Le fantôme de Milburn – John Irvin

Une petite ville sous la neige un soir de pleine lune. Un chien aboie dans le lointain, une femme le souffle court sanglote. Une nouvelle nuit d’insomnie pour Sears James (John Houseman). John Jaffrey (Melvin Douglas) a le sommeil agité tout comme Ricky Hawthorne (Fred Astaire) et Edward Wanderley (Douglas Fairbanks, Jr.). D’horribles souvenirs remontent à la surface…

Stephen King, le grand maître de la littérature fantastique, considère le roman de Peter Straub, Le fantôme de Milburn, comme l’une des plus éclatantes réussites du genre. Le roman est l’alliance parfaite du fantastique et du romanesque, la rencontre d’Edgar Allan Poe et d’Henry James. Lawrence D. Cohen, qui avait réussit l’adaptation de Carrie de Stephen King pour le mémorable film de Brian De Palma, se charge de l’adaptation. Cohen réduit le nombre de protagonistes âgés de 5 à 4,  allège de quelques péripéties tout en gardant l’essentiel pour obtenir une dramaturgie qui tient la route. Œuvre de terreur et de suspense, Le fantôme de Milburn ne cesse de surprendre, tout d’abord par l’âge de ses héros (ce qui n’est pas une nouveauté dans le genre), par des enchaînements inattendus et au final, une histoire des plus captivantes. Le Fantôme de Milburn fonctionne sur une mécanique d’emboîtement du temps, de flash-back, l’histoire se déroule sur deux époques, les actions passées dévoilent le présent et in fine la terrible vérité.

La production fut particulièrement bien inspirée en faisant appel à John Irvin pour mettre en images cet élégant roman de terreur. John Irvin sort d’un succès télévisuel l’adaptation du roman de John Le Carré, La Taupe (Tinker Tailor Soldier Spy, 1979), une magnifique réussite avec Alec Guinness, magistral dans le rôle de l’espion George Smiley. Le même roman donnera naissance à une nouvelle adaptation en 2011, cette fois pour le grand écran dirigé par le suédois Tomas Alfredson, pour le moins décevante.

John Irvin est anglais, un enfant de la British Film Institut, comme d’autres sont des enfants de la Cinémathèque française. Il plonge corps et âme dans le cinéma et ingurgite des kilomètres de pellicule. Il se passionne pour le cinéma français. « Les  cinéphiles verront peut-être dans Le Fantôme de Milburn, les quelques clins d’œil que je fais en direction de Clouzot (Les Diaboliques), de René Clément (Plein soleil), de Louis Malle (Ascenseur pour l’échafaud) et même de Claude Chabrol. » déclarait John Irvin à la sortie du film. Il demande à Philippe Sarde pour composer la musique du film et utilise même un thème du film Le Chat de Pierre Granier-Deferre, drame intense avec Jean Gabin et Simone Signoret d’après Simenon. Irvin, grand cinéphile, réunit à l’écran quatre légendes du cinéma: Fred Astaire, Melvyn Douglas, Douglas Fairbanks, Jr. et John Houseman. Les compagnies d’assurances rechignent à prendre en charge des acteurs aussi âgés pour un tournage qui s’annonce difficile. Irvin plante ses caméras en Nouvelle-Angleterre (Vermont) dans un  froid Sibérien sous la neige et dans la glace, de quoi rendre fous les assureurs qui exigent des sommes énormes pour couvrir tout ce beau monde, « …Or seul Fred Astaire a été légèrement grippé. » poursuit Irvin.

