Nuits Magiques – Paolo Virzì

L’idée de ce film est venue à Paolo Virzì lors de l’enterrement d’Ettore Scola, il y a deux ans : « Je me suis rendu compte que le dernier des grands venait de disparaître, dit-il, alors j’ai eu envie de dire merci à ces personnages mythiques et de le faire de manière irrévérencieuse, en me payant un peu leur tête, comme eux-mêmes m’ont appris à le faire« .

Un rebondissant après l’échec de son premier road-movie américain, le larmoyant L’Echappée Belle (The Leisure Seeker), en 2017 (la fiction s’avère rarement plus intéressante que la vraie vie) avec Donald Sutherland et Helen Mirren. Nuits Magiques (Notti Magiche) marque le retour de Virzi dans le cinéma italien. Comme La grande Bellezza de Paolo Sorrentino (qui ne traite pas le même le sujet que Virzi), mais les deux cinéastes jettent un regard nostalgique sur le passé et un regard blasé et inquiétant sur le présent et l’avenir.

Visiblement, Virzi dans Nuits Magiques a quelque chose à dire sur le cynisme et la corruption qui ont dominé une époque et continuent de se reproduire à l’heure actuelle. Il semble être le maître de la destruction de la ligne entre la réalité et la fiction. Il mélange intelligemment plusieurs personnages réels à des caractères à l’écran qui sont familiers pour les Italiens mais qui ne le sont peut-être pas pour les autres spectateurs. Peu importe si nous reconnaissons ces personnages ou pas. Là n’est pas le sujet du film. Virzi extrait les mœurs sociales locales pour rendre à la fois un récit italien et universel, étant donné les difficultés rencontrées partout dans le monde pour faire des films aujourd’hui. Il s’agit ici d’une représentation tragicomique et picturale du cinéma italien classique et actuel en déclin.

Déjà dans son film Les Opportunistes (Il Capitale Umano, 2014)Virzi montre que tout le monde ou presque, est gourmand, veut être riche et avoir tout. C’est une critique des classes autour d’un polar et un regard captivant, cinglant à la fois sur les riches mais aussi sur les nouveaux aspirants émergents qui veulent imiter les riches, contrairement à certains films (maintenant à la mode) qui semblent donner un message différent aux pauvres que celui de Virzi : « Suivez les rêves des riches ».

Les Opportunistes et Nuits Magiques confirment que Paolo Virzi est l’un des réalisateurs les plus dynamiques de la péninsule, alliant commentaires cinglants et compétences narratives chevronnées. Son message est résolument de gauche, mais sans le sentiment d’être un cinéaste polémique c’est pourquoi Les Opportunistes a été attaqué par l’extrême gauche pour ne pas aller assez loin et par la droite pour avoir été trop critique à l’égard des riches.

Nuits Magiques ressemble un peu à Adaptation qui est basé sur une histoire vraie : Un scénario déjanté écrit par Charlie Kaufman qui a été réellement contacté pour adapter le livre le plus vendu Le Voleur d’Orchidée de Susan Orlean. Spike Jonze  a réussit à réaliser cette difficulté qu’à connut Kaufman son scénariste pour adopter ce roman et à créer un doute sur la frontière entre la fiction et le réel. C’est un film digressif (pas évident à suivre parfois) ou il se défait et finit par s’effondrer. Mais peut-être que c’est exactement ce que le cinéaste voulait montrer: Un film sur la lutte pour adapter un livre qui a peu de suspense, et le danger de vouloir introduire des intrigues fictives d’un thriller à la dernière minute. Le cinéaste Jonze attaque les personnalités de la haute société new-yorkaise : les scénaristes, les jumeaux identiques, les crocodiles, les réseaux de stupéfiants et le porno sur Internet. Un film dans un film où différentes histoires sombres et comiques se déroulent à plusieurs endroits et qui fonctionnent ou pas selon chaque spectateur. L’intrigue devient de plus en plus compliquée et c’est au spectateur alors de déterminer quelle partie du film est réelle et quelle partie ne l’est pas.

