Les Marais de la haine – Ferd et Beverly Sebastian

Willy Boy (Clyde Ventura), shérif adjoint, et son pote Ben (Ben Sebastian) sont tout excités. Ils préparent un traquenard dans les bayous. Leur plan est simple: prendre en flagrant délit de braconnage la bien nommée Désirée (Claudia Jennings). La suite est basique : soit la prison, soit ils la baisent. Désirée en a vu d’autres: enfant, le frère de Ben, Leroy (Douglas Dirkson), avait tenté de la violer, elle lui avait coupé les couilles. S’engage une course-poursuite en barques dans les marais. La virée tourne mal, Willy Boy tue accidentellement Ben. Affolé, il fait porter le chapeau à Désirée auprès de son père, le shérif Joe Bob Thomas (Bill Thurman). Ensemble, ils annoncent alors la terrible nouvelle au père de Ben, T.J. Bracken (Sam Gilman), qui avec ses enfants mâles se lance dans une longue traque vengeresse…

Les Marais de la haine est une curiosité, trash et sauvage. Curiosité, parce que les films de la Hicksploitation (Hick = péquenaud) destiné au Drive-In sont rares en édition vidéo. Ce genre cinématographique connaît son apogée au milieu des années 70 avec un sommet Délivrance (1972), chef-d’œuvre de John Boorman. Les films mettent en scène des Rednecks, des autochtones crasseux, englués dans leur bêtise et animés de pulsions sexuelles animales qu’ils ont du mal à contrôler. Ces personnages vivent loin de la civilisation, dans des coins reculés du pays en pleine nature, de préférence la plus hostile possible. Les accouplements entre membres d’une même famille ne leur font pas peur. Les femmes y sont peu vêtues et portent le plus souvent un mini short en jean. Ce genre est un cocktail d’action, d’horreur, de scènes de nu (féminin) et d’humour gras sur fond de banjo et de Bluegrass.

Les marais de la haine est l’un des fleurons du genre, certes, pas un chef-d’œuvre, mais un film qui remplit parfaitement son cahier des charges et offre le meilleur à partir d’un scénario basique. Dès les premières images, tout est mis en place pour que les Rednecks soient bien excités. Il faut dire que, dans les bayous, une beauté à moitié nue a de quoi mettre leurs nerfs à rude épreuve. Désirée, une sauvageonne, se retrouve traquée dans les bayous par cinq hommes assoiffés de vengeance et de désir salace. A cela s’ajoutent pour Désirée une famille: un garçon muet, Big T. (Tracy Sebastian), et une jeune sœur, Julie (Janit Baldwin), dont le destin s’avérera des plus tragiques. Julie représente une constante du genre, la fascination pour les adolescentes, généralement victime d’un voyeurisme malsain. On la retrouve nue dans la traditionnelle scène de bain, ici, dans les eaux du marais. Elle est surtout la victime de la scène la plus perturbante du film que je vous laisse découvrir.

Le film tient la route grâce à sa formidable galerie de personnages. Ainsi dans cette humanité boueuse pousse une magnifique plante incarnée par Claudia Jennings, une ex-playmate, rousse et sexy en diable. Elle entre dans la carrière après une série de photos de charme pour Playboy. Elle traîne alors sa plastique impeccable dans nombre séries B. Elle est généralement en tête d’affiche pour des femmes d’action sexy. Elle est repérée par David Cronenberg dans Fast Company (1979). Hélas, alors que sa carrière prenait de l’ampleur, Claudia Jennings décède à 29 ans dans un accident de voiture à Malibu. Elle est l’une des Queen de la série B des années 70. Autour d’elle, Ferd et Beverly Sebastian réunissent une distribution composée en grande partie de bons acteurs de seconds rôles.

Janit Baldwin, la sœur de Désirée, est l’une des jeunes filles de Carnage (Prime Cut, 1972) de Michael Ritchie aux côtés de Sissy Spacek. Elle a eu quantité de petits rôles dans des séries TV (Columbo, Hawaï, police d’état…) et au cinéma (Phantom of the Paradise, Les aventures du Lucky Lady…) sans jamais percer réellement. Sam Gilman (T.J. Bracken), avec sa tignasse, c’est le lion du Magicien d’Oz, mais un lion vraiment au-delà de l’arc-en-ciel: violent, pervers, dégénéré, du bon travail d’acteur. Gilman a fait une belle et solide carrière de second rôle. Grand ami de Marlon Brando, celui-ci le dirige dans La vengeance à deux visages (One-Eyes Jacks, 1961).

