Mange tes morts – Jean-Charles Hue

Fred est de retour dans sa communauté, les Yéniches,  après avoir purgé une peine de 15 ans de prison. Il retrouve sa famille. Son frère Mickaël et son demi-frère, fils adoptif  « bâtard », Jason. Ce dernier se prépare pour son bâpteme.

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Mais c’est à double baptême que Jason va être convié. Un chrétien évangélique et un païen, sauvage, improvisé, celui du « tchor » (vol). Le paradis et l’enfer dans un même mouvement. Deux chemins s’ouvrent à Jason : celui de la communauté qui n’offre rien de plus qu’une absorption culturelle dans la société, une sorte de nouveau monde, plus imposé que désiré, et celui de Fred et ses valeurs ancestrales quasi-mythologiques; il  représente à lui seul l’ancien monde, la tradition. Fred entraîne Jason dans un voyage initiatique. Dans une caverne, repaire à la Mad Max de garagistes, il récupère en cadeau une Alpina, voiture d’un autre temps. Et c’est à son bord, qu’il part avec Jason, Mickaël et son cousin Moïse au-delà d’une invisible ligne d’horizon. Ils quittent leur terrien vague en destination d’une casse à Creil, où ils doivent dérober un camion chargé de cuivre.

Mange tes morts

La « frontière » franchie c’est dans les ténèbres qu’ils s’enfoncent, dans une nuit qui a transformé l’espace environnant en un monde sans couleurs que parcourent les « Chmidts » (policiers), sorte de bêtes monstrueuses, ennemies de toujours des Yeniches. Le voyage est mouvementé et hasardeux, derrière le volant, Fred est perdu, il ne reconnaît plus rien, les villes se sont transformées et étendues.  Fred ne doit pas perdre la face, il est le guide, celui qui  indique le chemin, la voie à suivre.

Fred

Fred est un homme d’une mythologie ancienne, les restes d’un monde que le vent a emporté depuis longtemps. Il est à l’image des ces hommes, des westerns crépusculaires, que la mélancolie d’un autre temps entraîne vers une mort inéluctable, vers la légende. Fred évoque à lui seul tous les hors-la-loi de la Horde Sauvage. Il est le dernier d’une forme de vie qui s’éteint. Contrairement aux autres membres de la communauté qui se sédentarise, Fred ne sera jamais un plouc dans un pavillon de banlieue. Il est un guerrier. Sa confrontation avec les « Chmidts » est à ce titre exemplaire et héroïque, chaque mot claque aussi fort qu’un fouet comme l’affirmation de sa liberté retrouvée. Fred entraîne ses passagers, le film et les spectateurs aux frontières du réel, dépassant ainsi toute notion de réalisme pour s’ouvrir sur l’imaginaire. Espace rare et hautement précieux que la société s’acharne à extirper de l’être humain.

Intelligemment, Jean-Charles Hue, laisse ce qu’il faut d’espace de création à ses acteurs dans son univers parfaitement construit et agencé. L’utilisation remarquable des sources de lumière, presque systématiquement et exclusivement face caméra, du soleil des premiers plans aux lampadaires,  lumières et néons de la nuit, contribue grandement à une sorte l’authenticité fantastique du film. Mais, Hue ne perd jamais de vue le but et le sens général de son œuvre. Il souffle sur son film un vent salutaire de liberté. Frédéric Dorkel dans le rôle principale est stupéfiant, ses mouvements, sa carrure, son phrasé sont l’épine dorsal du film. Les autres acteurs, toujours justes, maintiennent une tension permanente, mélange de fascination, de colère et de fatigue d’une nuit bien trop longue.

Mange tes morts est tout simplement un très grand film.

Fernand Garcia

Affiche

Mange tes morts, un film de Jean-Charles Hue avec Frédéric Dorkel, Jason François Dorkel, Mickaël Dauber, Moïse Dorkel, Philippe Martin, Christian Milia-Darmezin. Scénario : Jean-Charles Hue et Salvatore Lista. Directeur de la photo : Jonathan Ricquebourg. Décors : Christophe Simonet. Montage : Isabelle Proust. Musique : Vincent-Marie Bouvot. Producteur : Thierry Lounas. Production : Capricci avec la participation de : CNC – Ciné +, – ARTE / Cofinova 10 – fonds de la diversité et avec le soutien de Cicilc – Région Centre Basse Normandie – Maison de l’Image Basse Normandie – PROCIREP. Distribution (France) : Capricci. France 2014. Couleurs. 1,85 :1. 94 mn. Prix Jean Vigo 2014. Sélection Quinzaine des Réalisateurs 2014.