Nuits Magiques nous fait revenir à l’été 1990 à Rome.  Alors que la foule regarde avec émotion le match sur un téléviseur sous un pont, une voiture noire tombe dans le Tevere (le Tibre). En même temps, le réalisateur revient avec humour, et sans préjugés, sur la dernière période glorieuse du cinéma italien qui s’est partiellement effacé, bien que Tornatore a remporté en 1990 l’Oscar du meilleur film étranger avec son chef-d’œuvre Cinéma Paradiso (Nuovo Cinema Paradiso, 1989). Virzi aborde l’âge d’or du néoréalisme et de la comédie à l’italienne: les grands réalisateurs classiques, tels que Fellini, Leone, Rosellini, Visconti et d’autres étaient déjà à la fin de leur carrière ou décédés Virzi a lui-même connu Scarpelli, il y a trente ans quand il a déménagé à Rome pour essayer d’exaucer son rêve de cinéma. Nuits Magiques qui réexamine cette période des années 90 est intéressant surtout après une année (2017) ou le cinéma italien a connu une crise.

Avec ses co-scénaristes Francesca Archibugi et Francesco Piccolo, le cinéaste ne se limite pas en effet à peindre le tableau d’une époque passée, mais propose une énigme à résoudre : celle de la mort mystérieuse du célèbre producteur des films italiens Leandro Saponaro (Giancarlo Giannini) qui est décédé à bord du véhicule, au même moment où l’Italien Aldo Serena loupe son penalty – ce qui entraîne la victoire des Argentins -.  Mais évidemment, personne ne s’en rend compte, car tout Rome est en proie au désespoir à cause de cette défaite sportive. Un incipit explosif et paradoxal qui a donné le ton pour le reste du film.

Par la suite, trois jeunes gens sont convoqués au poste de police pour confesser: il s’agit des trois aspirants-scénaristes qui sont aussi les dernières personnes à avoir vu le producteur en vie cette nuit-là. Les trois suspects sont interrogés par l’ironique et l’intelligent chef des carabiniers (Paolo Sassanelli). Au commissariat le policier pousse les trois jeunes à raconter leurs histoires, leurs allées et venues entre réalisateurs, producteurs, acteurs et écrivains abusés et désabusés dans un environnement pas favorable à leurs aspirations.

Commence ensuite un flashback : le Sicilien Antonino (Mauro Lamantia), cinéphile et érudit, l’exubérant toscan Luciano (Giovanni Toscano), issu d’un milieu ouvrier, et la fragile Eugenia (Irene Vetere), une fille de la haute bourgeoise romaine qui a très peu confiance en elle-même, se sont connus au prestigieux Prix Solinas. À partir de ce moment-là, ils ne se quittent plus, et se lancent ensemble dans la même quête pour une place au soleil dans le monde du cinéma.

Tous les trois étaient parmi les finalistes mais c’est Antonino qui remporte le prix Solinas et un chèque de 25 millions de lires qui va arriver bientôt dans la poche de Federico Fellini sans que le jeune finaliste se rende compte qu’il a perdu son chèque. Les trois finalistes célèbrent leur succès dans une trattoria enfumée avec le jury. Présents sont des agents de cinéma, des producteurs, une avocate et la crème de la crème des scénaristes italiens, tous aux cheveux enneigés et dépassés.

C’est dans un monde bouillonnant et passionnant que les trois jeunes scénaristes entrent dans un univers peuplé de grands maîtres du cinéma mais aussi des farceurs, dans une Rome chaotique où l’on passe d’un décor à l’autre : Federico Fellini tourne la dernière scène de son film La Voce della Luna, le producteur véreux Leandro Saponaro vole le chèque d’Antonino, une foule des jeunes auteurs (des nègres) tapent constamment sur leurs machines à écrire pour composer des scénarios que des grands cinéastes filmeront, des repas bruyants et des festivals lascifs réunissant hommes politiques et femmes de chambre, des divas sans sous-vêtements, des acteurs français révérés qui abusent sexuellement des jeunes filles sur le tournage et des producteurs escrocs.

