Pieta – Kim Ki-duk

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Enragé et engagé plus que jamais, Kim Ki-duk revient sur le devant de la scène internationale avec son nouveau long métrage Pieta, Lion d’Or 2012, où la dette en est la principale actrice.

Pour Kim Ki-duk, la dette, et donc l’argent, est la raison de tous les maux de la société. La dette mutile, rend dépendant, malheureux, psychiquement instable ; elle tue. La dette s’accroît, elle ne touche pas qu’une seule personne, elle touche des pays ! La dette des pays, on en parle partout, tout le temps, le monde parait s’y engouffrer à l’infini, les chiffres s’envolent (quelqu’un surveille-t-il encore les chiffres ?! Qui sait de combien son pays est endetté ?),  alors que les gens de ce bas monde s’appauvrissent de plus en plus, baignés dans la misère. Le réalisateur sud- coréen avec son dernier film, audacieux, libre et poignant, se décide à défier le monde capitaliste.

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L’action du film se déroule dans le quartier Cheonggyecheon de Séoul, destiné à être rasé mais encore habité par quelques artisans métallurgiques, majoritairement très pauvres, forcés à s’endetter pour survivre. Kang-do (Lee Jung-Jin) un jeune usurier n’hésite pas à mutiler ses victimes afin de recueillir l’argent de la dette pour que l’indemnisation de l’assurance rembourse les astronomiques taux d’intérêts. Un jour une femme commence à le suivre partout, elle se présente comme sa mère, qui soi-disant l’avait abandonné à la naissance. Kang-do lui inflige toute une sorte de tests pour la rebuter. Non seulement elle tient le choc, mais elle se rend complice des actes brutaux de son prétendu fils afin de poursuivre son plan de vengeance diabolique.

Avec une certaine ironie, Kim Ki-duk choisit la symbolique d’une des figures occidentales de la Pieta, la Vierge Marie tenant le corps de Christ après la crucifixion de Michel-Ange, dans le film elle a tout un autre sens. Ainsi, sur l’affiche, la position des deux mains de l’héroïne du film (Jo Min-Soo) est identique ce qui dans la codification catholique, certifie la nature charitable de la Vierge Marie et également son malheur. L’affiche du film est une interprétation plus perverse, presque grotesque : la mère couverte d’un long voile de blancheur virginale, épaule dénudé, en posture rédemptrice tient dans ses bras à la place du Christ, le corps du plus grand salaud, l’usurier responsable de centaines de vies brisées. On dirait que Dieu et le Diable se sont échangés leurs places.

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La logique dans un monde régie par l’argent est inversée : elle va contre la vie humaine et dans le sens de la croissance de l’argent même. Une mère assiste à la mort de son fils, qui n’était plus capable de payer sa dette, alors qu’elle devrait le voir grandir, jouir du bonheur de la vie, qu’elle lui avait donnée. Plus on travaille plus on gagne, ce qui logiquement devrait conduire a payé sa dette, mais la dette ne décroît pas elle augmente.  L’assurance pour invalidité devrait servir l’homme dans le cas d’un accident du travail, mais ici elle contribue à sa mutilation. Les mains d’un jeune père devraient servir à jouer une berceuse à son bébé et non comme une monnaie pour obtenir l’argent afin de rembourser ses dettes. Une fois la machine d’autodestruction en marche, difficile de l’arrêter, car elle suit l’inertie de la logique du marché, la logique du monde d’argent, qui n’a jamais assez.

Dans une des interviews Kim Ki-duk a dit : « L’argent met inévitablement les individus à l’épreuve dans une société capitaliste. Et ceux-ci sont obsédés par le fantasme selon lequel l’argent rend tout possible. L’argent est la raison principale des incidents qui se passent aujourd’hui dans le monde. Dans ce film, deux personnes qui n’ont aucune raison de se rencontrer, donnent et reçoivent de la souffrance en échange d’argent. Alors réunis, ils deviennent membres de la même famille. Et à travers cette famille, on réalise à quel point nous sommes complices de cette société. À la fin, nous deviendrons nous-mêmes monnaie d’échange pour les autres ».

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Kim Ki-duk va au-delà de ses thèmes de prédilection, – vengeance et rédemption. Le monde d’argent sans pitié n’a pas de morale et suit son cours mécaniquement, où un petit poisson risque toujours de se faire manger par un plus gros. Par conséquence, la vengeance et la rédemption, que peut rechercher une personne ayant des notions du bien et du mal, ici perdent tout sens. Ainsi la mère, sa vengeance accomplie, ne s’en réjouit pas car ce n’est pas la responsabilité d’une seule personne qu’elle croyait venger mais c’est le système entier qui est responsable. De ce côté-là, le scénario du film est particulièrement ingénieux. Pieta c’est la ligne rouge sang qui sépare les deux monde, celui des ouvriers de celui de la finance. Cette ligne est comme une courbe témoignant de la santé boursière, qui s’en fout de la société d’ici-bas.

Rita Bukauskaité

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Pieta, un film de Kim Ki-duk avec Jo Min-Soo, Lee Jung-Jin, Kang Eunjin. Scénario : Kim Ki-duk. Photo : Jo Young-Jik. Musique : In-young Park. Producteur : Kim Soon-Mo. Production : Good Film – Finecut. Couleur. Dolby Digital. 1,85 :1. Corée du Sud. 2012.  104 mn. Distribution (France) : Pretty Pictures. Lion d’Or – 69e Festival de Venise.