Saga Freddy Krueger

Freddy Krueger ou la rhétorique du doute

Saga Freddy Krueger (1984-1994)

Et si derrière son attirail visuel grandiloquent et bigarré, l’infâme tueur en série Freddy Krueger de la saga d’horreur Nightmare on Elm Street était la figure la plus politique du bestiaire des années 80 ?

A revoir régulièrement tous les épisodes à intervalle régulier depuis une trentaine d’année, le sadique au pull rayé vert et rouge m’apparaît plus clairement comme la figure freudienne du minotaure homérique des années « Yuppies » aux Etats-Unis. Un obstacle à surpasser pour atteindre l’affirmation de soi, de ses capacités physiques et intellectuels dans la réussite sociale indissociable du rêve américain sous l’ère Reagan.

L’icônisation de Krueger à son âge d’or tient moins de l’exutoire des pulsions anarchiques adolescentes trouvant écho dans la psyché du cinéma d’horreur depuis les années 60 que de la figure de guide spirituel qu’il véhicule dans chacune de ses apparitions tout au long des 7 opus.

Indéniablement, Freddy est éternel – comme il l’assène à Lisa Wilcox impuissante à le détruire dans Le cauchemar de Freddy (A Nightmare on Elm Street 4 : The Dream Master, 1988)- car Freddy est une idée. Il est l’exact opposé du rêve américain basé sur la confiance en soi et en sa patrie. Il représente l’idée de doute pour des millions d’adolescents sur les choix qui guideront leurs vies futures avec la menace bien réelle que la réussite ne soit inatteignable.

Freddy Krueger n’existe que pour interroger la pleine consciente des actes de chacun des personnages. Que ce soit sur la sexualité (Dois-je avoir l’autorisation de faire l’amour pour la première fois ? Avec quel partenaire ? Pour le plaisir ou pour enfanter ?….) sur l’ambition professionnelle (Ai-je les capacités et le tempérament pour suivre une carrière de dessinateur ? Vais-je avoir le courage de quitter ma ville natale pour réussir ? …) ou bien les combats personnels (A quel point suis-je prête à maigrir pour être désirable, Comment surmonter ma timidité pour réussir ? Ai-je envie de suivre le modèle de mes parents ?…). Comme le Minotaure, Freddy Krueger force les protagonistes à entrer dans le tunnel – avec ou sans fil d’Ariane – pour les confronter à leurs propres démons intérieurs. Ceux que la société américaine a inconsciemment créés dans l’esprit de la jeunesse des Roaring eighties : l’obligation de réussite sociale inhérente au rêve américain.

A la fin des années 80, une autre œuvre d’anticipation se pencha sur la schizophrénie de l’idéal républicain aux Etats-Unis : Invasion Los Angeles (They Live, 1988) de John Carpenter. Dans cette satire de la politique républicaine américaine, Carpenter nous montre l’après Krueger. Une fois adulte, le citoyen américain est soit riche, bien-pensant et collabo, soit pauvre et apathique. Les lunettes noires remplacent ici le rêve Kruegerien pour cacher la supercherie surréaliste extraterrestre, mais le résultat est le même. Quelque chose à gangréner l’âme humaine de manière si subtile qu’elle a été effacée de chaque enveloppe corporelle : Perdue dans les limbes de l’enfer pour la saga Krueger, servant de camouflage pour les extraterrestres dans Invasion Los Angeles. Dans les deux cas, l’individu à perdu sa place dans la société par lâcheté, faiblesse, égoïsme ou mensonge.

D’autre part, La saga Kruegerienne questionne la notion d’héritage social tout au long des opus. Laissant les enfants réparés les erreurs de leurs parents au risque d’y laisser leurs vies afin d’envisager un possible avenir radieux. Le constat est dépressif bien entendu car le mal est fait et la dépression psychologique est déjà bien installée – le bodycount ne cesse jamais. Cette idée culminant alors avec l’abandon pur et simple de toute la jeunesse de la ville aux institutions publiques dépassées dans La fin de Freddy – l’ultime cauchemar (Freddy’s Dead : The Final Nightmare, 1991) préférant laisser les adultes rejouer à l’infini l’idéal d’americana avec les fantômes des enfants morts dans un Springwood abandonné.

Lionel Fouquet

La Saga Freddy est disponible en coffret ou à l’unité (DVD et Blu-ray) les films : 1. Les Griffes de la nuit (A Nightmare on Elm Street, 1984) de Wes Craven. 2. La Revanche de Freddy (A Nightmare on Elm Street Part 2 : Freddy’s Revenge, 1985) de Jack Sholder . 3. Les Griffes du cauchemar (A Nightmare on Elm Street 3 : The Dream Warriors, 1987) de Chuck Russell. 4. Le Cauchemar de Freddy (A Nightmare on Elm Street 4 : The Dream Master, 1988) de Renny Harlin. 5. L’Enfant du cauchemar (A Nightmare on Elm Street 5 : The Dream Child, 1989) de Stephen Hopkins. 6. La Fin de Freddy- L’ultime cauchemar (Freddy’s Dead : The Final Nightmare, 1991) de Rachel Talalay. Deux autres films ont réutilisés ce personnage : Freddy contre Jason (Freddy vs. Jason, 2003) de Ronny Yu (dixième opus de la saga Vendredi 13) et un remake : Freddy- les Griffes de la nuit (A Nightmare on Elm Street, 2010) de Samuel Bayer. Titres disponibles chez Metropolitan.