Les jeunes lauréats découvrent peu à peu qu’ils ont été choisis, du moins en partie, pour devenir des nègres pour les anciens et ils sont progressivement déçus du fait qu’ils sont impliqués dans une industrie qui, plutôt que de développer une forme d’art, semble s’effondrer dans un système qui transforme lentement les œuvres des scénaristes en quelque chose de beaucoup moins précieux que ce que les jeunes protagonistes envisageaient : les choix de casting et de marketing qui visent uniquement à satisfaire le public, le népotisme, l’écriture fantomatique de scénario et même les abus physiques sont des thèmes abordés.

Un journal regrette : que le réalisateur ait choisi de donner un caractère un peu trop caricatural aux trois personnages principaux, qui par contraste, vu les excès qu’ils côtoient, auraient sans doute mieux fonctionné par soustraction ».

Pas tout à fait vrai : La construction des personnages est très solide, faisant appel à l’absurde et à l’ironie pour générer de l’empathie chez le spectateur. Les performances sont convaincantes et, dans le cas des protagonistes -dont les personnalités si diamétralement opposées- pourraient bien décrire le caractère de certains scénaristes d’aujourd’hui: l’impudence de Luciano, la timidité d’Eugenia et la soumission d’Antonino. Tout jeune scénariste -vu le verrouillage du système- qui veut arriver à n’importe quel prix, peut ou a envie peut être de se comporter comme ces trois protagonistes dans le film. Un moment très comique mais assez révélateur du système corrompu est, lorsque Saponaro, le producteur malhonnête, discute avec Antonino de l’idée « passionnante » d’un bio pic sur Antonello da Messina et qu’Antonino croit naïvement.

L’atmosphère de l’époque dans ce film est précise : les costumes, la langue, les paysages et les accessoires. L’empreinte du réalisateur est présente tout au long du film, y compris dans le jeu narratif qui imite le commissaire inspecteur, qui enquête sur les trois jeunes à la recherche de réponses.

Paolo Virzì transmet plusieurs messages / conseils, qui peuvent être adressés aux futurs scénaristes, bien qu’ils s’appliquent également à ceux qui souhaitent être créateurs dans n’importe quelle expression artistique, notamment: ne laissez personne d’autre s’approprier de vos idées créatives; retrouver le désir d’observer autour de vous; il est plus important d’exprimer le temps au lieu de se concentrer sur une grande finale; travaillez pour vous et ne devenez pas esclave de l’argent.

Un grand film qui, derrière le voile de la comédie, dépeint à merveille l’environnement cinématographique romain avec une histoire fascinante et engageante, pleine d’atmosphère et une merveilleuse morale finale !

Norma Marcos

Nuits Magiques (Notti Magiche) un film de Paolo Virzì avec Mauro Lamantia, Giovanni Toscano, Irene Vetere,  Giancarlo Giannini, Roberto Herlitzka, Marina Rocco, Eugenio Marinelli, Paolo Bonacelli, Andrea Roncato, Jalil Lespert, Ornella Muti… Scénario : Francesca Archibugi, Francesco Piccolo et Paolo Virzì d’après une idée de Paolo Virzì. Image : Vladan Radovic. Décors : Alessandro Vannucci. Costumes : Catia Dottori. Son : Alessandro Bianchi. Montage : Jacopo Quadri. Musique : Carlo Virzì. Producteur : Marco Belardi. Production : Lotus Production – Leone Film Group – RAI Cinema – 3 Marys Entertainment. Distribution (France) : BAC Films (sortie le 14 août 2019). Italie. 2018. 125 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. 2K. Son : 5.1. Tous Publics.