Rosebud – Otto Preminger

Hacam (Yosef Shiloach) débarque en Corse et poursuit son voyage en car. Il s’arrête dans un petit village dans la montagne et rejoint le domaine d’« A. Tardets ». Kirkbane (Amidou) l’accueille chaleureusement. Depuis un an, il travaille à l’aménagement d’une pièce secrète dans la cave de la bâtisse, elle doit accueillir des otages. Il s’agit d’une cellule de L’OLP. Hacam, un terroriste recherché, est venu superviser une opération soigneusement préparée d’enlèvement de riches héritières…

34e et avant-dernier film d’Otto Preminger, Rosebud est une œuvre passionnante et inégale. Le projet est ambitieux, une radiographie de l’état du monde à l’heure du terrorisme. Cartographie de différentes organisations, où les enjeux politiques et religieux combiner à des ambitions personnelles et au business des armes créent une situation explosive. Tous ses éléments se retrouvent exposés dans le film souvent au détriment des personnages.

Otto Preminger débute le tournage à Juan-les-Pins le 20 mai 1974 avec un scénario en cours d’écriture, dont les grandes lignes de l’action sont déjà en place. Preminger mise sur de jeunes actrices pour le groupe que l’OLP kidnappe. Si Kim Cattrall débute à l’écran, les autres ont un peu plus d’expériences : Isabelle Huppert, Debbie Berger (la fille de William Berger, un des acteurs favoris des westerns italiens), Barbara Emerson et Lalla Ward. En cours de route, Preminger remplace Barbara Emerson par Brigitte Ariel, mais aussi Yves Beneyton par Georges Beller (qui fera une belle carrière de présentateur à la télévision) pour incarner un idéaliste gauchiste anticapitaliste.

Robert Mitchum est Larry Martin, l’ex-baroudeur de la CIA, reconverti en reporter pour Newsweek. Il a la carrure nécessaire au personnage. Mais la conception du personnage tel que joué par Mitchum et celle imaginée par Preminger ne concorde pas. Après quelques jours de tournage, la relation entre Mitchum et Preminger est tendue. D’un commun accord Mitchum quitte le film. Peter O’Toole le remplace au pied levé. L’acteur de Lawrence d’Arabie reprend les scènes déjà en boîte avec Mitchum, celles avec Isabelle Huppert, la bagarre avec Amidou. Le jeu change du tout au tout. A l’écran, Peter O’Toole déconcerte et semble ne pas être à sa place. Il donne pour Martin une interprétation curieuse, un peu précieuse. O’Toole peine à être crédible. Sa scène de corps-à-corps avec Amidou est d’une grande mollesse et les mouvements sont maladroits, l’on sent les efforts de montage pour masquer ces faiblesses. O’Toole affuble son personnage d’un chapeau vert, probablement pour indiquer les origines irlandaises de Martin, le vert étant la couleur nationale du pays. Encouragé par Preminger, O’Toole est toujours dans l’ironie et ses dialogues tirent vers un humour décalé. Manière pour Preminger d’atténuer les ramifications politiques et polémiques de l’histoire.

Dans le mouvement chaotique du film, les scènes où Martin est assailli par les avances de la jeune Hélène (Isabelle Huppert) relèvent de la comédie ce qui laisse pour le moins interloquer. La pauvre fille ex-otage, tombe amoureuse de Martin se métamorphosant subitement en une nymphomane. La situation tourne au pathétique, tant cela semble improbable et la mise en scène de Preminger est pour le moins prise en défaut. Ce qui fonctionne dans un James Bond, patine totalement ici. Peter O’Toole est bien plus à l’aise dans sa joute verbale avec Sloat, l’anglais converti à l’Islam, incarné par Richard Attenborough. La vivacité de l’échange entre Martin et Sloat est l’une des scènes fortes du film. Hélas, la capture de Sloan par les forces israéliennes et Martin, dans son repaire à l’heure de la prière, est totalement ridicule.

