Matalo ! – Cesare Canevari

Il n’existe que deux sortes d’hommes bons : L’un est mort. L’autre n’est pas encore né. On ne peut être plus clair, dès le premier carton et les premières images le ton est donné au son strident des accords rock. Matalo !, bute-le, est un grand western.

Corrado Pani

Un corbillard, un cercueil ; une veuve sort sur le perron. A travers le voile noir qui couvre ses yeux elle devine la silhouette du bandit, Bart, qui sort du bureau du shérif. Il avance vers l’échafaud pour y être pendu. La corde au cou, il provoque le curé qui s’esquinte à lui réciter une prière de circonstance. Bart est un cynique, sans foi ni loi. Son exécution tourne court. Et c’est dans un bain de sang que ses comparses mettent fin à la macabre cérémonie. Bart, tel un hippie, déambule dans la rue à feu et à sang. Il retrouve la veuve, qui hésite à le tuer, il l’embrasse à pleine bouche tout en lui dérobant une bourse d’argent. Ils furent complices. Avec ses libérateurs, Bart quitte une ville jonchée de cadavres…

Matalo ! est un western européen des plus réjouissants car totalement subversif. Le scénario emprunte des chemins étonnants à plus d’un titre, et la mise en scène de Cesare Canevari va en accentuer tous les effets baroques.

Luis Davila Claudia Gravy

Film d’une grande modernité en premier lieu par l’utilisation des personnages, par leurs comportements et leurs apparitions dans l’histoire. On peut dire que dans Matalo ! il n’y a pas de personnage principale, s’échappant ainsi à la fétichisation hollywoodienne du héros. Bart (Corrado Pani) ouvre le film avant d’en disparaître, plus ou moins, sans que cela occasionne un quelconque ralentissement de l’intrigue. Dramaturgie moderne et expression politique radicale. Bart exprime sa vision du monde en off. Arrivé de la vieille Europe aux Etats-Unis, il a mis en pratique les conseils de son père : « L’argent, c’est l’amour ; l’amour, c’est la possession ; la possession, c’est la vie. La vie, c’est du vol. Le vol est un mode de vie pour les gens comme nous, qui ne possédons rien ». Père admirable, exemple pour son fils, a terminé la corde au cou. Matalo ! est un film à l’esprit libertaire au discours sans équivoque d’extrême gauche. Il n’est pas interdit de voir dans Bart un hommage à Bartolomeo Vanzetti – anarchiste condamné à mort et exécuté au Etats-Unis avec son camarade Nicola Sacco.

Matalo! Cesare Canevari

Matalo ! n’est pas dans la critique, mais dans la destruction d’une idéologie bourgeoise dominante. La ville fantôme, où se déroule la majeure partie du film, est le symbole d’un monde déjà mort. Le cynisme a gagné la classe des laborieux, des sans grades. A cette lucidité nouvelle correspond une volonté de libération sexuelle.

Matalo!

Planqué dans la ville fantôme, Bart et ses trois acolytes, Philip (Luis Davila), Théo (Antonio Salines) et Mary (Claudia Gravy) attendent le bon moment pour repartir avec leur butin. Si l’argent est liant de leurs relations, c’est Mary qui attise leur convoitise. Philip est l’homme du moment de Mary. La belle hors-la-loi est une femme libre. Ses désirs charnels se confondent avec ses besoins vénaux. Elle papillonne déployant ses charmes usant et abusant de gestes et regards lourds de sens. Bart taillé dans le même bois, n’est pas dupe de son jeu. Mis volontairement par Mary sur la touche, Théo n’en peut plus. C’est un sauvage, un idiot, sadique et obsédé sexuel. Sous le soleil écrasant de longues journées d’abstinence, Théo déraille totalement. Cesare Canevari pousse à son paroxysme l’ambiguïté sexuelle qui unit les personnages. Surgi de terre, dans un énigmatique et baroque plan, Ray (Lou Castel) déboule dans la ville. Pacifiste, il devient aussitôt le souffre douleur de Théo. Il se décharge sur lui de toute son énergie sexuelle accumulée, qu’il ne peut assouvir. Enchaîné, assoiffé, maltraité, roué de coups, Ray est la victime expiatoire des frustrations de Théo.

