Moi, Daniel Blake – Ken Loach

De l’écran noir du début à celui de la fin, il se sera écoulé les derniers temps d’une vie. Du dialogue de sourds du début à la prise de parole posthume de la fin, c’est tout le cheminement d’un homme, honnête, Daniel Blake, qui a voulu rester debout.

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Daniel  Blake est menuisier charpentier. Il a une crise cardiaque sur un échafaudage. Son médecin traitant lui interdit de reprendre le travail. Il survit avec une indemnité d’invalidé mais, lors de son renouvellement, il se retrouve confronté à une voix anonyme d’un centre d’appels d’une société américaine mandaté par le gouvernement pour l’évaluer. Les questions stupides auxquelles il doit répondre n’ont qu’un seul but – le radier de l’aide. Pour le système néolibéral, Daniel Blake est un parasite. Tout un système est mis en place pour rendre l’accès aux aides « légitimes » quasi impossible.

Moi, Daniel Blake est un témoignage sur notre temps. Sur des êtres humains de différentes générations qui se retrouvent du jour au lendemain en galère. Daniel Blake rencontre au Job Center (le Pôle emploi anglais) une jeune mère de famille, Katie, victime elle aussi d’un système aberrant qui la condamne à la mendicité. Tout va dans un seul et unique sens de la sanction. Au moindre faux pas, elle tombe: un retard, et c’est 40% d’allocation en moins et ainsi de suite jusqu’à des années d’exclusion. L’humain n’est plus qu’une ligne dans un logiciel de gestion, le but est clairement de l’effacer. Le numérique, cette merveille, fait que le CV doit être dématérialisé afin de l’envoyer à partir de son smartphone ! Mais comment payer ses factures de mobile, alors que l’argent ne suffit plus à payer son loyer, ses factures d’électricité, et que l’on n’a plus de quoi manger ? On vend d’abord ce que l’on possède, puis ce qu’il reste son corps…

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Le plus remarquable est qu’à aucun moment, Ken Loach ne tombe dans le manichéisme ni dans l’angélisme. Les personnages sont comme ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts. Leur vie n’est pas parfaite mais ils avancent en essayant de rester digne. La pauvreté n’est pas aussi un gage d’honnêteté, à l’exemple du « travail » que vigile propose à Katie. Dans le système, on y rencontre aussi bien des employés formatés, bras armés de l’exclusion,  que d’autres, conscients de cette immense duperie. Des poches de résistance individuelle existent de-ci de-là aussi bien dans les bureaux que dans la rue.

De ce monde du réel, Loach tire des scènes d’une force inouïe. Il faut voir la justesse de la séquence de la banque alimentaire, la faim et la honte de Katie. Nous ressentons son désarroi d’avoir à demander de la nourriture, cette ligne jaune au-delà de laquelle le rabaissement social s’ajoute à l’humiliation. Une autre séquence parmi d’autres: ayant presque tout vendu pour survivre, Blake refuse de se séparer de sa caisse à outils. Détail simple et puissant – grâce à ces outils, il a pu bâtir sa vie.

Moi, Daniel Blake est un film bouleversant à plusieurs égards. Ken Loach signe là l’un de ses plus grands films et peut-être son plus sombre, à moins que les gueux ne redressent l’échine. Son « discours » lors de la remise de la Palme d’or, amplement mérité, est tout simplement, à l’image de son film, admirable. Ken Loach est un grand cinéaste et un type bien.

Fernand Garcia

moi-daniel-blake-afficheMoi, Daniel Blake un film de Ken Loach avec Dave Johns, Hayley Squires, Sharon Percy, Briana Shann, Dylan McKiernan, Natalie Ann Jamieson, Mark Burns, Micky McGregor… Scénario : Paul Laverty. Directeur de la photographie : Robbie Ryan. Décors : Fergus Clegg, Linda Wilson. Montage : Jonathan Morris. Musique : George Fenton. Producteur : Rebecca O’Brien. Production : Sixteen Films – Why Not Productions – Wild Bunch – Les Films du Fleuve – BBC Films – BFI – Le Pacte. Distribution (France) : Le Pacte (sortie le 26 octobre 2016). Grande-Bretagne – France – Belgique.  99 mn. Couleur. Négatif 35 mm Kodak. Format image : 1.85 :1. DCP. Dolby Digital. Palme d’Or, Festival de Cannes 2016.