Est-il besoin de présenter Fred Astaire ? Certainement le plus grand danseur-chanteur de l’histoire du cinéma: chaque pas, chaque geste, chaque mouvement, tout semblait si simple alors que derrière ses performances se cachaient des heures de répétitions, de mise au point. Il était difficile de danser avec Astaire, le niveau était si élevé, qu’il avait l’extrême courtoisie de se mettre au diapason de ses partenaires. Astaire, c’est la grâce incarnée. Dans ses grands chefs-d’œuvre de comédie musicale: Carioca,  Le danseur du dessus, Sur les ailes de la danse, Amanda, Yolanda et le voleur, Tous en scène, etc., il avait fait ainsi virevolter Ginger Rogers, Rita Hayworth, Cyd Charisse et Leslie Caron, entre autres. Il est particulièrement touchant dans La Tour infernale (The Towering Inferno, 1974) pour lequel il décroche une nomination à l’Oscar. Yves Boisset lui donne un très beau rôle d’Irlandais dans Un Taxi mauve (1977). Le Fantôme de Milburn est son dernier grand rôle au cinéma.

John Houseman a débuté une carrière d’acteur sur le tard, à 71 ans avec La chasse aux diplomes (The Papar Chase, 1973), formidable film d’apprentissage de James Bridges.  Houseman décroche direct l’Oscar du meilleur second rôle pour sa création du proviseur Charles W. Kingsfield, Jr. Il reprendra ce personnage pour la série TV tirée du film en 1978. John Houseman n’est pas un inconnu dans l’industrie du cinéma. Associé à Orson Welles, ils dirigent le Mercury Theater. Il devient par la suite un producteur respecté à la filmographie remarquablement exigeante. Il produit une série de chefs-d’œuvre et pas des moindres : Lettre d’une inconnue (Letter from an Unknown Woman, 1948) de Max Ophüls, Les Amants de la nuit (They Live by Night, 1948) et La maison dans l’ombre (On Dangerous Ground, 1951) de Nicholas Ray, Les ensorcelés (The Bad and the Beautiful, 1952), La toile d’araignée (The Cobweb, 1955), La vie passionnée de Vincent van Gogh (Lust for Life, 1956) Quinze jours ailleurs (Two Weeks in Another Town, 1962) de Vincente Minnelli, Les Contrebandiers de Moonfleet (Moonfleet, 1955) de Fritz Lang, Propriété interdite (This Property is Condemned, 1966) de Sydney Pollack, entre autres. Excellent acteur, sa froideur et son autorité naturelle en font un parfait manipulateur, homme de pouvoir, que ce soit dans le brutal Rollerball (1975) de Norman Jewison ou dans Les trois jours du Condor (Three Days of the Condor, 1975) de Sydney Pollack. Second rôle de luxe, il fait beaucoup d’apparitions et en 1979, John Carpenter a le plaisir de le diriger dans Fog.

« Melvyn Douglas a eu l’exquise courtoisie d’attendre quelques mois après le tournage pour quitter ce bas monde. » John Irvin. Melvyn Douglas, fils d’un pianiste de concert, avait parcouru le monde avec son père avant de s’engager dans une carrière de comédien. Avant-guerre, il donne la réplique aux plus grandes vedettes de l’époque: Gloria Swanson, Marlène Dietrich, Joan Crawford et fait rire Greta Garbo dans Ninotchka (1939). Son élégance et son humour en font un acteur idéal pour Ernst Lubitsch (Ange, Ninotchka, Illusions perdues). Avec l’âge, il devient une figure angoissante du cinéma d’horreur moderne: Le Locataire (1976) de Roman Polanski, L’enfant du diable (The Changelling, 1980) de Peter Medak et bien sûr du Fantôme de Milburn. Il reçut deux Oscars du meilleur second rôle pour Le plus sauvage d’entre tous (Hud, 1963) de Martin Ritt et pour Bienvenue Mr Chance (Being There, 1979) de Hal Ashby. Une magnifique carrière.

Douglas Fairbanks, Jr. est le fils de la grande star Douglas Fairbanks. Junior eut une vie des plus riches. Homme aux multiples facettes: sculpteur, peintre, acteur, homme d’affaires, producteur, etc. Grand, charmeur, athlétique, il n’atteint jamais la célébrité de son père, ce qui ne l’empêcha pas d’épouser en première noce Joan Crawford. Douglas Fairbanks, Jr. refusa toujours d’incarner des personnages trop proches de ceux de son père comme Robin des Bois. Parfaitement bilingue, il parlait un français impeccable, il avait fait une partie de sa scolarité à Janson de Sailly, ce qui lui permet d’être l’un des rares acteurs, au début du parlant, à pouvoir jouer dans les doubles versions, anglaise et française. Son rôle le plus célèbre reste celui du soldat de l’Empire britannique de Gunga Din (1939).

