Le dénonciateur – Mitchell Leisen

Italie, 1944. Des troupes allemandes arrivent en force dans le petit village en Lombardie, près de Milan. L’alerte est donnée par la chanson Mona Lisa. Deux agents de l’OSS : le capitaine Webster Carey (Alan Ladd) et Frank (Paul Lees) quittent rapidement les lieux. Ils regagnent leur cachette dans le palais de Cresci, une île en face du village. Ils y sont installés depuis six mois, leur mission : espionner et saboter. Le capitaine Carey est tombé amoureux Giulia (Wanda Hendrix), fille de la comtesse Francesca de Cresci (Celia Lovsky), amour réciproque et passionnel. Ils envisagent de se marier, après-guerre. Le capitaine Carey a récupéré une pochette secrète allemande avec des documents importants : position des troupes, horaire des trains, dépôts d’approvisionnement, etc. Ils sont cachés dans une pièce secrète dans les sous-sols du palais. Le capitaine Carey y a découvert des œuvres d’art, disparu depuis 200 ans, dont un tableau du palais. Carey et Frank se préparent à transmettre les informations, quand les Allemands débarquent sur l’île. Ils ont des indications extrêmement précises consternant la cache des Américains. Quelqu’un les a dénoncés…

Le dénonciateur est l’un des films les plus méconnus et des moins considérés de Mitchell Leisen, à tort. Le film surprend dès le début. L’histoire nous embarque dans un film de guerre avec un héros membre de l’OSS. L’action est rondement menée, l’attaque du palais, réduit à néant la petite cellule américaine. Hors-champs, un coup de feu retentit, Giulia est tuée, Franck mort et le Capitaine Carey blessé. En un fondu au noir, nous nous retrouvons à New York, la guerre est derrière nous, l’ex-capitaine Carey devant le tableau du palais Cresci en vitrine d’un marchand d’art. Carey est un civil, traumatisé par cette aventure, si distant qu’il ne prête la moindre attention à sa fiancée. Aucun doute pour lui, le tableau est la preuve que celui qui les a trahis est toujours vivant. Carey quitte sa fiancée et retourne en Italie.

Le dénonciateur bifurque du film de guerre vers le film d’enquête à suspense. Sans trop en révéler, Carey découvre au palais que Julie, le grand amour de sa vie n’est pas morte, mais mariée au baron Rocco de Greffi (Francis Lederer), aristocrate et homme politique. Au village, les habitants ont une dent comme Carey, à la suite de son arrestation par les Allemands, vingt-huit villageois ont été exécuté pour l’exemple. Carey se retrouve « seul contre tous » dans la traque du traître dans un village transformé en panier de crabes.

Comme tout bon polar, Le dénonciateur réserve son lot de révélations, de personnages troubles et hauts en couleur. Le dynamisme du capitaine Carey et le déroulement de l’histoire évoquent presque une aventure de Tintin. Alan Ladd à l’énergie violente de l’acteur n° 1 des polars de l’époque. Il est l’un des acteurs favoris des spectateurs de films noirs. Il va réussir un basculement vers le western avec l’un des chefs-d’œuvre absolus du genre : L’homme des vallées perdues (Shane, 1953). Dans Le Dénonciateur, Alan Ladd est excellent, on le retrouve avec cette manière si particulière de se battre caractéristique de l’acteur.

Mitchell Leisen, réputé pour ses comédies et mélodrames, était l’une des chevilles ouvrières de la Paramount d’Adolph Zukor. Longtemps, directeur artistique de Cecil B. DeMille, Leisen passe à la réalisation en 1933. Charles Brackett et Billy Wilder écrivent pour lui, ainsi que Preston Sturges. Le Dénonciateur n’est pas la catégorie préférée de Leisen, mais certaines séquences sont savoureuses dont la rencontre de Carey et Giulia avec un groupe d’acrobates, torse nu et collant moulant. Séquence à forte connotation gay qui laisse le héros assez pantois. Mitchell Leisen n’a jamais caché sa bisexualité dans l’establishment hollywoodien.

La célèbre chanson Mona Lisa a été composée par Ray Evans et Jay Livingston. Elle est utilisée comme code pour les agents de l’OSS. Elle est interprétée fort logiquement en Italien dans le film. Les deux compositeurs ne sont même pas crédités au générique. Le compositeur, Hugo Friedhofer, intègre habillement quelques notes dans la partition du film.  Mona Lisa aura un éclatant destin puisqu’elle remporte l’Oscar de la meilleure chanson. Une double première, puisque jusqu’à cette date (1950) aucune chanson non extraite d’une comédie musicale n’été reparti avec la statuette et jamais dans une autre langue que l’anglais. La version de Nat King Cole, l’inscrit définitivement dans l’histoire de la chanson populaire. Mona Lisa est aujourd’hui beaucoup plus connue que le film de Mitchell Leisen.

Le Dénonciateur est produit par Richard Maibaum futur scénariste des James Bond, du Dr No (1962) à Permis de tuer (License to Kill, 1989). Richard Maibaum a façonné 007. Le scénario du film de Mitchell Leisen est de Robert Thoeren d’après le roman de Marthe Albrand, auteure américaine de polar d’origine allemande. Thoeren fournira les arguments pour Le Rodeur (The Prowler, 1951) de Joseph Losey et de Certains l’aiment chaud (Some Like It Hot, 1959) de Billy Wilder.

Le dénonciateur est un solide film à redécouvrir.

Fernand Garcia

Le Dénonciateur est édité par Sidonis-Calysta dans sa collection Film noir (pour la 1er fois en Blu-ray – disponible aussi en DVD), en complément : Une présentation du film par Olivier Père, on reconnaît la patte de Leisen dans ce  « travail exceptionnel sur la direction artistique et sur les décors en studio » qui « ajoute du mystère et de la mélancolie à ce film » (23 minutes). Une deuxième par Patrick Brion « le film marque un tournant dans la carrière d’Alan Ladd » (10 minutes). François Guérif sur les auteurs et les articulations scénaristiques du Dénonciateur « un film de fantômes » (12 minutes) et enfin la bande-annonce d’époque.

Le dénonciateur (Capitaine Carey U.S.A.) un film de Mitchell Leisen avec Alan Ladd, Wanda Hendrix, Francis Lederer, Joseph Calleia, Celia Lovsky, Angela Clarke, Jane Nigh, Frank Puglia, Luis Alberni… Scénario : Robert Thoeren d’après le roman de Martha Albrand. Directeur de la photographie : John F. Seitz. Décors : Hans Dreier et Roland Anderson. Costumes : Mary Kay Dodson. Effets spéciaux optiques : Gordon Jennings. Montage : Alma Macrorie. Musique : Hugo Friedhofer. Producteur : Richard Maibaum. Production : Mitchell Leisen Production – Paramount Pictures. Etats-Unis. 1949. 83 minutes env. Noir et blanc. Format image : 1,37 :1. Version originale avec ou sans sous-titres français et Version Française. DTS-HD. 2.0. Tous Publics.