Rimini – Ulrich Seidl

Vieux crooner autrichien et gigolo occasionnel, Richie Bravo survit en poussant la chansonnette pour des retraités dans des hôtels miteux de Rimini, sur la côte Adriatique. Son monde commence à vaciller quand Tessa, sa fille désormais adulte, fait irruption dans sa vie et lui demande l’argent qu’il ne lui a jamais donné.

Né en 1952 à Vienne en Autriche, Ulrich Seidl est un auteur, réalisateur et producteur qui a étudié le cinéma à la célèbre Wiener FilmAkademie. Il a commencé sa carrière en 1980 avec une succession de courts métrages puis avec de nombreux longs métrages documentaires largement récompensés dans les années 90 montrant sa perception du déclin de l’humanité, comme notamment Good News (1990) sur la vie des vendeurs de journaux dans les rues de Vienne, des hommes qui viennent d’un peu partout en Orient ; Animal Love (Tierische Liebe, 1992) dans lequel il filme sans détour la dépendance des âmes en peine d’une grande ville morne et terne vis-à-vis de leurs petits compagnons de longue date, témoins privilégiés d’un quotidien écrasant ; The Last Real Men (1995), réflexion sur la solitude des autrichiens célibataires recherchant la femme idéale sur des « catalogues » asiatiques ; ou encore Models (1999) dans lequel Seidl nous montre l’envers de la mode à travers le portrait, image reflet, de trois jeunes filles prêtes à tout pour réussir qui s’amusent, dansent et se droguent.

En 2001, toujours basé sur la technique du documentaire, son premier long-métrage de fiction, Dog Days (Hundstage), montre au grand jour la puissance des pulsions qui animent les hommes et remporte le Prix Spécial du Jury au festival de Venise. En 2007, Import Export qui raconte de manière décalée les destins de deux jeunes gens à la recherche d’une nouvelle chance et en quête de bonheur et d’argent mais qui se voient confrontés à la réalité crue, est présenté en compétition en sélection officielle au Festival de Cannes. Au début des années 2010, avec la trilogie Paradis, le cinéaste utilise son œil de documentariste pour sonder le rapport des femmes à l’amour, la séduction et la foi, et voit ses trois volets faire respectivement sensation en compétition des festivals de Cannes (Paradis : Amour ; Paradies : Liebe, 2012), Venise (Paradis : Foi ; Paradies : Glaube, 2012) où il obtient à nouveau le Prix Spécial du jury, et Berlin (Paradis : Espoir ; Paradies : Hoffnung, 2012). Sa trilogie sera suivie des documentaires Sous-Sols (Im Keller, 2014), un film sur les obsessions qui parle de ce que les gens font dans leurs caves et qui vient traduire l’inconscient de la société autrichienne, et Safari (2016) dans lequel Seidl observe, comme ces derniers observent leur proie, des touristes européens en quête de divertissement et aimant tuer, pour nous livrer un impressionnant « documentaire animalier » sur la nature humaine.

A la différence de ses documentaires qui portent souvent sur un thème général, Ulrich Seidl développe ses projets de fiction sans en écrire complètement le scénario, mais en rapprochant des idées, images, événements réels et bouts d’histoires qu’il a en tête. Ses histoires, ses scènes mais aussi ses galeries de personnages marginaux, s’inspirent de ses propres expériences et observations tout autant que de certains lieux ou paysages spécifiques ou encore, comme cela a été le cas avec Michael Thomas qui a largement contribué à la création du personnage de Richie Bravo dans Rimini, de certains comédiens avec qui il aime travailler.

