Romas Zabarauskas

Sept ans après notre premier entretien avec Romas Zabarauskas, pour la sortie de L’échappée amoureuse, nous le retrouvons à l’occasion de la présentation, en clôture du Festival Chéries Chéris, de son nouveau film Tomber pour Ali.

KinoScript : Comment est née l’idée de Tomber pour Ali ?

Romas Zabarauskas : Mon père est mort en novembre 2016 à cause d’une crise cardiaque. C’était complètement inattendu et cela a bouleversé ma vie. Pourtant j’ai ressenti quelque chose d’inattendu – je me suis senti privilégié dans mon deuil : je vis une vie confortable, j’ai une famille et des amis qui me soutiennent. Les personnes qui fuient la guerre n’ont pas ce luxe. Comme ça, peu à peu, j’ai fais ma recherche et construit cette histoire contrastée qui aide à discuter sur le thème de privilège aussi.

D’ailleurs, c’est assez symbolique de revenir avec Tomber pour Ali pour la clôture de Chéries-Chéris. Il y a quelques années quand j’ai été invité au festival pour présenter mon film précédant You Can’t Escape Lithuania (L’Echappée Amoureuse), mon père est mort juste quelques jours avant. J’étais contraint d’annuler mon séjour en France. Aujourd’hui mon père serait fier de voir ce film en clôture du festival à Paris, j’en suis sûr.

KS : Pourquoi pour le décor principal du film tu as choisi Serbie ?

Romas Zabarauskas : Avant que la Hongrie ne ferme ses frontières, la Serbie a joué un rôle important dans la crise des réfugiés, c’était l’un des plus importants chemins de migration. Dans mon film, Serbie c’est un passage entre l’est et l’ouest, un pays de transit. J’adore aussi l’architecture de Novi Beograd qui était idéale pour donner un peu d’atmosphère film noir. En réalité, il y a beaucoup de choses en Serbie et Belgrade – on a montré que toute petite partie de ce contexte, important pour l’histoire de ces deux personnages.

KS : Il y a-t-il des refugiés en Lituanie ?

Romas Zabarauskas : Oui. Il est vrai que la Lituanie n’a pas montré beaucoup d’initiative pour être solidaire avec l’Europe pendant la crise des réfugiés. Par contre, je suis fier de dire qu’on était premiers pour accorder l’asile aux réfugiés homosexuels qui fuit la purge de Chechnya. Cela correspondait bien à notre critique générale de Russie, sans doute, mais on a bien fait dans ce cas là. Maintenant, on a une nouvelle situation: un afflux des réfugiés qui viennent de Biélorussie. C’est une situation toute nouvelle, et il y a des spéculations que justement Loukachenko a voulu se venger contre les sanctions européennes et que c’est son gouvernement qui a influencé cette nouvelle vague de migration. Il faudra voir, mais d’abord il est important de ne pas oublier que ce sont tous humains qui doivent être respectés et écoutés.

KS : Dans ton film, on voit un joli casting, les comédiens qui sont connus en Lituanie, comment s’est passée la distribution des rôles ?

Romas Zabarauskas : Merci ! Oui, j’adore travailler avec les acteurs qui sont des personnalités brillantes, qui ont leurs histoires à eux. Je les remercie de leur confiance. L’acteur principal Eimutis Kvosciauskas est connu en Lituanie comme acteur des comédies commerciales (TV et théâtre). Pourtant je l’ai connu plutôt grâce au théâtre où il a d’ailleurs créé des rôles gays très conséquents. J’étais très surpris de notre casting. Puis, on a filmé un test avec les deux acteurs principaux, pour voir s’ils marchaient bien ensemble. J’étais content du résultat, et voilà. 

KS : Etant donné que tu connaissais déjà Darya Ekamasova depuis 2013, tu l’as rencontrée au festival de Moscou où tu as présenté ton premier long métrage, as-tu écrit le rôle pour elle ?

Romas Zabarauskas : Merci d’avoir remarqué ça ! Oui effectivement, j’ai écris ce rôle d’une riche impressario pour Darya, et pour cette raison j’ai laissé le même prénom pour son personnage. C’est une actrice que je connais de l’Arthouse russe, et aussi des séries comme The Americans et Occupied. Ravi par cette connaissance, j’ai décidé de créer un rôle qui ajoute une autre couche sur cette discussion des privilèges et de l’empathie.   

KS : Est-ce que les deux comédiens principaux Eimutis Kvosciauskas et Dogac Yldiz ont la même méthode de travail de comédien ? Comment tu les avais dirigés ?

Romas Zabarauskas : Effectivement ils sont très différents, même si les deux partagent l’expérience de travailler dans les projets très commerciaux. Dogac Yildiz est connu en Turquie depuis son adolescence pour ses rôles en séries. Dogac est quelqu’un de très expressive, physique. Je recherche un style de jeu assez particulier – j’adore les gros plans et je demande aux acteurs un certain minimalisme, même si les dialogues ne sont pas minimalistes du tout. On a pas mal répété avant le tournage, et on a analysé les personnages ensemble. J’ai fait des corrections, et ensuite on a aussi un peu improvisé pendant le tournage pour trouver vraiment le meilleur résultat. J’en suis très content. Travailler avec les acteurs, c’est vraiment le moment le plus sympathique pour moi de tout le processus de la production de film. 

KS : Pourquoi le changement de titre pour le public français, de The Lawyer à Tomber pour Ali, qui ressemble plus à un titre de comédie romantique ?

