Mélodie pour un meurtre – Harold Becker

Mélodie pour un meurtre se situe dans la carrière d’Al Pacino, après un silence volontaire de l’acteur, après l’échec public et critique aux Etats-Unis de Révolution. Profondément affecté Al Pacino se retire durant quatre ans des écrans. Dans ce laps de temps, Pacino produit et joue dans The Local Stigmatic, moyen métrage adaptation d’une pièce off Broadway, réalisé par David F. Wheeler. La concrétisation du film se fera de manière chaotique, le film ne sera projeté qu’en séance exceptionnelle en 1990. Mélodie pour un meurtre est une excellente pioche pour l’acteur, le succès du film relance « commercialement » sa carrière.

Mélodie pour un meurtre s’inscrit dans un mouvement, de courte durée, du thriller érotique, sorte d’actualisation du film noir avec sa femme fatale et son héros dans l’engrenage d’une spirale infernale. Le scénario de Richard Price intéresse un moment Sydney Pollack. Il est écrit pour Dustin Hoffman, mais l’acteur abandonne, suite à des divergences artistiques avec Price, pour se consacrer à Rain Man (1988). Richard Price n’abandonne pas. Il fait parvenir son script à Al Pacino. Diane Keaton, qui partage la vie de Pacino, aime le scénario et le convainc de s’y consacrer. Pacino le fait suivre à Martin Bergman, son ami et producteur. Ensemble, ils ont à leurs actifs trois œuvres majeures, Serpico (1973), Un après-midi de chien (Dog Day Afternoon, 1975) deux films de Sidney Lumet et Scarface (1983), ils se retrouveront une dernière fois pour L’impasse (Carlito’s way, 1993) deux Brian De Palma. Après des réaménagements et des réécritures, le script proposé est validé par Universal.

Le premier réalisateur envisagé est Gregory Hoblit, avant de se faire sortir à quelques semaines du début de tournage. Harold Becker reprend le film, après avoir un temps été intéressé par sa réalisation. Son nom est toujours dans les mémoires pour deux excellents polars Tueurs de flics (1979) et Taps (1980), ce dernier révèle Tom Cruise. Bonne pioche pour Martin Bergman qui a apprécié ses films pour leur dose de réalisme. Mélodie pour un meurtre est un polar urbain new-yorkais (tourné en grande partie à Toronto), la ville, extérieure et intérieure, ont une présence forte à l’écran. Mais sous le vernis d’une population dense et active coulent des torrents de solitude. Dans l’une des plus belles séquences du film, Al Pacino a rendez-vous avec plusieurs femmes dans un restaurant. Elles ont toutes répondu à une petite annonce, parmi celles-ci, une femme un peu plus âgée (Patricia Barry). Elle recherche l’âme sœur afin de rompre de la monotonie d’une vie chaotique. Trop d’expériences décevantes lui font vite comprendre qu’il y a anguille sous roche. Elle le quitte sur un malentendu. Pacino poursuit ses rendez-vous, l’obsession de la traque du tueur des petites annonces visée au corps. A la fin de la nuit, il croise le regard de Patricia Barry, restée toute la soirée à l’observer au bar. Toute la détresse des nuits sans espoir se dessine sur son visage, tandis que Pacino accuse le coup. L’attitude, le regard, c’est simple et particulièrement fort.

Il n’est jamais inutile de louer l’immense talent d’Al Pacino, dans ce film comme dans les autres. Pacino est un acteur généreux, il n’est pas en rivalité avec ses partenaires. Il suffit pour s’en convaincre de voir ses scènes avec  John Goodman. De même, il y a une réelle et belle alchimie entre Al Pacino et Ellen Barkin, relation passionnelle, totalement, crédibilise totalement.

Ellen Barkin n’est pas arrivée par hasard sur Mélodie pour un meurtre, elle avait déjà une belle carrière. Elle « éclate » à l’écran en incarnant une procureure ultra-sexy dans The Big Easy de Jim McBride, où elle avait déjà comme partenaire John Goodman. Précédemment, Barkin avait failli être aux côtés d’Al Pacino dans Johnny Belle Gueule (Johnny Handsome, 1989) avant que l’acteur ne se désiste au profit de Mickey Roorke. Film que devait réaliser Harold Becker avant qu’il ne quitte à son tour le projet finalement signé par Walter Hill. Finalement, ils joueront ensemble dans Mélodie pour un meurtre.

Michael Rooker, l’impressionnant tueur en série de Henry Portrait of a Serial Killer (1986) de John McNaughton, point de départ d’une carrière qui lui permettra de croiser Alan Parker (Mississippi Burning, 1988), Costa Gavras (Music Box, 1989), Tony Scott (Jours de tonnerre / Days of Thunder, 1990), Oliver Stone (JFK, 1991), Renny Harlin (Cliffhanger, 1993), George P. Cosmatos (Tombstone, 1993) jusqu’au Marvel, Gardians of the Galaxy I et II (2014 et 2017). Une belle filmographie quasi-intégralement du côté obscur.

Si l’essentiel du scénario est à l’écran, le résultat final s’oriente vers le thriller érotique. Genre hybride qui remonte à Alfred Hitchcock, Sueurs froides (Vertigo, 1958), Psychose (Psycho, 1960) et poursuivi par Mario Bava avec ses gialli. Le genre revient aux Etats-Unis dans une forme plus violente et sexuellement plus explicitement avec Pulsions (Dressed to Kill, 1980) de Brian De Palma. Le succès du film entraîne dans son sillage une série de films à succès, parfois sous les huées des féministes. La fièvre au corps (Body Heat, 1981), Blue Velvet (1986) de David Lynch, The Hot Spot (1993) de Dennis Hopper, Basic Instinct (1992) de Paul Verhoeven, J.F. partagerait appartement (Single White Female, 1993) de Barbet Schroeder, Jade (1995) de William Friedkin, Sexcrimes (Wild Things, 1998) de John McNaughton ou Eyes Wide Shut (1999) de Stanley Kubrick sont quelques-uns des fleurons du genre. Mélodie pour un meurtre est dans les pas de Liaison fatale (Fatal Attraction, 1987) autre hit au box-office avec Michael Douglas et Glenn Close écrit par James Dearden (et Nicholas Meyer) et dirigé par Adrian Lyne.

Mélodie pour un meurtre aurait pu être un film particulièrement noir, mais il se termine sur un happy end laissant entrevoir une possibilité de rompre la solitude des grandes villes déshumanisées.

Fernand Garcia

Mélodie pour un meurtre, une édition de L’Atelier d’Image (Blu-ray ou DVD) en suppléments : Petite musique de chambre par Fred Teper (22 minutes). Making of, Scènes coupées, Scènes commentées, et la bande-annonce originale.

Mélodie pour un meurtre (Sea of Love), un film de Harold Becker avec Al Pacino, Ellen  Barkin, John Goodman, Michael Rooker, William Hickey, Richard Jenkins, Paul Calderon, Christine Estabrook, Barbara Baxley, Patricia Barry, Samuel L. Jackson… Directeur de la photographie : Ronnie Taylor. Decors : John Jay Moore. Costumes : Betsy Cox. Montage : David Bretherton. Musique : Trevor Jones. Producteurs : Martin Bregman & Louis A. Stroller. Production : Bregman/Baer Productions – Universal Pictures. Etats-Unis. 1989. 113 minutes. DeLuxe. Couleur. Panavision. Format image : 1.85 :1. Son : Version originale avec sous-titres français et Version française. Tous Publics.