Moins monstrueux et repoussant que ceux de ces précédents films, le personnage de Richie Bravo, artiste raté rongé par les regrets et la solitude, a donc été spécialement créé pour l’acteur Michael Thomas que le réalisateur avait déjà dirigé dans Import Export et Paradis : Espoir. Richie Bravo est égoïste, raciste, hypocrite, alcoolique, méprisant et méprisable. La lâcheté de Richie Bravo n’a d’égale que sa souffrance existentielle, qui, cachée derrière son humour désabusé et son apparente nonchalance, lui confère une tendresse inattendue. Sa rencontre avec sa fille lui permettra-t-elle de se racheter et de s’ouvrir enfin à quelqu’un d’autre qu’à lui-même ? Certes pathétique et sans morale, anti-héros magnifique, Richie Bravo est incapable d’exprimer ses sentiments autrement qu’à travers les textes mièvres de ses chansons d’amour ringardes. Pitoyable et émouvant, Richie Bravo est avant tout un homme malheureux en quête d’amour qui cherche à survivre à la cruauté du quotidien et pour lequel on finit par éprouver une certaine sympathie.

L’idée originale de Rimini remonte à 17 ans plus tôt, lorsqu’Ulrich Seidl voyageais avec Michael Thomas en Ukraine pour préparer le tournage d’Import Export.

« Nous étions dans un restaurant où un groupe jouait des morceaux assez répétitifs et d’un coup Michael s’est levé, a pris le micro et s’est mis à chanter « My Way » de Sinatra. En quelques secondes, il a littéralement envoûté le public par sa voix et sa présence. J’étais fasciné de le découvrir ainsi, pour la première fois comme chanteur. » Ulrich Seidl.

Des années plus tard, avec sa co-scénariste et épouse Veronika Franz, Seidl a écrit une première version d’un scénario sur le tourisme de masse dont l’intrigue reposait déjà sur le personnage de Richie Bravo, chanteur et animateur, au charme old-school, Casanova à sa manière, chasseur de veuves dans un resort. Ce ne sera que quelques années plus tard encore, en lisant l’histoire d’un Allemand condamné pour avoir pris des photos de jeunes garçons dénudés dans un quartier abandonné de Roumanie et les avoir diffusées sur Internet que cette première histoire est revenue en tête du cinéaste qui a décidé de lier ces deux histoires et de faire de ces deux personnages, deux frères : Richie qui tente de faire revivre sa renommée passée en Italie dans Rimini, et son frère cadet Ewald qui, dans Sparta, le deuxième volet du diptyque prochainement dans les salles, cherche à oublier son passé en s’installant en Roumanie. Mais on ne peut échapper à son passé…

Leur père, interprété par le comédien Hans-Michael Rehberg, atteint de démence et vivant dans une maison de repos en Autriche, va les rejoindre. Trouver l’acteur approprié pour interpréter le rôle du père, n’a pas été facile pour le réalisateur. Lorsqu’Ulrich Seidl a rencontré le comédien Hans-Michael Rehberg, celui-ci, déjà malade a d’abord refusé le rôle qu’il lui proposait avant de finalement s’avérer intéressé. Décédé en novembre 2017, l’apparition posthume du comédien dans le film se révèle être une composition aussi exceptionnelle que bouleversante.

« Quelques semaines avant le tournage, Hans-Michael passait des journées entières dans sa chambre, dans une maison de retraite que nous avions trouvée en Basse-Autriche. Il devait se mêler aux autres résidents, prendre ses repas avec eux et participer au programme d’ergothérapie. Il était assez affaibli à ce moment-là et se fatiguait rapidement. Cela m’inquiétait de commencer un tournage de cette manière. Mais mes inquiétudes ont disparu au premier jour du tournage. À la première prise, il s’est complètement transformé. Aucune trace de fatigue ou d’épuisement, il jouait son rôle de manière très disciplinée, avec une grande empathie. Quel grand acteur ! Il nous offrait tout ce qu’il avait. » Ulrich Seidl.

Pensé comme un unique film au départ, afin de permettre à chacun des personnages de l’histoire de mieux exister, c’est au stade du montage que le réalisateur a décidé de faire de cette histoire de trois hommes rattrapés par leur passé, un diptyque.

