Les Feux de l’été – Martin Ritt

En quelques secondes une grange disparaît réduite en cendres. Dans l’épicerie, transformée en tribunal, Ben Quick (Paul Newman) est accusé d’en être l’incendiaire. Ils en profitent pour l’accuser de tous les méfaits commis dans le coin. Ben représente tout ce que les paysans détestent. Le Juge, par manque de preuves, exige qu’il file du comté avant la nuit. Quick quitte la ville, descend le Mississippi à bord d’un transporteur et débarque aux abords de Frenchman’s Bend. Il est pris en stop par les sœurs Varner, Clara (Joanne Woodward) et Eula (Lee Remick) dont le père Will (Orson Welles) possède la ville…

Les Feux de l’été est important dans la carrière de Paul Newman. Ce rôle en vedette lui permet de décrocher le prix d’interprétation à Cannes en 1958, première marche vers une popularité qui ira croissante. Et c’est sur ce tournage que Paul Newman et Joanne Woodward officialisent leur liaison qui aboutira à leur mariage quelques mois plus tard. Si aujourd’hui Les Feux de l’été est un film à vedette, il n’en était rien à l’époque. Martin Ritt a dû batailler pour son casting.

Martin Ritt  impose Paul Newman, qui fut son élève à l’Actors Studio, à la 20th Century Fox qui envisageait Don Murray, Marlon Brando ou Robert Mitchum pour le rôle. Petit flash-back : Paul Newman est repéré à Broadway dans Picnic mis en scène par Joshua Logan. Nous sommes en 1953, Paul Newman a 28 ans. La Warner le prend sous contrat et le distribue dans son premier film pour le cinéma, une grosse production Le Calice d’argent (The Silver Chalice, 1954), péplum que réalise Victor Saville. L’expérience laisse un goût amer à Newman. « Combien d’acteurs peuvent-ils se vanter d’avoir tourné dans le pire navet des années cinquante ? ». Ne sachant trop que faire de ce jeune acteur, la Warner le prête à la MGM. Il hérite d’un rôle initialement prévu pour James Dean dans Marqué par la haine de Robert Wise. Le film est tiré de l’autobiographie du boxeur Rocky Graziano, la performance de Paul Newman a un impact positif sur sa carrière. Le film est un succès et la critique est sensible au jeu de ce jeune acteur, mais c’est Les Feux de l’été qui le propulse sur le devant de la scène à 33 ans.

Pour incarner Ben Quick, Newman s’installe incognito, quelques semaines avant le tournage, dans une petite ville du Sud : Clinton, Missouri. Il traîne dans la ville, fréquente les bars, les restaurants, rencontre les habitants. Petit à petit, il s’imprègne de l’atmosphère et de la mentalité des gens. Cette méthode, Newman l’appliquera à la quasi-totalité de ses créations, ainsi patiemment, il bâtit son personnage en étant le plus proche possible de sa réalité, de sa vérité intérieure.

La Fox, qui a Joanne Woodward sous contrat, se laisse convaincre. Avec son quatrième film, Les Trois visages d’Eve, l’actrice vient de gagner l’Oscar de la meilleure interprétation à la surprise générale. Joanne Woodward est d’emblée l’une des actrices les plus en vue d’Hollywood. Martin Ritt l’avait déjà dirigée dans Les Sensuels (No Down Payment, 1957) après avoir été, elle aussi, son élève à l’Actors Studio.