Face à ce quatuor, deux jeunes acteurs, Alice Krige et Craig Wasson, tirent brillamment leur épingle du jeu dans des rôles doubles.

Craig Wasson débute à la télévision et durant une petite dizaine d’années enchaîne les séries TV. En 1977, Universal lui donne sa chance dans Le Toboggan de la mort (Roolercoaster), thriller catastrophe utilisant le procédé maison Sensurround. Son physique et l’aspect torturé qu’il peut prendre fait de Wasson un bon candidat pour les films de guerre, Les Boys de la company C (The Boys in Company C, 1978) et Le Merdier (Go Tell the Spartans, 1978). 1981 est une année magique pour Wasson avec Georgia d’Arthur Penn et Le Fantôme de Milburn. Brian de Palma lui donne un rôle formidable dans Body Double, mais la carrière de Wasson ne décollera jamais. Il reste confiné dans des productions honorables pour la télévision et le cinéma sans grande envergure.

Alice Krige, découverte dans Les Chariots de feu, actrice d’origine sud-africaine, a une carrière des plus éclectiques. Pendant un temps au Royal Shakespeare Company, excellente actrice Krige mène de front une carrière sur scène et au cinéma. Son double rôle du Fantôme de Milburn est son interprétation la plus célébrée.

Le fantôme de Milburn n’est pas avare en scènes-chocs. Pour ses corps en décomposition et ses vieillissements, Irvin engage pour les effets spéciaux de maquillage le grand Dick Smith. Il est l’homme des transformations de la petite fille de L’ Exorciste (The Exorcist, 1973), mais aussi du spectaculaire vieillissement de Dustin Hoffman dans Little Big Man (1970), de la transformation de Marlon Brando en patriarche dans Le Parrain (The Godfather, 1972) et de la scène de carnage de Taxi Driver (1975). Tous les grands noms des effets spéciaux de maquillage qui suivront, Ton Savini (Zombie, Maniac, etc.), Rick Baker (Le Loup-garou de Londres, Vidéodrome, etc.) etc. considéreront Dick Smith comme leur maître.

Le fantôme de Milburn date d’une époque où le cinéma fantastique pouvait aborder des thèmes adultes loin de l’infantilisation actuelle. A (re)découvrir de préférence de nuit pour frissonner délicieusement.

Fernand Garcia

Le fantôme de Milburn est édité par Elephant Films en compléments de programme : Les vieux de la vieille, par Julien Comelli (réalisation Erwan Le Gac), la bande-annonce originale et les bandes annonces des autres films de la collection : L’Île sanglante, La Nurse, La Sentinelle des maudits, Enfer mécanique, Enterré vivant.

Le fantôme de Milburn (Ghost Story) un film de John Irvin avec Fred Astaire, Melvyn Douglas, Douglas Fairbanks, Jr., John Houseman, Patricia Neal, Craig Wasson, Alice Krige, Jacqueline Brookes… Scénario : Lawrence D. Cohen d’après le roman de Peter Straub. Directeur de la photographie : Jack Cardiff. Décors : Norman Newberry. Costumes : May Routh. Effets photographiques spéciaux : Albert Whitlock. Effets spéciaux de maquillage : Dick Smith. Montage : Tom Rolf. Musique : Philippe Sarde. Producteur : Burt Weissbourd. Production : Universal Pictures. Etats-Unis. 1981. 110 minutes. Couleur. Format image : 1,85 :1. Audio : VOSTF et VF DTS HD Stéréo 2.0. Master numérique HD 1920×1080 p. Interdit aux moins de 12 ans. Sélection Festival International du Film Fantastique d’Avoriaz, 1982.