Le Discours – Laurent Tirard

Adrien est coincé. Coincé à un dîner de famille où papa ressort la même anecdote que d’habitude, maman ressert le sempiternel gigot et Sophie, sa sœur, écoute son futur mari comme s’il était Einstein. Un repas qui lui donne des envies de meurtre. Alors il attend. Il attend que Sonia réponde à son sms, et mette fin à la « pause » qu’elle lui fait subir depuis un mois. Mais elle ne répond pas. Et pour couronner le tout, voilà que Ludo, son futur beau-frère, lui demande de faire un discours au mariage… Oh putain, il ne l’avait pas vu venir, celle-là ! L’angoisse d’Adrien vire à la panique. Mais si ce discours était finalement la meilleure chose qui puisse lui arriver ?

Laurent Tirard a fait des études de cinéma à New York University, a été lecteur de scénarios pour Warner Bros à Los Angeles, puis journaliste cinéma à Studio Magazine avant de devenir scénariste pour la télévision puis pour le cinéma et de passer à la réalisation. Son huitième long métrage dont il est également, comme pour chacun de ses précédents films, le scénariste, Le Discours est adapté du roman éponyme de Fabrice Caro, dit FabCaro, édité par Gallimard en 2018. Après avoir signé de grosses productions comme Astérix et Obélix : Au service de sa majesté (2012), Le Discours se présenterait presque comme un premier film. Un premier film risqué sur le fond comme sur la forme mais un premier film maitrisé. Nous sommes en effets plus proche ici de Mensonge et Trahison et plus si affinité (2003) avec Edouard Baer, le premier long métrage du réalisateur, que de ses réalisations suivantes.

Soutenu dès le début par Jean Labadie de la société Le Pacte, qui coproduit et distribue le film, le projet a avancé très vite. Ecrit en deux mois, le scénario du film reprend la narration chaotique et déstructurée du roman. Avec ses trouvailles visuelles et ses multiples idées de mise en scène, le réalisateur parvient à signer une adaptation très cinématographique du roman introspectif jugé inadaptable à l’écran par son auteur. Principalement influencé par des films comme Annie Hall (1977) de Woody Allen et Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry pour leur liberté et inventivité visuelle et narrative, ou encore par Un Air de Famille (1996) de Cédric Klapisch pour son traitement des rapports familiaux, avec Le Discours, Laurent Tirard s’est donné avec la caméra la même liberté que peut avoir un dessinateur de bande dessinée avec son crayon. Rythmé par la conscience, les idées et les sentiments du héros, le procédé de mise en scène du réalisateur qui consiste à mettre en image les pensées, vient brillamment répondre à son procédé scénaristique. A la fois décalé, cinglant, absurde et burlesque le ton du film reflète parfaitement l’esprit du roman.

Qu’ils soient principaux ou secondaires, tous les personnages du film sont incroyablement bien développés. Pour incarner les membres de cette famille à l’écran, Laurent Tirard a apporté un soin tout particulier au casting à commencer par l’interprète d’Adrien, le personnage principal, névrosé et angoissé, presque de tous les plans et qui, dans le film, crée à la fois l’enjeu et la comédie. Hypocondriaque agaçant, Adrien se révèle être avant tout un nostalgique, un doux rêveur et un grand romantique en pleine crise existentielle. Après l’avoir remarqué dans Le Sens de la Fête (2017) d’Éric Toledano et Olivier Nakache aux côtés de Jean-Pierre Bacri, Jean-Paul Rouve et Gilles Lellouche, son choix s’est porté comme une évidence sur Benjamin Laverhne (Comme un avion, 2014 de Bruno Podalydès; The French Dispatch, 2020 de Wes Anderson;…), sociétaire de la Comédie Française, avec qui, la narration inédite du film l’obligeant à prendre en charge le récit, il a beaucoup travaillé le ton du film afin d’établir la distance nécessaire pour créer une complicité avec le spectateur notamment pour les séquences face caméra.  De la tendresse à l’ironie en passant par l’angoisse, la colère, le désespoir, la résignation ou encore la joie, le réalisateur a également beaucoup travaillé avec lui la large palette d’émotions que le comédien fait passer par son personnage.

