L’homme de l’Arizona – Budd Boetticher

« J’aime beaucoup The Tall T, c’est un de mes meilleurs films »

Budd Boetticher

(in Amis Américains – Bertrand Tavernier – Institut Lumière/Actes Sud, 1993)

L’homme de l’Arizona débute par l’arrivée traditionnelle d’un homme, Patrick Brennan, surgi du fin fond de nulle part (une ferme perdue dans le désert où il travaille seul). Brennan n’est plus un jeune homme mais il a foi en l’avenir. Il doit se rendre en ville pour acheter un taureau. Bêtement, il accepte un pari, son cheval contre un taureau. Hélas, il n’arrive pas à dompter la fougue et la force de l’animal et se retrouve dans un abreuvoir. Brennan s’en retourne chez lui, la selle sur l’épaule, mais il reste optimiste. Ce qu’il ne peut imaginer, c’est qu’il vient de mettre les bottes dans la pire journée de sa vie.

Budd Boetticher débute L’homme de l’Arizona sur une note documentaire avec le quotidien des hommes dans cette contrée lointaine. Comme toujours chez Boetticher, le cadre est une merveille de positionnement et le rythme soutenu. Pas de doute, nous sommes embarqués dans une histoire dont le début ne nous laisse pas encore entrevoir sur quelle piste Budd Boetticher et son scénariste Burt Kennedy nous mènent. Cet aspect documentaire au ton humoristique et bon enfant, nous distille toutes les informations qui vont enrichir le contexte et définir les personnages. Progressivement, Boetticher va aller au-delà des apparences, du superficiel, pour aboutir à une mise à nu des personnages.

Brennan, une fois perdu son cheval, s’en retourne à pied, plus pauvre qu’au début. Sur la route, son vieil ami, Ed (Arthur Hunnicutt), le prend dans sa diligence contre l’avis de son client Willard (John Hubbard), un opportuniste, comptable en voyage de noces. Il a épousé Doretta (Maureen O’Sullivan), la fille de son patron, non par amour, mais comme une ligne de crédit. Doretta n’est pas particulièrement belle, ni désirable, mais son père est riche et cela a suffi à Willard. Doretta, n’est pas naïve, mais c’est pour elle l’unique manière de sortir de sa condition de vieille fille sans espoir de lendemain.

Ils n’arriveront pas à destination, mais seront pris en otage par trois pistoleros et entraînés dans une cache en plein désert. Dans ce coin soumis aux vents, à la chaleur, au froid de la nuit, Boetticher tisse les fils d’un huis clos d’une tension psychologique extrême. Le chef, Frank Usher (Richard Boone) est le double négatif de Brennan, l’image de ce qu’il aurait pu devenir. Les deux hommes vont se jauger comme des fauves en cage en une danse macabre d’attraction – répulsion. Usher ne se salit jamais les mains et laisse libre cours aux pulsions destructrices de ses deux jeunes chiens fous.

Deux jeunes, à peine la vingtaine, au sillage en bien des points similaire, analphabètes et incultes. Billy Jack (Skip Homeier) est un orphelin se cherchant désespérément une famille, une image paternelle, qu’il trouve en Usher. Chink (Henry Silva) a eu une famille. A 13 ans, il a tué son père qui battait sa mère. Depuis, il tue pour prouver sa masculinité et son autorité sur les autres. Usher « les a pris comme ils sont » les utilisant pour les pires crapuleries. Lui n’a jamais tué personne. Usher est un personnage fascinant, à la morale ambigüe, dont le passé reste flou. Il pourrait être Brennan, mais les chemins de la vie en ont décidé autrement. Entre Usher et Brennan s’établit un dialogue, biaisé par la situation et ils se retrouvent chacun à deux extrêmes. Pour Brennan « Un homme ne doit pas faire certaines choses » qui ne soient dictées par une morale supérieure. Pour Usher, la ligne entre le bien et le mal est incertaine. Le film est une mécanique de la confrontation qui conduit à un final entre Brennan et Usher, où se pose la question du face à face où la morale peut devenir un signe de faiblesse pour celui qui sait la manier à son avantage.

