Miranda – Tinto Brass

Miranda (Serena Grandi) remonte ses bas. Elle vient de faire l’amour avec Berto (Andrea Occhipinti). Tandis que son amant se lave la verge au lavabo, Miranda se pose une question : « Il y a une chose que je ne pourrais jamais faire te prendre par-derrière comme le ferait un homme. ». La chambre d’hôtel donne sur la place du village encore recouverte de neige. L’hiver touche à sa fin. Berto est amoureux de Miranda, mais la belle a un autre amant plus âgé, le consul Carlo (Franco Interlenghi), qui l’aime aussi. En témoigne la bague qu’il lui a offerte, ce qui a pour effet d’attiser la jalousie de Berto…

Miranda se situe dans la carrière de Tinto Brass après le triomphe de La Clé. Le film est comme une continuation historique et esthétique du précédent. L’action de La Clé se déroulait à Venise durant l’hiver, à l’entrée en guerre de l’Italie. Période sombre où le fascisme surveillait le moindre geste. La liberté individuelle ne pouvait s’exprimer que dans l’intimité de la chambre à coucher. La Clé est une métaphore de l’Italie sous le fascisme. Miranda se déroule après la Seconde Guerre mondiale, au début des années 50. Les brumes de l’hiver s’éloignent déjà et pointent les premiers bourgeons du printemps. Un souffle de liberté ouvre une nouvelle période. A l’hôtel de La Clé, succède l’auberge Chez Gino. Miranda en est la propriétaire depuis que son mari est porté disparu. Contrairement à la prude Teresa (Stefania Sandrelli) héroïne de La Clé, Miranda vit librement sa sexualité. Elle choisit ses amants sans en faire tout un plat. Cette liberté a le don d’exaspérer Tony (Franco Branciaroli), son employé, qui brûle de désir et d’amour pour sa belle patronne. Mais Miranda, par jeu, se refuse à lui. Le pauvre Tony est dans une soumission à la Sacher-Masoch.

Miranda n’a pas de comptes à rendre. Elle se libère des liens du passé et domine de sa sensualité tous ses amants. Ils se morfondent de jalousie, les uns envers les autres. Chacun lui propose la possibilité d’un avenir dans la nouvelle Italie encore en gestation. Ils cherchent tous à enfermer la belle aubergiste dans les liens du mariage. Ne comprenant pas que Miranda a envie de vivre toutes sortes d’expériences après des années de privation. Ainsi à chaque saison correspond un amant. Elle finit toutefois par épouser son employé et vivre tranquillement dans son auberge.

Evidemment, le casting féminin est soigné. Dans un rôle secondaire, la Française Isabelle Illiers. Elle a eu son heure de troublante sensualité en personnifiant O dans Les fruits de la passion mis en scène par le japonais, Shûji Terayama, suite ô combien supérieur à Histoire d’O, situé dans un bordel de Shanghai. Illiers se partage entre la France et l’Italie pour quelques films, puis elle disparaît des radars après un dernier petit rôle dans Sabato, domenica e lundi (inédit en France, 1990) de Lina Wertmuller avec Sophia Loren. Isabelle Illiers avait débuté, sous le nom d’Isabelle Legentil, dans L’immorale, un érotique soft de Claude Mulot en 1980. Isabelle Illiers, une petite dizaine d’années dans le cinéma.

Dans le rôle de Lena, l’amie de Miranda, Malisa Longo. Etonnante carrière pour cet ex-mannequin. Actrice aussi bien dans La Fureur du Dragon de et avec Bruce Lee que dans Prenez la queue comme tout le monde comédie paillarde de Jean-François Davy, que dans La Cité des femmes œuvre visionnaire de Federico Fellini. Parcours atypique pour une actrice qui passe d’un film à l’autre d’un univers à l’autre sans la moindre difficulté. Marisa Longo débute au cinéma dans un giallo d’Antonio Margheriti, Nude… si muore en 1968. Elle enchaine rapidement les séries B, et les apparitions non crédité comme dans Perversion Story (Una Sull’altra, 1969) de Lucio Fulci, qu’elle retrouvera pour le dernier film du cinéaste, Nightmare Concert (Il Gatto nel cervello). En 1970, elle tourne dans l’un de ses films préféré, Blindman, le justicier aveugle (Blindman), western pour le moins délirant de Ferdinando Baldi avec Tony Anthony et Ringo Starr. Dès 1969, elle tourne en France, A propos de la femme de Claude Pierson. Malisa Longo alterne pendant un moment les tournages en Italie et en France. Rôles secondaires dans de grosses productions et en tête d’affiche dans les petites productions.