Bien que les personnages du film mènent des vies « simples » et « normales », les comédiens ont tout de suite tous accepté de participer au projet. Aux côtés de Benjamin Laverhne, on retrouve donc François Morel, que l’on ne présente plus, et Guilaine Londez (Liberté Oléron, 2000 de Bruno Podalydès; Quatre Etoiles, 2005 de Christian Vincent; Jean-Philippe, 2005 de Laurent Thuel; Ouvert la Nuit, 2016 d’Edouard Baer;…) qui incarnent à la perfection les parents d’Adrien. De l’ancienne génération, ces derniers sont sensibles mais pudiques. Incapables d’exprimer leurs sentiments, ces pourtant belles personnes sont dans un perpétuel déni. Julia Piaton (Les Choses qu’on fait, les choses qu’on dit, 2020 d’Emmanuel Mouret;…) et Kyan Khojandi (Adieu les cons, 2020 d’Albert Dupontel;…) composent le couple boulet parfait. Boulet mais amoureux. Ils interprètent admirablement Sophie et Ludo, la soeur crispée et le futur beau-frère prétentieux et énervant d’Adrien. Sara Giraudeau (Petit Paysan, 2016 de Hubert Charuel;…) interprète magnifiquement le peu présent à l’écran mais très important personnage de Sonia, la petite amie romantique et moderne d’Adrien, avec tout le charme singulier qu’on lui connait. Au diapason de la mise en scène de Laurent Tirard et du jeu de Benjamin Laverhne qui, auprès de ses camarades de jeu, officie en qualité de véritable chef d’orchestre, talentueux, les comédiens nous offrent ici le meilleur d’eux-mêmes avec générosité et sincérité.

Tournés en prises directes sans postsynchronisation, le naturel et la fluidité des séquences où ils sont à table avec les moments où ils sont en pleine conversation quand, soudain, Benjamin quitte la réalité du dîner et se tourne pour parler face caméra et s’adresser aux spectateurs alors que les autres continuent leur conversation en baissant le ton, témoignent de leur qualité de jeu à tous. Les moments où les personnages s’immobilisent sont également réalisés sans trucage ou arrêt sur image. Parfaitement intégrée, la caméra participe activement au jeu des comédiens comme le ferait un véritable partenaire. La forme originale du film, avec entre autres son parti pris de « briser le quatrième mur » (Au théâtre, le quatrième mur désigne un « mur » imaginaire situé sur le devant de la scène, séparant la scène des spectateurs et « au travers » duquel ceux-ci voient les acteurs jouer) et de faire s’adresser les personnages directement aux spectateurs, nécessite une maîtrise et une précision non seulement de l’écriture scénaristique et de la mise en scène mais aussi de l’interprétation et du jeu des comédiens. Notons que nous pouvons observer l’utilisation de ce procédé dans de nombreuses œuvres de cinéastes comme Jean-Luc Godard, Ettore Scola, Woody Allen, Bertrand Blier, Martin Scorsese, Michael Haneke, David Fincher, Jean-Pierre Jeunet, Stephen Frears, Quentin Dupieux et bien d’autres.

 Dans Le Discours, chaque membre de la famille porte son « masque familial » et semble parler une langue différente que les autres doivent en permanence décoder et traduire. Mais les rapports entre les individus d’une famille ne sont-ils pas ainsi faits ? Si la thématique principale du Discours est d’abord le chagrin d’amour d’un point de vue masculin, ce dernier nous interroge sur notre manière d’accepter notre place dans le monde et nous montre également le rapport névrosé que l’on entretient tous avec notre propre famille avec cette pudeur qui nous habite et qui nous pousse à nous auto-censurer, à rester dans le non-dit. Cette pudeur qui nous habite et qui nous pousse à échanger maladroitement sur des banalités superficielles pour cacher notre amour et au final ne pas dire à nos proches qu’on les aime. L’incommunicabilité est probablement le rapport parent-enfant le plus universel.

Original et singulier aussi bien dans le ton que dans la forme, mais tout autant grand public, Le Discours est une comédie populaire créative, touchante et sensible qui utilise le biais de la famille et des rapports amoureux pour nous parler des rapports humains en général. Le Discours traite avec intelligence et poésie de notre relation aux autres, de notre relation à l’Autre. Habité par une douce mélancolie, drôle et émouvant, Le Discours est un film d’auteur savoureusement inventif. Empreint d’une vérité des situations, Le Discours est un film qui sonne juste. Le Discours est l’occasion à ne pas manquer pour se faire du bien.

Steve Le Nedelec

Le Discours un film de Laurent Tirard avec Benjamin Lavernhe, Sara Giraudeau, Kyan Khojandi, Julia Piaton, François Morel, Guilaine Londez, Sébastien Chassagne, Christophe Montenez, Adeline D’Hermy… Scénario : Laurent Tirard d’après le roman de Fabcaro. Image : Emmanuel Soyer. Décors : Arno Roth. Costumes : Maïra Ramedhan Lévi. Musique : Mathieu Lamboley. Productrice : Olivia Lagache. Production : Les Films sur Mesure – Le Pacte – France 2 Cinéma – Scope Pictures. Distribution (France) : Le Pacte (sortie le 9 juin 2021). France – Belgique. 2020. 88 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. Son : 5.1. Tous Publics. Sélection officielle – Festival de Cannes 2020.