Le Train sifflera trois fois – Fred Zinnemann

A ceux qui vont découvrir Le Train sifflera trois fois, il suffit de signaler deux ou trois choses. Il faut tout d’abord penser à un homme, Carl Foreman, scénariste et producteur, à une époque infectée par la chasse aux sorcières. A Gary Cooper, un acteur, une star aussi courageuse que son personnage. Enfin, au regard de Fred Zinnemann, immigré européen, qui signait là son premier western en s’écartant du modèle hollywoodien. Le Train sifflera trois fois est un miroir tendu à l’Amérique des années 50, paranoïaque et haineuse.

Le Train sifflera trois fois est un western politique bien plus que psychologique, il ne faut pas avoir peur des mots. Il suscita auprès d’une partie de l’establishment hollywoodien une sorte d’aversion lors de sa sortie.  Avec ce film, Carl Foreman et Fred Zinnemann mettent à mal la mythologie du héros patiemment mise en place par les grands cinéastes du western : des héros sans états d’âme, qui bravaient l’adversité soutenue par la collectivité. Des personnages plus grands que nature qui participaient pleinement de l’édification idéologique d’une Nation. Idéalisation à laquelle le spectateur souscrivait. Howard Hawk, réalisateur d’immenses westerns, entreprit Rio Bravo (autre chef-d’œuvre) en réaction au Train sifflera trois fois. La critique, plus sournoise, ne pardonnera jamais vraiment ce film à Fred Zinnemann. Il sera par la suite sévèrement critiqué et ses films considérés comme académiques et théâtraux. Il suffit de voir ses films pour invalider ce jugement.

Fred Zinnemann est né à Rzeszów (Pologne) de parents autrichiens en 1907. Après des études universitaires à Vienne, le jeune Zinnemann se passionne pour le cinéma. Il quitte le pays pour Paris où il suit les cours de l’école du cinéma de Vaugirard. Il acquiert les bases techniques du cinéma et devient assistant opérateur sur plusieurs films. Il travaille sur Les Hommes, le dimanche (Menschen am Sontag, 1929) documentaire symphonique que dirigent Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer. Il voyage jusqu’au Mexique où il coréalise, en 1936, avec Emilio Gomez Muriel, Les révoltés d’Alvarodo (Rede), un documentaire sur les pêcheurs pauvres d’un petit village. Zinnemann traverse la frontière et en 1937, il émigre aux Etats-Unis. Il est engagé par la MGM, pour qui il réalise durant cinq ans dix-neuf courts-métrages avant de réaliser son premier long-métrage de fiction : L’Assassin au gant de velours (Kid Glove Killer) un film noir avec Van Heflin et Marsha Hunt, en 1942. Des doubles programmes où l’on devine déjà son sens du rythme et sa manière de rendre chaque situation intéressante par la qualité de sa mise en scène. Les Anges Marqués (The Search, 1948) magnifique drame se situant à la fin de guerre est son premier film important avec dans le rôle principal Montgomery Clift. Cet admirable film est l’objet d’un médiocre remake en 2014 par le français Michel Hazanavicius, The Search, qui déplace maladroitement l’histoire de la Seconde Guerre mondiale à la guerre de Tchétchénie en 1999. Fred Zinnemann est le premier à diriger Marlon Brando, en paralysé de guerre, dans C’était des hommes (The Men, 1950). En 1951, il reçoit l’Oscar du meilleur court-métrage pour l’émouvant Benji. Après l’énorme succès du Train sifflera trois fois, il triomphe avec Tant qu’il y aura des hommes (1953), œuvre bien supérieure à la réputation qu’on lui colle aujourd’hui. Il y dirige ses acteurs avec une science admirable du jeu, permettant à Burt Lancaster, Deborah Kerr, Montgomery Clift, Frank Sinatra, Donna Reed et Ernest Borgnine, entre autres, de livrer de magnifiques interprétations dans ce drame avec en toile de fond l’attaque sur Pearl Harbor. Huit Oscars couronnent le film. De ses grands films, citons Un Homme pour l’éternité évoquant le conflit de Thomas More et d’Henry VIII d’après la pièce de Robert Bolt ainsi que ses trois dernières réalisations : Chacal (Day of The Jackal, 1973), fabuleux thriller sur une tentative d’attentat contre le général de Gaulle, Julia (1977) d’après un scénario autobiographique de Lilian Hellman avec Jane Fonda, Vanessa Redgrave et Jason Robards et Cinq jours ce printemps-là (Five Days One Summer, 1982) avec Sean Connery. Il est distingué à deux reprises par les Oscars pour sa mise en scène de Tant qu’il y aura des hommes et Un Homme pour l’éternité.