Romas Zabarauskas : Le distributeur français Optimale m’a demandé si j’avais des idées, et j’ai proposé ce titre qui était mon idée alternative pour le titre principal. Falling for Ali en anglais correspond au même sens que le titre français. C’est une clé de film, mais je propose de le voir pas seulement en terme de l’histoire, mais aussi par rapport au regard de spectateur à ce contexte de la crise des réfugiés, pour questionner nos propres stéréotypes et préjugés. 

KS : Au début de Tomber pour Ali, les membres de la communauté gays en Lituanie discutent sans complexes sur tous les sujets concernant leur communauté, ils semblent activement participer dans la lutte contre l’homophobie. Depuis ton dernier film et la parution de ton livre dont tu parles dans ta note d’intention, est-ce que la situation a changé en Lituanie ?

Romas Zabarauskas : La situation en Lituanie s’est intensifiée. L’année dernière, un membre de parlement ouvertement gay, Tomas Vytautas Raskevicius, était élu. Récemment, on a manqué deux votes pour le premier vote de PACS; on va réessayer en automne. Pourtant comme en France, depuis 2013, ces changements ont provoqué le contrecoup d’une partie de la société plus homophobe et transphobe. Donc aujourd’hui, la sphère publique est vraiment très tendue. Je reste optimiste, cela va aider à comprendre, même à ceux qui soutiennent l’égalité, qu’il y a encore beaucoup à faire pour l’atteindre. 

KS : Même si l’action principale du film se passe entre deux personnages gays, l’accent est mis plus sur le côté économique. L’un qui est avocat riche, libre de voyager, libre de vivre son homosexualité comme il entend, il semble venir voir Ali en Serbie plus par curiosité, espoir d’une aventure passagère. De l’autre côté, un réfugié Syrien pauvre est contraint de rester dans son camp et mendier de l’aide à un inconnu. Leur homosexualité semble n’être qu’un problème secondaire ?

Romas Zabarauskas : Justement je voulais m’éloigner des clichés ainsi. Dans les médias, les histoires des réfugiés sont souvent les situations tragiques; on voit des héros ou des victimes idéalisés. Pourtant les humains sont imparfaits, ça fait partie de notre humanité. C’est pourquoi j’ai choisi de créer les deux personnages dans des situations plus complexes. Même Ali, comme un réfugié qui fuit la guerre, il n’est pas dans une situation des plus difficiles – on entend des histoires beaucoup plus tragiques mentionnées dans le film. Pourtant, cela ne veut pas dire qu’il ne mérite pas de dignité et notre empathie.

KS : Depuis le tournage de ton film, le comédien principal Eimutis Kvosciauskas est devenu très impliqué dans l’aide concernant les réfugiés. Comment devrait-on améliorer les mesures européennes, il n’y a pas que le bakchich qui marche ?

Romas Zabarauskas : Effectivement on a tous les deux contribué de manières différentes. Eimutis est devenu un volontaire de la Croix Rouge Lituanienne, en aidant des différentes familles des réfugiés à s’adapter en Lituanie. Moi, j’ai aidé à collecter plus de 7000€ pour la Croix Rouge, pour différentes aides aux réfugiés. A mon avis, il est important d’être actif et contribuer directement à la cause et pas uniquement avec l’art. Dans les coulisses, j’ai encouragé d’organiser des cours sur le sujet des réfugiés LGBT+ pour les ouvriers de migration Lituaniens. Le processus a pris beaucoup de temps mais en automne quelques cours devraient être organisés dans un cadre de l’éducation plus générale, ça sera bientôt annoncé.  En général, le système européen de l’asile doit devenir plus rapide, efficace et moins bureaucratique. Après, c’est une question de la politique globale aussi. Il ne faut surtout pas faire plaisir aux autocrates comme Vladimir Poutine qui s’est beaucoup mêlé dans la guerre en Syrie et qui continue jusqu’à aujourd’hui. 

KS : Est-ce que le montage final du film est très différent du scénario initial ?

Romas Zabarauskas : Un peu, parce que j’aime bien de me laisser l’opportunité de créer jusqu’au dernier moment de la postproduction. Le changement principal – j’ai supprimé les dernières scènes laissant la fin beaucoup plus ouverte. D’abord j’ai voulu montrer l’avenir de tous les personnages un an après, mais j’ai compris que ça, c’est déjà une autre histoire. 

KS : Comment se passe la promotion du film ?

Romas Zabarauskas : Le film a dû avoir la première à BFI Flare en Mars 2020. Le festival était annulé, mais les critiques britanniques ont vu et adoré le film. Ensuite, le film a été déjà invité aux 30 festivals, vendu pour 8 distributeurs internationaux et distribué aux cinémas Lituaniens en automne pendant les deux confinements. Pourtant ce tour français me paraît toujours comme une première, parce que c’est la première fois que je présente le film moi-même à l’étranger. Je ne pourrais pas être plus heureux du voyage de notre film. C’est vraiment incroyable qu’on a eu ce succès malgré la pandémie.

KS : As-tu déjà l’idée de ton prochain film ?

Romas Zabarauskas : Oui, plusieurs même, et je suis en train d’en développer quelques-unes et d’attendre les réponses. J’espère que je vais avoir des chances de créer un autre film et de continuer ce dialogue avec le public, public français inclus qui me fascine tout simplement.

Propos recueillis par Rita Bukauskaite, juillet 2021

Tomber pour Ali est présenté en clôture du 26e Festival du Film LGBTQ & +++, Chéries Chéris, de Paris, du 29 juin au 6 juillet 2021. Le film sera bientôt disponible chez Optimale.fr