Les mutinés du Téméraire – Lewis Gilbert

1797. Dans la ville portuaire de Spithead (Angleterre), le commandant Crawford (Alec Guinness) et son premier-lieutenant Scott-Padget (Dirk Bogarde) débarquent avec quelques hommes d’équipage. Ils vont contraindre par la force les hommes à l’abord du quai d’embarquer comme soldats de la Marine royale. Les hommes ainsi enrôlés à bord du Defiant (Le Téméraire) sont soumis à une discipline de fer, orchestrée par le lieutenant Scott-Padget contre l’avis du commandant Crawford. Le Téméraire doit rejointe la flotte britannique en Corse. Mais à bord, la colère gronde parmi l’équipage…

Finalement, on connaît assez mal le cinéma populaire britannique des années 60. De cette période, ne surnage que le free cinéma, sorte de nouvelle vague reléguant ses autres artisans dans l’arrière-boutique du 7e art. Le cinéma anglais est viscéralement et économiquement lié au cinéma américain, sa principale source de financement. Le cinéma britannique sur son propre sol était mal considéré par les élites, un spectacle grossier et vulgaire destiné aux prolos, contrairement au théâtre. Les cinéastes et producteurs britanniques devaient en outre lutter en permanence contre l’aveuglement de la British Board of Film Censors, le pire organisme de censure à l’œuvre dans un pays Occidental. Dans un contexte économiquement fragile, sans aucun soutien de l’Etat, le cinéma britannique ne survit que grâce aux productions américaines délocalisées et à James Bond. Dans ce contexte difficile, le cinéma britannique va produire de nombreux films d’excellente qualité, entre films de genre, cinéma d’auteur et grand spectacle.

Les mutinés du Téméraire est signé par Lewis Gilbert, un des meilleurs réalisateurs du pays. On ne peut pas le considérer véritablement comme un auteur, mais il sait se mettre totalement au service de son sujet. Son principal but est de raconter une histoire le mieux et le plus clairement possible. Ce qui est tout à fait estimable et ne l’empêche nullement d’avoir à son actif de grandes réussites. Il apprend son métier dans les services cinématographiques de la RAF durant la Seconde Guerre mondiale. De cette période de formation, il restera toujours dans ses films une petite pointe de nationalisme et un gout certain pour le film de guerre. Rien d’étonnant à trouver dans l’un de ses plus grands succès Coulez le Bismarck ! (Sink the Bismarck) un attachement sincère à son pays et à des valeurs héroïques. Ce qui est en soi  assez naturel si l’on songe aux pilonnages et aux sacrifices endurés par les Anglais durant la Seconde Guerre mondiale. A part ses trois James Bond : On ne vit que deux fois (You Only Live Twice, 1967) avec Sean Connery, L’Espion qui m’aimait (The Spy Who Loved Me, 1977) et Moonraker (1979) avec Roger Moore, on connaît mal la carrière de Lewis Gilbert, riche pourtant de 38 longs métrages. Il signe pourtant quelques classiques du cinéma britannique : Alfie, le dragueur (Alfie) avec Michael Caine, prix spécial du jury à Cannes en 1966, L’éducation de Rita (Educating Rita) avec Julie Walters et Michael Caine en 1983 et surtout de grands films de guerre dont évidemment Coulez le Bismarck !, inspiré d’un fait de guerre authentique : la traque, durant le printemps 1941, du Bismarck, le cuirassé le plus célèbre de l’Allemagne nazie, par la Navy anglaise. Le film est, encore aujourd’hui, une des plus grandes réussites de traque maritime à l’écran avec d’impressionnants effets spéciaux. Coulez le Bismarck ! est un énorme succès qui le destine le plus naturellement du monde à mettre en scène une autre aventure maritime : Les mutinés du Téméraire. Lewis Gilbert poursuit dans sa veine maritime, mais plonge dans le temps, délaissant la Seconde Guerre mondiale pour celle opposant l’Angleterre à Napoléon.

Crawford (Alec Guinness) est un grand commandant. Il sait tirer le meilleur des hommes mis à sa disposition, le plus souvent de pauvres êtres arrêtés et enrôlés de force. Il a une certaine compassion pour son équipage, jamais trop dur avec lui, mais sachant se faire respecter. Son second est son opposé. Pour lui le respect se gagne à coups de fouet sous les yeux des autres marins. A ses yeux, la terreur est le meilleur moyen de maintenir l’ordre et l’obéissance sur le navire. Deux méthodes aussi éloignées l’une de l’autre ne peuvent aboutir qu’au conflit.

