Shaun le mouton, le film : la ferme contre-attaque – Will Becher & Richard Phelan

Ces temps-ci, il y a de quoi faire si on aime l’animation. La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti, bientôt Le voyage du prince de Jean-François Laguionie, et le nouvel opus des studios Aardman : Shaun le mouton, le film : la ferme contre-attaque (titre français assez idiot et beaucoup moins évocateur que le Farmageddon du titre original).

Il s’agit du deuxième long-métrage ayant pour héros Shaun, ce jeune mouton malin et débrouillard, apparu pour la première fois dans un des courts-métrages de la série Wallace et Gromit, Rasé de près, où il faisait le désespoir de Wallace en lui mangeant son fromage préféré. Shaun a ensuite donné lieu à une série (rien moins que 150 épisodes de 6 minutes), un premier long-métrage en 2015 (Shaun le mouton, le film), un court-métrage d’une demi-heure toujours en 2015 (Shaun le mouton : les lamas du fermier), et enfin le présent Farmageddon.

Le début est hilarant : Shaun et les autres moutons du troupeau, qui s’ennuient ferme dans leur ferme, imaginent sans cesse de nouvelles activités plus ou moins destructrices, et sont sans cesse coupés dans leurs élans par le chien Bitzer, le gardien du troupeau, obligé de produire presque à jet continu de nouveaux panneaux d’interdiction pour tenter d’endiguer l’énergie moutonnière. Ensuite vient le cœur de l’histoire : un gentil extra-terrestre que Shaun et ses amis vont devoir aider à rentrer chez lui (les résumés du film parle de l’alien comme d’une fille, mais la chose ne me paraît pas évidente. Est-ce que quand on est rose violacé tirant sur le bleu et qu’on a l’air légèrement niais on est forcément du sexe féminin ?) Quoi qu’il en soit (et quel que soit leur sexe), les studios Aardman aiment les extra-terrestres. Il y en a plusieurs dans la formidable série Creature Comforts (où les animaux, à la différence du monde de Shaun, sont atteints de diarrhée verbale), il y a un court métrage de la série Robbie the Reindeer où de méchants aliens essaient d’envahir la terre, extraterrestres et science-fiction font partie de la panoplie thématique récurrente de Nick Park et de ses petits camarades animateurs de pâte à modeler. Et c’est aussi l’occasion de multiples clins d’yeux, références, hommages, citations, parodies ou jeux de mots plus ou moins vaseux (j’aime beaucoup, entre mille exemples, le garage H. G. Wheels).

L’animation est un sport d’endurance. Même quand le personnel est pléthorique et que l’on utilise les services de l’ordinateur, il faut toujours produire inlassablement les 24 images requises pour faire une seconde de film, soit, pour un film d’1h30, environ 130 000 images. Et quand il s’agit comme ici d’un film en stop motion, où il faut animer image par image des figurines en pâte à modeler, la tâche est quelque peu titanesque. Certaines grosses productions considèrent sans doute que ce travail est trop laborieux pour être gâché et ne dilapident pas leur énergie, allant droit au but, sans fioritures. Un film comme L’âge de glace par exemple, tout à fait honorable par ailleurs, est archibalisé, chaque gag, chaque action, chaque développement du scénario est amené avec application et méticulosité, une chose à la fois, un clou chassant l’autre.

La ferme contre-attaque, même s’il a été par la force des choses préparé avec tout autant de méticulosité (et on imagine l’importance de la force des choses pour un film d’animation), se paie le luxe, justement, de dilapider son énergie, de baguenauder, de partir dans plusieurs directions à la fois, et de bourrer chaque plan de bien plus de détails qu’un spectateur moyen ne peut en voir. C’est un cinéma généreux qui déborde de partout, qui ne lésine ni sur sa peine ni sur la denrée, dans une continuelle profusion visuelle (et sonore, car même si tout le monde ne s’y exprime quasiment que par cris ou borborygmes, la bande-son est tout aussi touffue).

J’ai une très légère prédilection pour le slip kangourou rouge du fermier, qu’on voit à deux ou trois reprises, donnant lieu à chaque fois à cette sorte de gags discrets mais efficaces, noyés dans la masse d’informations mais qui vous mettent dans un état de douce hilarité dès qu’on les a repérés (évidemment, à chacun de trouver ses détails préférés, qui ne sont pas forcément des slips kangourous). (C’est un peu comme le magazine « Nun Wrestling » (Combat de nonnes) que lit l’évêque dans Wallace et Gromit, Le mystère du Lapin-Garou : un truc délicieux qui nous fait pouffer en y repensant.).

Shaun le mouton, le film : la ferme contre-attaque (décidément, je ne me fais pas au tire français), c’est le langage universel du mouton débridé et de l’humain toujours un peu crétin. On ne peut pas imaginer un film qui soit davantage tous publics que celui-là. Aucun dialogue franchement compréhensible, pas de doublage, pas de sous-titre, même pas besoin de savoir lire (encore que si l’on sait, on glane ici et là quelques-uns de ces si savoureux détails). Comme Tintin, pour les jeunes de 7 à 77 ans, et même avant et après. Il y en a pour tous les goûts, pour tous les âges, à boire et à manger, c’est drôle, c’est intelligent, on peut y emmener toute sa famille. Ou y aller seul(e), c’est bien aussi.

Emmanuelle Le Fur

Shaun le mouton, le film : la ferme contre-attaque (A Shaun the Sheep Movie : Farmageddon) un film de Will Becher et Richard Phelan. Scénario : Jon Brown d’après une histoire de Mark Burton et Nick Park d’après des personnages de Nick Park. Image : Charles Copping. Decors : Matt PerryMontage : Sim Evan-Jones. Musique : Tom Howe. Producteur : Paul Kewley. Production : Aardman Animations – Amazon Prime Video – Anton – StudioCanal.Distribution (France) : StudioCanal (Sortie le 16 octobre 2019). Grande-Bretagne. 2019. 86 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. Son : 5.1. DTS. Dolby Atmos. Tous Publics.