Elle est une guerrière dans l’aventure des Amazones (Le guerriere dal seno nudo, 1973) de Terence Young. Elle se retrouve dans une coproduction italo-française de José Bénazéraf, transition pour le cinéaste entre le cinéma érotique et le porno à dimension politique, Adolescence pervertie (1974) avec Femi Benussi. Elle tourne dans de nombreuses sexploitations avant de devenir une habituée des sous-produits de SF réalisé par Alfonso Brescia dans le sillage de La Guerre des étoiles. Elle tourne dans de deux nazixploitation particulièrement fauché d’Eurociné, Elsa Fräulein SS (1977) et Helga, la louve de Stilberg (1978) de Patrice Rhomm. Malisa Longo est la partenaire de Carlos Monzon, grand champion de boxe du XXe siècle, dans le bien-nommé El Macho (1977), western en son temps distribué par Alain Delon. Malisa Longo quitte le cinéma après le film de Fulci en 1990 et quelques rôles à la télévision. Elle se consacre alors à l’écriture de romans, de poésies érotiques, et participe à des podcasts sur Bruce Lee. En 2023 Malisa Longo est annoncé dans deux films d’horreur. Malisa Longo a tournée en tout 3 films sous la direction de Tinto Brass, Salon Kitty, Miranda et Snack Bar Budapest.

Miranda déborde de sensualité et de générosité. Le rôle, était au départ, prévu pour Stefania Sandrelli, après le triomphe de La Clé, il était évidemment tentant de réunir à l’écran l’équipe gagnante. Selon Tinto Brass, ce ne fut pas possible au vu du cachet demandé par L’actrice. Il a de la chance et tombe sur une jeune actrice, Serena Grandi. Elle tourne depuis quelques années et son rôle le plus notable reste dans  Anthropophagous (1980), incroyable délire gore de Joe D’Amato. Miranda est une chance aussi pour Serena Grandi, son personnage la propulse sur le devant de la scène. Ses formes généreuses en font une digne héritière de Loren et Lollobridgida de la grande époque. Serena Grandi est une bombe sexy en diable dont l’indécence doublée d’un esprit libre, marque durablement la mémoire des spectateurs. Après Miranda, elle poursuit sa carrière dans le cinéma sexy et érotique, tournant sous la direction de Gianfranco Mingozzi, Les exploits d’un jeune Don Juan (L’iniziazione, 1986) et sous la direction de Dino Risi, Teresa (1987). En 2013, Elle incarne Lorena dans La grande bellezza de Paolo Sorrentino. Serena Grandi est une actrice populaire en Italie, mais reste peu connu hors des frontières.

On retrouve le style de Tinto Brass, sa manière de filmer frontalement avec ses panoramiques décrivant l’action, son utilisation des miroirs et de la démultiplication de l’image. On retrouve ses obsessions, filmé sous les jupes des femmes, les cuisses écartées, les culottes qui entrent dans l’intime, son l’insistance sur le cul des femmes et l’incontournable scène de pipi. Un érotisme qui s’affirme dans une sorte de joie, de douce provocation et d’un féminisme qui donne le beau rôle à la femme. Miranda mène la danse, le film est de son point-de-vue, ce qui n’était pas le cas de La Clé, où Teresa se fondait dans les fantasmes masculins.

Fernand Garcia

Miranda, pour la première fois en combo (Blu-ray + DVD), une édition Sidonis – Calysta dans la collection Tinto Brass. De très bons compléments accompagnent cette édition. Une présentation du film par François Guérif. L’éditeur et critique, point les qualités et les excès de Tinto Brass, son « coté culturel et historique » dans une analyse fine de Miranda (12 minutes). Les secrets de la belle aubergiste, entretien avec Tinto Brass  (12 minutes). Conversation avec Tinto Bras (en français), ses débuts, le voyeurisme, le bordel, la salle de cinéma, ses films, sa manière de faire, l’érotisme… (25 minutes). Deux entretiens complémentaires, caustiques et amusants. Et enfin la bande-annonce italienne d’époque (3 minutes).

Miranda, un film de Tinto Brass avec Serena Grandi, Andrea Occhipinti, Franco Interlenghi, Andy J. Forest, Franco Branciaroli, Malisa Longo, Isabelle Illiers, Laura Sassi, Luciana Cirenein, Jean René Lemoine… Scénario et montage : Tinto Brass inspiré de la pièce Carlo Goldoni. Directeur de la photographie : Silvano Ippoliti. Décors : Paolo Biagetti. Costumes : Jost Jakob. Script : Carla Cipriani. Musique : Riz Ortolani. Producteur : Giovanni Bertolucci. Production : San Francisco. Italie. 1985. Version intégrale. 99 minutes. Couleur. Format image : 1.85 :1. Son : Version française et Version originale avec ou sans sous-titres français. Inédit dans les salles françaises. Public averti.