Antonio Salines Claudia Gravy

Cesare Canevari traduit visuellement le jeu de pulsions sexuelles et de la mort par une séquence remarquable. Mary sur une balançoire, va-et-vient au-dessus de Ray, le frôlant à chaque passage avec la lame d’un couteau. Théo excité par la perversité de la situation, se place au-dessus de Ray, jambes écartées. La lame allant jusqu’à l’entrejambe de Théo alors que leurs bouches se touchent… presque. La scène est parfaitement construite, tant au niveau du jeu, du cadrage que du montage. Elle est d’une grande force formelle.

L’ancien monde est aussi représenté par la vieille bourgeoise, que les hors-la-loi découvrent dans une bâtisse de la ville. Constance rêve encore de rétablir le pouvoir de sa famille sur la région. Enfermée dans le luxe du temps de sa splendeur, elle est objet de raillerie. Elle n’est plus rien après des siècles d’exploitation. Les idées de l’ancien temps ont la vie dure. Ainsi, la jeune pionnière, qui arrive en ville, figure classique du western hollywoodien, partage avec la vieille bourgeoise la même vision de classe. L’espoir que nos anarchistes vont aussitôt mettre à mal. Elle prend conscience que le monde bourgeois dont elle rêve est basé en premier lieu sur la violence.

Matalo ! western destroy foule aux pieds toutes les valeurs populistes du cinéma américain de droite. Imagine-t-on John Wayne en hippie, un collier de perles autour du cou ? Nos « héros » sont des pionniers d’une autre nature, ils ne sont pas nés pour bâtir un nouvel empire et imposer aux autres leurs volontés. Il est toutefois difficile de se défaire de ses chaînes. L’utilisation de la chaîne dans Matalo ! en est, à cet égard, particulièrement symbolique. Mary la jette par la fenêtre de sa chambre dans un geste d’émancipation qui redevient très vite entre les mains de Théo un objet d’oppression. Chaque avancée donne naissance à une autre forme de soumission.

Lou Castel

La distribution est impeccable et la mise en scène de Cesare Canevari d’une grande inventivité. Choix esthétique fort qui lorgne par moments du côté du cinéma expérimental. Canevari utilise toutes les possibilités pour dynamiser son récit, arrêts sur image, ralenti, décadrage, plan ultra-court, contre-plongée signifiante, travelling à 360°, etc. le tout soutenu par une formidable musique rock de Mario Migliardi.

Matalo ! western européen méconnu mérite amplement une place de choix aux côtés des grands titres du genre, à (re)découvrir absolument.

Fernand Garcia

Matalo ! DVDMatalo ! est édité par Artus Films dans une magnifique copie et ce, dans l’excellente collection Western Européen avec en complément de programme Bienvenue en enfer, analyse et mise en perspective de Matalo ! dans l’histoire du western européen par Alain Petit (30 mn). Rouge western, documentaire d’Eric Cherrière et Claude Ledu, à l’humour caustique des francs-tireurs du cinéma populaire (53 mn). Enfin, un diaporama d’affiches et photos et plusieurs films-annonces de la collection Western européen (Matalo !, Belle Starr Story, Texas, Killer Kid et Bandidos).

Matalo ! un film de Cesare Canevari, avec Lou Castel, Corrado Pani, Antonio Salines, Luis Davila, Claudia Gravy, Ana Maria Noe, Miguel de Castillo. Scénario : Mino Roli, Nico Ducci et Eduardo Manzamos Brochero. Photographie : Julio Ortas. Décors : Francesco De Stefano. Montage : Antonio Gimeno. Musique Mario Migliardi. Producteur : Production : Rofima Cinematografica (Milan) – Copercines (Madrid). Italie-Espagne. 1970. 89 mn. Couleurs. Format : 1.85 :1 respecté 16/9ème compatible 4/3. Version : Français, Italie, VOSTF. Classification : Interdit aux moins de 12 ans.