Quels que soient les immenses mérites de Fred Zinnemann, l’homme clé du Train sifflera trois fois est Carl Foreman, scénariste et producteur. En 1950 – 1951, il écrit un scénario sur un shérif vieillissant contraint d’affronter seul une bande de hors-la-loi alors que les habitants l’abandonnent lâchement. Associé à Stanley Kramer, il met en production le film. Afin d’éviter toute accusation de plagiat, Foreman et Kramer rachètent les droits d’un récit de John W. Cunningham, The Tin Star, avec lequel le scénario partage quelques similitudes. John Wayne refuse le rôle du shérif Will Kane, jugeant impossible pour lui d’incarner un lâche. Il pense même que du fait de son traitement le film est antiaméricain. Gary Cooper, dont la carrière connaît un petit passage à vide, accepte. Il a alors cinquante et un ans. Foreman pensait à Joseph Losey pour la réalisation, mais celui-ci est déjà dans la ligne de mire de la commission des activités antiaméricaines. Il porte alors son choix sur Fred Zinnemann avec qui il a travaillé sur C’étaient des hommes. Le tournage débute alors que s’organise à Hollywood la chasse aux sorcières.  Carl Foreman est dans le collimateur, soupçonné de sympathies communistes. L’acteur Lloyd Bridges qui incarne le suppléant de Will Kane, un personnage jaloux et faible, dénonce Foreman auprès de la commission des activités antiaméricaines. Le moins que l’on puisse dire est que Foreman avait parfaitement distribué Bridges ! Carl Foreman refuse de répondre aux questions des inquisiteurs de la commission et de donner des noms. Il est alors porté sur la liste noire et boycotté par les grands studios. Afin d’éviter que le film, en plein tournage, ne soit lui-même victime de boycott, Stanley Kramer prend le titre de producteur. Foreman reste en coulisses pour suivre le tournage à distance. Le Train sifflera trois fois décrit parfaitement la situation dans le pays et en particulier à Hollywood.

Fred Zinnemann déclare : « J’ai envisagé ce film, non pas comme une nouvelle illustration du héros westernien, mais comme une parabole essentiellement moderne n’ayant l’Ouest pour cadre que par hasard ». Film amer sur un homme seul face non seulement à des hors-la-loi qui imposent leur ordre, mais et surtout face à une population complice. Seule, Helen Ramirez (Katy Jurado), une étrangère, une Mexicaine, ex-amante de Kane, du tueur, et du shérif adjoint Harvey (Lloyd Bridges), a le courage de le soutenir. La femme de Kane, Amy (Grace Kelly), qu’il vient d’épouser, sainte nitouche de la secte des Quakers, plonge dans le doute et se détache de Kane. Ce n’est qu’au bout d’un long cheminement personnel qu’elle accepte de soutenir son mari. Le départ de Will Kane et d’Amy de la ville anticipe celui de Carl Foreman pour l’Angleterre. Unique issue pour lui comme pour son couple de fiction. Foreman produit de grands succès en Europe, Les Canons de Navarone de Jack L. Thompson et Vivre libre de Jack Hill, entre autres.

Le Train sifflera trois fois est un immense succès public ouvrant au western de nouveaux horizons. Construction rigoureuse, unité de temps, de lieu et d’action, le film se déroule en temps réel entre dix heures trente-cinq du matin à un peu plus de midi. Quatre-vingt-cinq minutes de la vie d’une petite ville de l’Ouest. Il est l’archétype du western des années 50. Sergio Leone se souviendra des trois hommes attendant à la gare pour sa fabuleuse séquence d’ouverture de Il était une fois dans l’Ouest, et surtout de cette longue silhouette qui ouvre Le Train sifflera trois fois, Lee van Cleef, dont il fera une star avec Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollaro in più, 1965) et Le Bon, la Brute et le Truand (Il Buono, il Brutto, il Cattivo, 1966).