Newman et Woodward ne sont pas les seuls acteurs de l’aventure des Feux de l’été à avoir suivi les cours de l’Actors Studio. Lee Remick, Anthony Francisiosa et Richard Anderson sont aussi des anciens élèves de Martin Ritt. Les feux de l’été atteste de la montée en puissance d’une nouvelle génération d’acteurs avec une manière d’aborder l’art dramatique différente de la génération précédente. Guerre des générations se retrouve au cœur du film. Pour le personnage du patriarche, Martin Ritt engage Orson Welles, encore une fois contre l’avis du Studio. Ritt va vite découvrir que Welles n’est pas un acteur commode à diriger. Au fil des conflits avec Welles, Ritt se rend compte que l’acteur appréhende de se retrouver face à ses jeunes acteurs à la technique de jeu si éloigné de la sienne. Welles s’impose en force dans chaque plan, il en fait trop afin de voler toutes les scènes de ses partenaires. Il n’y arrivera pas. Paul Newman s’adapte et, aussi curieux que cela puisse paraître, l’alchimie entre les deux fonctionne parfaitement. Conflits générationnels sont canalisés intelligemment par Martin Ritt afin d’enrichir les sentiments de frustration et de violence des personnages. Il en va différemment entre Newman et Woodward, on sent dans leurs scènes une merveilleuse complicité, un bonheur de jouer ensemble, de s’opposer par dialogues interposés.

Les Feux de l’été n’est, à proprement parler, pas une adaptation de William Faulkner, mais un assemblage de situations glané dans plusieurs nouvelles de l’écrivain : L’Incendiaire (Barn Burning), Spotted Horses, et de manière plus consistante dans un chapitre de Le Hameau (The Hamlet). Le saupoudrage psychologique évoque d’ailleurs plus Tennessee Williams que l’auteur de Sanctuaire. Martin Ritt et ses scénaristes Irving Ravetch et Harriet Frank, Jr. trahiront à nouveau Faulkner avec leur adaptation du Bruit et la Fureur.

Les Feux de l’été est un immense succès au box-office, la critique française fait la fine bouche tandis que la critique américaine le porte aux nues. Paul Newman et Joanne Woodward sont comparés par la presse à un autre couple mythique Humphrey Bogart – Lauren Bacall. Mais le couple ne va pas entrer dans le jeu médiatique et resteront toujours à l’écart des mondanités. Paul Newman apprécie particulièrement la manière de diriger de Martin Ritt, ils se retrouveront sur Paris Blues (1960) avec Joanne Woodward à nouveau, Aventure de Jeunesse (Hemingway’s Adventures of a Young Man, 1962), Le plus sauvage d’entre tous (Hud, 1963), L’Outrage (The Outrage, 1964), Hombre (1967). Paul Newman, en tant que réalisateur, dirigera sa femme dans quatre admirables films : Rachel, Rachel (1968), De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites (The Effect of Gamma Rays on Man-in-the-Moon Marigolds, 1972) pour lequel elle obtient le prix d’interprétation à Cannes, L’Affrontement (Harry & Son, 1984),  et La ménagerie de verre (The Glass Menagerie, 1987) d’après la pièce de Tennessee Williams. Newman dirigera aussi sa partenaire des Feux de l’été Lee Remick dans Le Clan des Irréductibles (Sometimes a Great Notion, 1971).

Les Feux de l’été entre dans la catégorie des grands mélodrames en CinemaScope couleurs, situés dans le sud des Etats-Unis, du cinéma populaire dont on redécouvre aujourd’hui les immenses qualités.

Fernand Garcia

Les Feux de l’été est édité par BQHL éditions dans un nouveau master HD accompagné par un livret de 16 pages : Le bûcher des vanités de Marc Toullec, pour tout connaître sur les différentes phases de fabrication du film commenté par ses principaux protagonistes (Paul Newman, Martin Ritt…).

Les Feux de l’été (The Long, Hot Summer) un film de Martin Ritt avec Paul Newman, Joanne Woodward, Orson Welles, Lee Remick, Anthony Franciosa, Angela Lansbury, Richard Anderson, Sarah Marshall, Mabel Albertson… Scénario : Irving Ravetch et Harriet Frank, Jr. d’après William Faulkner. Directeur de la photographie : Joseph La Shelle. Consultant couleur : Leonard Doss. Effets spéciaux photographiques : L.B Abbott. Décors : Lyle R. Wheeler et Maurice Ransford. Costumes : Adele Palmer et Charles LeMaire. Montage : Louis R. Loeffler. Musique : Alex North. Producteur : Jerry Wald. Production : Jerry Wald Productions, Inc – 20th Century Fox. Etats-Unis. 1958. 116 minutes. CinemaScope. De Luxe. Format image : 2.35 :1 16/9e.

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