Mother’s Day – Charles Kaufman

Les dernières minutes du week-end de réunion de la EGO (Ernie’s Growth Opportunity) sous la direction de son  grand gourou : Ernie. Le public est aux anges, il a assimilé son discours et ses techniques pour une meilleure harmonie au sein du couple et le développement de vrais sentiments. Fin du stage, tous les participants sont désormais diplômés de l’Ego. A la sortie, un jeune couple de hippies entreprend une vieille dame. Elle accepte de les conduire. L’épanouissement personnel des deux jeunes a plutôt tendance à les entraîner vers des rives morbides. Dans la voiture, Charlie à l’arrière prépare une cordelette tandis que sa copine entretient la conversation avec la vieille dame. Soudain, la voiture à des soubresauts et s’arrête en panne d’essence en pleine forêt…

Quelles que soient ses qualités (bien réelles), Mother’s Day est un bon exemple de l’histoire de l’édition VHS en France. Il faut se replonger dans les années 80 pour comprendre le vent de liberté qui souffle à l’époque sur l’édition vidéo, faisant fi de la censure cinématographique. Grâce à un vide juridique, des films interdits en France (classement X violence) ou qui auraient connu en toute logique l’enfer de la classification, ont pu sortir sans problème en vidéo. Si le prix d’achat de la cassette était particulièrement élevé (dans les 500 francs, somme considérable à l’époque), il y avait presque à chaque coin de rue, un vidéoclub, qui contre un abonnement, permettait de louer (à petit prix) pour un temps limité, un film. C’est l’explosion de la VHS avec l’arrivée de tout un pan de la production cinématographique sur les rayonnages grâce à des aventuriers de l’édition.

Scherzo fait partie de ces aventuriers.La société appartenait à une fratrie : les Cohen. Ils s’étaient lancés dans l’édition en constatant le boom des ventes des magnétoscopes dans leur magasin d’électroménager du côté de Barbès. Ils les vendaient par lots entiers à des intermédiaires pour les envoyer sur le continent africain. La machine, c’est bien, mais il fallait alimenter les machines avec des contenus, la demande était exponentielle. Ni une ni deux, les Cohen créent Scherzo et ouvrent un laboratoire de duplication dans une vieille usine, rue Jean Lolive à Pantin. 24h/24, sept jours sur sept, les magnétoscopes de duplication tournent à plein régime. Un jeune homme, fan de cinéma de genre, Christophe Gans, devient leur tête chercheuse. Si les Cohen ne sont pas des cinéphiles, ils sont bons commerçants. Ils n’hésitent pas à sortir des films dans tous les genres, aux origines diverses : Américains indépendants, Japonais, Italiens, Espagnols, généralement inédits en France. Age d’or du fantastique gore et déviant, du roman porno, du soft, et du hardcore.

Les Cohen ont le vent en poupe. Ils sont de la création de Starfix (un des frères est un éphémère directeur de publication). Mother’s Day est l’un des grands titres de Scherzo, il sort dans l’hexagone sans la moindre coupe ou tripatouillage. Il n’en sera pas de même dans de nombreux pays, où il est victime de coupes, voire d’interdiction d’exploitation. Le film de Charles Kaufman devient immédiatement un titre culte. 39 ans après cette époque héroïque, Mother’s Day réapparaît dans l’écrin d’une superbe édition Blu-ray et le moins que l’on puisse dire est que le film n’a rien perdu de son punch et de son caractère transgressif et subversif.

Mother’s Day raconte l’histoire d’une famille de dégénérés, une mère et ses deux fils, en autarcie au milieu d’une forêt. La vieille les maintient captifs par la peur. Tous les soirs, elle leur raconte l’histoire d’un être malfaisant et cruel qui erre dans les parages, qui mutile et tue ceux qui le croisent. Cloitrés, les frères ne s’« informent » du monde extérieur que par les programmes de télévision. C’est sur cette famille que trois charmantes Citadines, en week-end, vont tomber. Elles sont l’exact opposé de la famille des bois, chacune avec ses angoisses liées à la vie urbaine. Trois femmes, trois carrières, de trois villes (L.A., Chicago et New York) se sont fait la promesse durant leurs années universitaires de se retrouver tous les ans pour une escapade surprise. Mauvaise pioche cette année avec cette tragique virée en forêt. Le retour à la nature va être rude et brutal. La mère encourageant ses enfants à pratiquer sur les jeunes femmes les sévices et les perversions les plus extrêmes. Dans l’esprit des deux morveux abrutis par des années de télévision, tout cela est parfaitement normal.