L’erreur de Preminger est d’avoir confié l’adaptation du roman de Paul Bonnecarrère et de Joan Hemingway, petite-fille d’Ernest Hemingway, à son fils Erik Lee Preminger, totalement novice en la matière. Le scénario fonctionne par bloc et le manque d’une structure dramatique solide se fait cruellement sentir. Les personnages apparaissent et disparaissent sans approfondissement et sans laisser de trace. Rosebud tient debout grâce au savoir-faire d’Otto Preminger. Sa manière ample de filmer, ses mouvements de caméra, raccorde visuellement l’ensemble. Il suffit de voir ce sublime moment où Isabelle Huppert est seule dans le paysage (admirable mouvement de grue et choix de focale) pour s’en convaincre. Tout le début avec son aspect documentaire, l’enlèvement des filles, leur séquestration, est parfaitement rendu. Les divers personnages sont caractérisés avec force, puis hélas abandonnés. Ainsi, le personnage d’Hélène devient incohérent et totalement secondaire tout comme les autres filles. Amidou et Jean Martin, qui offrent des compositions intéressantes, s’évanouissent dans les profondeurs d’un scénario faible.

Malgré ces défauts évidents de scénario, Rosebud reste en mémoire car Otto Preminger saisit quelque chose de l’époque qui nous parle encore aujourd’hui. Le danger terroriste n’a fait que s’accroître au fil des ans, avec de plus en plus de violence. Preminger aborde les risques de la manipulation par l’image par une médiatisation à outrance, laissant la porte ouverte à la propagande. Les terroristes font leur propre film des otages dans une sinistre mise en scène. L’appel à l’aide des filles totalement nue face caméra participe d’une humiliation des « dominants » à destination avant tout des peuples « opprimés ». Preminger anticipe sur Daech. Ainsi, Sloat, européen, converti à l’Islam (radical) manipule l’OLP dans le but de mettre une grande Arabie. Sloat rêve de mettre en place le djihâd. En ce sens, le film est prémonitoire.

A cet aspect de l’utilisation de l’image, les Etats répondent par une surveillance des individus. Martin est épaté par la sophistication des moyens techniques vidéo mis en œuvre pour surveiller des agents infiltrés en Allemagne de l’Ouest. Mais toute cette technologie n’est rien sans le renseignent de terrain, semble nous dire Preminger avec la longue poursuite dans Berlin jusqu’à la frontière séparant les deux Allemagne. L’image par essence manipulatrice, entre de mauvaise main peut devenir dangereuse. Ce que Preminger traduit par la mise en scène que font les terroristes du voyage d’Hélène, un sac noir sur la tête. D’un surplace en voiture à un avion dans lequel, elle embarque qui n’est qu’un simulateur. Hélène « atterrie » à quelques kilomètres de son lieu de détention. La recréation cinématographique n’a rien à voir avec une manipulation crapuleuse. Le cinéma par ses artifices ouvre les yeux sur le monde, la propagande berne son auditeur. Ainsi, Hélène est convaincue de la réalité son voyage. Ne nous aveuglons pas semble nous susurrer Preminger qui clôt Rosebud sur un détournement d’avion. Un pirate de l’air dans le cockpit, un revolver et une grenade à la main, prêt à tout. L’avenir est noir… et il le sera encore plus que ce qu’entrevoyait Otto Preminger en 1975.

Fernand Garcia

Rosebud, en combo (DVD + Blu-ray) chez Rimini Editions avec en complément : Une excellente présentation du film et du cinéaste par Oliver Père : « Otto Preminger représente l’apogée d’une sorte de classicisme hollywoodien… » (16 minutes). Images du tournage inédites, filmées par Dimitri Batritchevitch, en super 8 (8 minutes) et la Bande-annonce d’époque.

Rosebud un film de Otto Preminger avec Peter O’Toole, Richard Attenborough, Cliff Gorman, Claude Dauphin, John V. Lindsay, Peter Lawford, Raf Vallone, Adrienne Corri, Amidou, Yosef Shiloa, Brigitte Ariel, Isabelle Huppert, Lalla Ward, Kim Cattrall, Debra Berger, Georges Beller, Françoise Brion, Klaus Löwitsch, Maria Machado, Serge Marquand, Jean Martin… Scénario : Erik Lee Preminger d’après le roman de Joan Hemingway et Paul Bonnecarrere. Directeur de la photographie : Denys N. Coop. Décors : Michael Seymour. Effets spéciaux : Cliff Richardson et John Richardson. Maquillage : Paul Rabiger. Montage : Thom Noble et Peter Thornton. Musique : Laurent Petitgirard. Producteur : Otto Preminger. Production : Oting SA -United Artists. Etats-Unis. 1975. 126 minutes. Eastmancolor. Panavision. Format image : 2,35 :1. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français DTS-HD 2.0. et en Version française mono DTS-HD. Tous Publics.