Dans ce coin de désert, Boetticher, par une science incroyable du cadre qui enferme ses personnages, érige un huis clos admirable. Dans ce périmètre se profile alors l’un des thèmes fondamentaux du film, la domination de la violence, de la force brute, par la raison. On se retrouve au début où Brennan n’arrive pas à dominer le taureau et perd son cheval. Otage, loin de tout, il doit trouver en lui-même la force de vaincre, sans trahir ses idéaux humanistes. Il se retrouve face à une question en apparence toute simple : comment survivre ? Son questionnement rejoint celui de Doretta, qui à sa manière tente de vivre dans un univers où l’homme domine. Ils se retrouvent partenaires par la force des choses. Doretta est abandonnée par son mari, Willard, dont la couardise n’a d’égale que sa soif d’argent. Il sauve sa peau, l’espace d’un instant, en la  « vendant » à Usher. Le vent l’emportera comme une aberration, un grain de sable inutile, condamné moralement tout autant par Brennan que par Usher.

L’autre mouvement qu’opère le film est le rapprochement entre Brennan et Doretta, la rencontre de deux solitudes, l’une consentie, l’autre subie. Dans la semi-obscurité du trou où ils sont enfermés, ils comblent le vide qui les sépare par les mots vrais de ceux qui n’ont plus grand-chose devant eux. L’Homme de l’Arizona n’est pas un film sur le temps qui passe, mais sur le temps qu’il reste devant soi.

Randolph Scott trouve dans ce film, l’un de ses meilleurs rôles les plus complexes. Richard Boone est impressionnant. Skip Homeier va devenir un second rôle prisé de la télévision et Henry Silva va enchainer les seconds rôles jusqu’à devenir une vedette en Europe. La grande idée de Boetticher est d’avoir fait appel à Maureen O’Sullivan, la Jane des Tarzan avec Johnny Weissmuller, alors au creux de la vague. A 46 ans, la belle rousse d’Un Homme tranquille de John Ford, en ce milieu des années 50, a disparu des cinémas pour se consacrer à la télévision où elle apparaît dans des séries et des dramatiques. Son personnage de Doretta est l’un des plus émouvants de la carrière de Maureen O’Sullivan.

Fernand Garcia

L’homme de l’Arizona, une édition (combo) Sidonis – Calysta dans sa collection phare : Western de légende. Une édition particulièrement riche en complément : Budd Boetticher, un maitre du western, l’itinéraire de Boetticher de l’arène aux plateaux par ses proches collaborateurs, critiques et admirateurs (Peter Bogdanovich, Robert Towne, Clint Eastwood) et sur son amitié avec Burt Kennedy et Randolph Scott « On peut dire que Randolph Scott dans les westerns de Boetticher était un toréador » Taylor Hackford (49 minutes). « L’homme de l’Arizona est un film que j’ai vu quand j’avais environ 11 ans » présentation du film par Martin Scorsese (7 minutes env.). Budd Boetticher par Bertrand Tavernier. Les souvenirs de Tavernier, jeune critique et attaché de presse, sur Budd Boetticher (24 minutes env.). Une présentation de l’Homme de l’Arizona par Bertrand Tavernier, « Un film qui commence de manière plus tranquille » analyse précise du mouvement interne du film (20 minutes env.) Une deuxième présentation concise et brillante par Patrick Brion (8 minutes) et pour finir la bande-annonce d’époque de The Tall T (2 minutes).

L’homme de l’Arizona (The Tall T) un film de Budd Boetticher avec Randolph Scott, Richard Boone, Maureen O’Sullivan, Arthur Hunnicutt, Skip Homeier, Henry Silva, John Hubbard… Scénario : Burt Kennedy d’après une nouvelle de Elmore Leonard. Directeur de la photographie : Charles Lawton Jr. Décors : George Brooks. Montage : Al Clark. Musique : Heinz Roemheld. Producteur associé : Randolph Scott. Producteur : Harry Joe Brown. Production : Producers-Actors Corporations – Scott-Brown Productions – Columbia Pictures. Etats-Unis. 1957. 78 minutes. Technicolor. Format image : 1.85:1. 16/9e. Version Originale avec ou sans sous-titres français et Version Française. Tous Publics.