Scott-Padget est un sadique. Il n’hésite devant aucune ignominie, cherchant à pousser à bout son adversaire. Il ordonne d’une manière détournée, maltraite le fils du commandant. Sa tactique est de pousser le commandant à la faute, mais celui-ci est un vieux renard. Et dans la cale, les hommes excédés par le comportement de Scott-Padget décident de se rebeller, malgré les conséquences, un retour au pays impossible..

Il serait dommage de limiter un acteur de l’envergure d’Alec Guinness à Obi-One Kenobi de Star Wars. Il est l’un des plus grands du cinéma britannique dont la filmographie foisonnante témoigne de son impressionnant talent. Il est révélé au grand public en réussissant un admirable tour de force en incarnant huit personnages dans Noblesse Oblige, chef-d’œuvre de la comédie britannique. Alec Guinness devient indissociable de cette grande époque où il enchaine les comédies : De l’or en barre, L’homme au complet blanc, Tueurs de dames, etc. Il débute sur les écrans en 1946 avec Les grandes Espérances. C’est le début d’une longue amitié avec David Lean, qui verra le réalisateur le diriger à 6 reprises. C’est pour l’un de ses films, Le Pont de la Rivière Kwaï (The Bridge on the River Kwai, 1957) qu’Alec Guinness remporte l’Oscar du meilleur acteur. Palette incroyable de jeu qui lui permet d’interpréter toutes sortes de personnages : du militaire au roi en passant par prince, tueur, espion, César, Pape. Jusqu’à Adolf Hitler (dans Les dix derniers jours d’Hitler) avec toujours cette même justesse et qualité d’approche. Dans Les mutinés du Téméraire, il donne une interprétation toute en nuances d’un commandant face à la peur de perdre pied mais qui jamais n’exprime ses doutes, coincé entre devoir et simple bon sens.

Face à Guinness, un autre virtuose du jeu intériorisé, agrégat de subtilité et d’inquiétude : Dirk Bogarde. Le lieutenant est la face négative de Crawford. Tout est dans la domination et la confrontation. Bogarde réussit à faire passer toute l’ignominie de son personnage par la froideur et la raideur. Là aussi, il fait passer par un simple regard sur un marin, une fêlure, l’homosexualité refoulée de Scott-Padget. Dirk Bogarde avait été dirigé une première fois par Lewis Gilbert dans une autre aventure maritime de guerre : The Sea Shall Not Have Them en 1954. Les seconds rôles de bâbord à tribord sont solides. Mention à Anthony Quayle, grand acteur de théâtre, second rôle de grande classe (Les Canons de Navarone, Lawrence d’Arabie, La Chute de l’Empire Romain) et remarquable dans le rôle du père dans L’incompris (Incompreso, 1966) chef-d’œuvre de Luigi Comencini.  

Les mutinés du Téméraire grande aventure maritime qui exalte la volonté de révolte – face à l’arbitraire – mais aussi la nécessité de l’union face aux ennemis de la Nation.

Fernand Garcia

Les mutinés du Téméraire, est disponible pour la 1ère fois en blu-ray, master HD, chez Rimini Editions, en complément : un entretien avec Agnès Blandeau, maître de conférences en anglais à l’Université de Nantes. Excellente mise en perceptive et en parallèle des mutinés du Téméraire avec la société de l’époque et sur les différents aspects du film dont son rapport à la réalité. Passionnant (20 minutes).

Les mutinés du Téméraire (Damn the Defiant !H.M.S. Defiant) un film de Lewis Gilbert avec Alec Guinness, Dirk Bogarde, Anthony Quayle, Tom Bell, Maurice Denham, Walter Fitzgerald, Victor Maddern, Murray Melvin, Nigel Stock… Scénario : Nigel Kneale et Edmund H. North d’après le roman Mutiny de Frank Tilsey. Directeur de la photographie : Christopher Challis. Decors : Arthur Lawson. Effets spéciaux : Howard Lydecker. Montage : Peter Hunt. Musique : Clifton Parker. Producteur : John Brabourne. Production : G.W. Films Limited – Columbia Pictures. Grande-Bretagne. 1962. 100 minutes. Eastmancolor. CinemaScope. Format image : 2,35 :1 – 16/9e Son : Mono DTS-HD Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. Tous Publics.