le compteur Geiger;…). Ainsi que la musique (l’adagio de la 10ème symphonie de Gustav Mahler) qui porte et élève certaines séquences (par exemple, la danse sous la neige) de façon sublime.

Mais même si il n’y a pas d’espoir dans le film, Sion parvient à aérer intelligemment sa cruelle tragédie avec un humour subtil et des scènes d’instants de vie, de joie et d’amour qui subsistent au milieu du chaos et qui donnent lieu à des moments de fulgurances lyriques poignants. Un drame sans concession qui traite le réel avec lyrisme. Une grande oeuvre crépusculaire et bouleversante.

Sono Sion, en véritable maître, utilise le cinéma dans sa globalité afin de dépasser, de transcender le cadre du réel et le rendre « beau », intelligent et universel. La définition même de l’Art.

Steve Le Nedelec

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The Land of Hope (Kibô no Kuni), un film  de Sono Sion, avec Isao Natsuyagi, Jun Murakami, Megumi Kagurazaka. Scénario :  Sono Sion. Photo : Shigenori Miki. Montage : Jun’Ichi Itô. Producteurs : Mizue Kunizane, Yuji Sadai, Yûki Shiomaki. Production : Marble Films. Distribution (salles) : Metropolitain Filmexport. Sortie France le 24. 04.2013. Japon. 2012. Format image : 1,85 :1. Couleur. Durée : 133 mn.