« Bien que ces films racontent et décrivent des situations de vies très différentes, l’élément fédérateur ici est la recherche du bonheur et le rapport à son passé. Mais le passé vous rattrape, c’est la vérité amère ou peut-être libératrice à laquelle les protagonistes doivent faire face. » Ulrich Seidl.

Inspiré par ses décors et son architecture qui répondent à l’esthétique et traduisent l’atmosphère que souhaitait Ulrich Seidl, ce dernier a décidé de situer l’action de son film à Rimini, là où ses parents l’emmenaient avec son frère passer leurs vacances au bord de la mer quand il était enfant dans les années 1950. Mais l’histoire de Rimini se déroule en hiver, la saison où la plage et ses bars, les cabines de bain, mais aussi la mer, disparaissent dans le gris du ciel et le brouillard pour ne laisser place qu’à une ville désertique et lugubre aux airs post-apocalyptiques. L’ambiance hivernale de Rimini est à l’image de l’avenir des personnages, sans horizon.

Près de dix ans après la trilogie Paradis, Rimini (et Sparta) marque le retour à la fiction du cinéaste à la réputation sulfureuse. Singulier et cru, avec ses longs plans fixes distanciés ou ses plans tournés caméra à l’épaule, le style quasi-documentaire de la mise en scène de Seidl vient parfaitement traduire, non sans cynisme, le regard désabusé et nihiliste qu’il porte sur le monde et la médiocrité des hommes. Désespéré, Rimini raconte le crépuscule d’un homme, le crépuscule d’une famille, le crépuscule d’une société et de toute une époque. Brillant, le cinéaste prend ici encore une fois le soin d’appliquer à son œuvre une forme qui refuse de tomber dans le jugement facile ou la leçon de morale dégoulinante. Dans une certaine continuité thématique avec sa trilogie Paradis, Rimini traite du désir d’amour, du désir d’être aimé et de l’épanouissement sexuel. Impitoyable, Ulrich Seidl effectue à nouveau le traitement de ses thématiques par le biais de l’ « échec à y parvenir », ne laissant de place qu’à la triste solitude qui demeure toujours chez ses personnages.

Antithèse formelle et absolue du film Quand J’étais Chanteur (2006) de Xavier Giannoli, radical et dérangeant, Rimini est une fascinante et féroce tragicomédie qui, sans complaisance misérabiliste, flirte en permanence avec le sordide tout en posant en arrière-plan de pertinentes questions politiques et sociales ainsi que des questions philosophiques qui nous interroge sur l’Art, sur ce qu’est le beau, ou encore sur le sens de la vie. A la fois terrible et poignant, vision désenchantée et sans concession d’un auteur rare et unique, Rimini est un film saisissant.

Steve Le Nedelec

Rimini un film d’Ulrich Seidl avec Michael Thomas, Tessa Göttlicher, Hans-Michael Rehberg, Inge Maux, Claudia Martini, Georg Friedrich… Scénario : Ulrich Seidl et Veronika Frank. Image : Wolfgang Thaler. Décors : Andreas Donhauser et Renate Martin. Costumes : Tanja Hausner. Musique : Fritz Steinmetz et Herwig Zamernik. Montage Monika Willi. Montage additionnel : Andrea Wagner. Producteurs : Philippe Bober, Michel Merkt et Ulrich Seidl. Production : Ulrich Seidl Films Produktion GmbH. – Bayerrischer Rundfunk – Arte France Cinéma – Essential Filmproduktion GmbH – Société Parisienne de Production (SOPRA) – Bord Cadre Films. Sovereign Films – ORF. Distribution (France) : Damned Films (sortie le 23 novembre 2022). Autriche – France – Allemagne. 2022. 114 minutes. Couleur. Format image : 1.85 :1. Son : 5.1. Festival de Berlin, 2022. L’Etrange Festival, 2022. Interdit aux moins de 12 ans.