On ne dira jamais assez à quel point Gary Cooper est admirable. A mesure que les minutes s’écoulent, que l’inexorable va se produire, l’arrivée des hors-la-loi pour le tuer, sa résolution pour les affronter va grandissant. Au rythme de la progression des aiguilles des pendules, il surmonte et domine sa peur. Quelle plus belle illustration que cette scène sidérante où, seul dans son bureau, il éclate en sanglots. Il ne s’agit pas d’un quelconque renoncement, simplement d’un moment de faiblesse qui cache la rage qui lui donne la force d’aller au bout et de se tenir debout. Un immense acteur.

Le Train sifflera trois fois western magistral nous interpelle encore, vigoureusement. Un chef-d’œuvre.

Fernand Garcia

Le Train sifflera trois fois une superbe édition (combo DVD + Blu-ray) de Sidonis Calysta de la collection Westerns de légende. Excellente idée que de proposer dans les compléments la remise des Oscars 1952. Moment étonnant où John Wayne, qui détestait Le Train sifflera trois fois, va pourtant réceptionner pour Gary Cooper l’Oscar du meilleur acteur. Dans un discours mémorable, d’une grande tenue, Wayne montre qu’une personnalité peut être complexe, plutôt que réduite à quelques clichés. Impossible de ne pas songer à la pitoyable prestation d’actrices et d’acteurs français lors de la remise des César en 2020. Il n’y a pas à dire, John Wayne est un acteur d’une autre classe (1,57 minute). Dans cette section, une longue présentation du film par Bertrand Tavernier, « Le Train sifflera trois fois a été, pendant un moment, un des westerns les plus célèbres au monde » mais « trainé dans la boue par les puristes » du western ; Tavernier analyse ce qui a pu motiver une telle haine envers le film. Il revient sur divers aspects de sa réalisation et un regard très actuel sur le côté féministe de High Noon (37 minutes). Patrick Brion « A l’époque on avait complétement sous-estimé Fred Zinnemann » on « redécouvre aujourd’hui à quel point Le Train sifflera trois fois est une grande réussite », un bel éloge des différents artisans du film à travers la petite et la grande histoire (24 minutes). « Ce film m’a accompagné pendant plus de 50 ans. Il a enrichi ma vie et il m’a rappelé que le courage ce n’est pas ne pas avoir peur. C’est la persévérance face à la peur. » Bill Clinton en ouverture du Making off Dans les coulisses du Train sifflera trois fois. Intéressante mise en perspective sur l’accueil de la critique à l’époque, sa « récupération » par les politiques, et ses différentes lectures dont celle d’être un film pro-MacCarthy ! Une mine d’informations sur le film (50 minutes).Une rapide vignette de Katy Jurado sur Grace Kelly « Elle savait ce qu’elle voulait » (1 minute). Deux bandes-annonces (5 minutes) et pour faire bonne mesure, la chanson Don’t Forsake Me O’My Darling de l’original à sa version française Si toi aussi tu m’abandonnes par six interprètes : Tex  Ritter, John William, Frankie Laine, Eddy Mitchell, Dean Martin et Dave !  Un must pour tous les amoureux du western.

Le Train sifflera trois fois (High Noon) un film de Fred Zinnemann avec Gary Cooper, Grace Kelly, Thomas Mitchell, Lloyd Bridges, Katy Jurado, Otto Kruger, Lon Chaney, Henry Morgan, Lee van Cleef… Scénario : Carl Foreman adaptation très libre du récit de John W. Cunningham, The Tin Star. Directeur de la photographie : Floyd Crosby. Décors : Rudolph Sternad. Musique : Dimitri Tiomkin chanson de Dimitri Tiomki et Ned Washington, chantée par Tex Ritter. Montage : Elmo Williams. Producteur : Stanley Kramer (et Carl Foreman non crédité). Production : Stanley Kramer Productions. Etats-Unis. 1952. 85 minutes. Noir et Blanc. Format image : 1,37 :1. Son : VF et VO avec ou sans sous-titre. Tous Publics. Oscars du Meilleur acteur, Montage, Musique et Chanson, 1952.