Cette chasse à la femme imaginée par le couple Sebastian se déroule dans des paysages magnifiques et dangereux, on a droit à de longues poursuites dans les canaux. Il faut dire que les extérieurs sont l’une des grandes qualités du film: les sous-bois, les canaux, la lumière rasante de fin de journée, les rayons de soleil entre les branches,  le rendu photographique est superbe accentué par l’impression de prise sur le vif, de cinéma direct, brut.

Les Marais de la haine fait partie de ses films qui semblent inconcevables par les temps qui courent. Intrinsèquement, le genre, dans sa composante la plus trash, est devenu infréquentable, il possède en lui tous les ingrédients à la puissance mille qui tétaniseraient d’effroi tous les féministes, c’est dire la chance que nous avons de pouvoir encore le visionner !

Fernand Garcia

Les Marais de la haine est édité pour la première fois en DVD par Artus Films dans leur nouvelle collection Rednecks. En compléments : Rednecks et Survival par Maxime Lachaud. Un tour d’horizon du genre depuis les origines, ses racines ethniques et sociologiques, en répondant brillamment à la question « Qu’est-ce qu’un Redneck? ». Le moins que l’on puisse dire est que l’intervention, particulièrement  instructive, nous plonge dans une culture bien plus vaste qu’il n’y paraît au premier abord (44 minutes). Un Making of, question/réponse où  Ferd et Beverly Sebastian répondent aux lettres de fans, c’est drôle avec une profusion d’anecdotes dont ce conseil de Walt Disney au jeune Ferd Sebastian : « Trois ingrédients doivent figurer dans un film : sexe, violence et action.Je n’ai jamais vu ça dans aucun de vos filmsT’as vu Bambi ? » Savoureux (18 minutes). Un Témoignage où l’on découvre ce que le couple Sebastian est devenu. Beverly a créé une fondation pour les lévriers « Elle a sauvé des vies et guéri des âmes » dont un programme de mise en contact des chiens avec des prisonniers. Et Ferd a (re)découvert Jésus après un grave problème cardiaque. Ferd Sebastian : « Depuis 25 ans, je refusais d’éditer des films (Gator Bait I & II). Il y a du sexe dedans, un langage grossier. Jésus serait-il fier de ça ? Je me suis dit que non, et j’ai donc décidé de ne plus les éditer. Mais cette année, j’ai ressenti une paix intérieure, et j’ai su que je pouvais enfin les sortir. Mais il y avait quelque chose que je devais faire, Il m’a dit ce que je devais faire. Il m’a dit de mettre mon témoignage après chacun de mes films, Il a dit : « Certaines personnes ne vont jamais à l’église et ne regardent pas les télévangélistes, tu es peut-être la seule chance de me rencontrer ou d’entendre parler de moi. » Et pour « faire décoller votre vie comme une fusée », vous pouvez aller sur le site de Ferd : 2jesus.org,  pas de doute c’est totalement Rednecks  (11 minutes). Et enfin trois pièces de collection : un Spot vidéo pour son édition VHS au temps de CIC Vidéo (1’32) minutes), et deux Bandes-annonces, française et américaine, du film (2×2’32) minutes).

 Les Marais de la haine (Gator Bait) Un film de Ferd et Beverly Sebastian avec Claudia Jennings, Sam Gilman, Douglas Dirkson, Clyde Ventura, Bill Thurman, Don Baldwin, Ben Sebastian, Janit Baldwin, Tracy Sebastian… Histoire & Scénario : Beverly Sebastian. Directeur de la photographie : Ferd Sebastian. Musique : Ferd Sebastian. Montage Ron Johnson. Producteurs : Ferd et Beverly Sebastian. Production : Sebastian Films Limited Inc. Etats-Unis. 1974. 84 minutes. Format image : 1.85 : 1. Interdit aux moins de 16 ans.