Mother’s Day, sorte de rencontre entre Délivrance et Massacre à la tronçonneuse, est une critique virulente de la société de consommation. Kaufman se livre à un véritable jeu de massacre. Tout y passe, de l’impact des publicités, des informations, aux soaps pétris de morale et de bons sentiments. Tout ce mélange qui finit par plonger le spectateur dans une sorte d’univers parallèle, et dans le cas présent par vriller totalement le cerveau des deux frères. Leur rapport à un autre fantasmé est un mélange de bonté et de violence télévisuelle. Ils ont du monde une vision foutraque à l’image de leur chambre, un bazar total, de posters d’ado et de pin-up nues, le tout d’une saleté répugnante. La souffrance, la joie, l’amour, la possession, tout est ramené au même niveau, poussé et encouragé par la perversité de la mère.

Si la famille de Mother’s Day est dans la droite ligne de La Colline à des yeux de Wes Craven, Charles Kaufman n’en trouve pas moins un style propre par son mélange d’humour noir, de transgression et de violence viscérale. C’est autant un conte noir qu’une satire des dérives de la société dans la tradition de Jonathan Switf. Charles Kaufman fait montre d’un véritable talent de cinéaste pamphlétaire. Mother’s Day est son second film après une incursion dans le porno avec La liberté des sens. Il tournera par la suite 2 autres films, totalement dans l’esprit déjanté et anarchisant de la Troma, sans jamais retrouver la même énergie et rage. Charles Kaufman s’est retiré des affaires de cinéma, laissant son frère Lloyd Kaufman continuer l’aventure de la Troma, pour se consacrer à sa boulangerie ! Charles Kaufman est en définitive l’homme d’un seul film, celui où il a fait œuvre d’auteur en balançant tout ce qu’il avait sur le cœur, un feu d’artifice subversif.

Fernand Garcia

Mother’s Day édité pour la 1ère fois en Blu-ray par Rimini Editions. Le film est précédé (pour ceux qui le souhaite) de quelques mots de Charlie Kaufman, « bon citoyen, un père, un entrepreneur. (.) membre respecté de la société de San Diego » plein d’humour et de dérision, dans le charmant cadre de sa boulangerie le « Bread and Cie » (2 minutes). Et en suppléments : Un making-of a partir des essais super 8 pour les trucages et les actrices, sur un commentaire de Charles Kaufman (10 minutes). Mother’s Day au Comic Con 2000, un échange entre Darren Bousman et Charles Kaufman pour la Troma TV. Il s’agit d’un spot pour la présentation du remake de 2010 (7,56 mn). Mother’s Day par un fan, le réalisateur Eli Roth « Le film est très bien pensé. Ce n’est pas un slasher comme les autres. Il y a plusieurs éléments de satire sociale, mais c’est fait avec subtilité. » (13 mn).  Cette édition est accompagnée par un livret : Mother’s Day, les enfants de la télé par Marc Toullec afin de tout connaitre de l’aventure de ce slasher atypique (19 pages).

Mother’s Day un film de Charles Kaufman avec Rose Ross (Beatrice Pons), Nancy Henderickson, Deborah Luce, Tiana Pierce, Holden McGuire (Frederick Coffin), Billy Ray McQuade (Michael McCleery), Tiana Pierce, Robert Collins… Scénario : Charles Kaufman et Warren Leight. Directeur de la photographie : Joseph Mangine. Décors : Susan Kaufman. Costume : Ellen Lutter. Montage : Daniel Loewenthal. Musique : Phil Gallo & Clem Vicari. Producteurs associés : Lloyd Kaufman et Michael Herz. Producteurs : Michael Kravitz et Charles Kaufman. Production : Troma Team – Saga Film A.B. – Duty Productions. Etats-Unis. 1980. 90 minutes. Couleur. Format image : 1,85 :1. 16/9e Son : Version anglaise sous-titrés en français (Dual Mono) et Version française (Stéréo). DTS-HD.