Todd Anderson, un garçon plutôt timide, est envoyé dans la prestigieuse académie de Welton, réputée pour être l’une des plus fermées et austères des États-Unis, là où son frère avait connu de brillantes études. C’est dans cette université qu’il va faire la rencontre d’un professeur de lettres anglaises plutôt étrange, Mr Keating, qui les encourage à toujours refuser l’ordre établi. Les cours de Mr Keating vont bouleverser la vie de l’étudiant réservé et de ses amis…
Remarqué dans les festivals de cinéma du monde entier dès 1974 avec son premier film, Les Voitures qui ont mangé Paris, puis, avec le succès à la fois critique et commercial de ses films suivants, Pique-Nique à Hanging Rock (1975) et La Dernière Vague (1977), sublimes et fascinantes fables sociales et oniriques dans lesquelles le spirituel l’emporte sur le rationnel, et enfin, la démonstration de son talent pour mettre en scène l’action avec les superproductions Gallipoli (1981) et L’Année de tous les dangers (1982) à l’affiche desquels on retrouve le comédien Mel Gibson, en réalisant des œuvres à la fois singulières et populaires participants au mouvement de la Nouvelle Vague du cinéma australien que l’on nommera « Ozploitation », le cinéaste australien Peter Weir a, incontestablement, grandement participé à la renaissance d’un cinéma disparu comme à sa reconnaissance aux yeux du monde.
Travaillant aux États-Unis avec succès depuis son film Witness en 1984, et trois ans après Mosquito Coast, Peter Weir continue de décliner les aspects communautaires qu’il affectionne avec Le Cercle des poètes disparus (Dead Poets Society, 1989), portrait poignant et universel de l’adolescence. Le Cercle des poètes disparus est un film générationnel qui célèbre le « Carpe Diem » à la fin des eighties et dont l’immense succès mondial sera la consécration du cinéaste.

A la fois sensible et profond, Le Cercle des poètes disparus est un drame humaniste réalisé par Peter Weir, sur un scénario de Tom Schulman qui explore les tensions entre tradition et liberté, autorité et émancipation, à travers le regard d’adolescents dans un internat conservateur américain des années 1950, et magistralement interprété par Robin Williams dans l’un de ses rôles dramatiques les plus mémorables. L’histoire du film se déroule en 1959 à la prestigieuse Welton Academy, un internat d’élite pour jeunes hommes situé dans le Vermont, symbole d’une Amérique conservatrice et rigoriste. L’institution, forte de son ancienneté et de ses traditions, se veut un bastion de l’excellence académique et morale où discipline, rigueur et conformisme sont les maîtres-mots. C’est dans ce cadre strict que débarque l’anticonformiste professeur de lettres John Keating (Robin Williams), ancien élève charismatique, qui revient désireux d’enseigner la poésie, d’éveiller ses élèves et de les pousser à exprimer leur singularité dans cette institution figée par ses principes : « Tradition, Honneur, Discipline, Excellence ». À travers l’enseignement de la poésie et de la littérature, il invite ses élèves à vivre pleinement, à saisir l’instant, à « cueillir le jour » (Carpe Diem) et à penser par eux-mêmes. C’est le point de départ d’un bouleversement intérieur profond chez plusieurs jeunes élèves, confrontés dès lors à l’autorité, à la peur, mais aussi au désir d’exister pleinement. Mais très vite, la méthode de Keating, sa bienveillance et son appel à la liberté intérieure individuelle bouleversent une hiérarchie bien établie et se heurtent à la violence symbolique d’un système éducatif rigide, et aux pressions sociales et familiales. Le drame qui en résulte touche à l’universel. Le Cercle des poètes disparus s’inscrit dans la filmographie de Peter Weir comme un hommage à la liberté intérieure, un thème récurrent chez le cinéaste australien qui explore souvent les limites sociales imposées à l’individu (The Truman Show, Witness, La Dernière Vague). Le film, sorti en France au début de l’année 1990, rencontre un large succès critique et public et se voit récompensé, notamment par l’Oscar du Meilleur scénario original.
Le Cercle des poètes disparus alterne avec grâce entre scènes de cours pleines de souffle, moments d’introspection silencieuse, et respirations lyriques. Orchestrée avec habileté par le montage sensible de William M. Anderson, fidèle collaborateur du metteur en scène, fluide et cohérente, la narration du film adopte une structure classique parfaitement maîtrisée et toujours vivante. Une structure classique qui épouse avec finesse les dynamiques émotionnelles du récit.
Avec une première partie, exposition minutieuse qui s’attache à la présentation de l’univers clos de l’académie de Welton dans toute sa rigueur, de son règlement, de ses rites, du corps professoral et de l’arrivée tonitruante de John Keating, Peter Weir prend le temps de poser son intrigue. De l’introduction du personnage de Keating au premier éveil de Todd, en passant par la passion théâtrale de Neil, le premier amour de Knox, ou encore la provocation de Charlie, chaque moment de bascule dans l’évolution des personnages est subtilement construit. Keating apparaît comme une brèche dans le conformisme et son irruption introduit des modulations de rythme et de ton. Chaque cours qu’il donne devient un moment de suspension, d’ouverture et de rupture avec le reste du quotidien. La structure dramatique du film suit la montée progressive de l’émancipation des jeunes hommes et la réaction impitoyable de l’institution, incarnée par le directeur Mr. Nolan (Norman Lloyd) et le père de Neil, Mr. Perry (Kurtwood Smith)… Tout par de Keating et tout revient à Welton. La narration opère comme en cercle concentrique.

Cette architecture rigoureuse est donc rythmée par les cours, les réunions secrètes et les confrontations avec l’autorité. Mesuré au départ, le rythme s’accélère à mesure que les élèves s’affirment, à mesure que l’on suit la formation du Cercle des poètes disparus, un petit groupe rebelle réunissant Neil Perry (Robert Sean Leonard), Todd Anderson (Ethan Hawke), Knox Overstreet (Josh Charles), Charlie Dalton (Gale Hansen), et quelques autres. Des récitations clandestines aux escapades nocturnes ou à la prise de parole publique, leurs irruptions, d’abord timides, gagnent en intensité. Etouffés par les pressions familiales et sociales, le crescendo du film atteint son apogée avec la tragédie de Neil qui va marquer un point de rupture et provoquer une chute vers le conformisme et la douleur. La dernière partie du film déroule les conséquences de la tragédie (recherche de boucs émissaires, chute de Keating…) avant le geste final de Todd, symbolique et puissant, qui va venir marquer le point d’équilibre entre tragédie individuelle et affirmation de vie.
Basé sur les propres souvenirs de son expérience d’enseignant au collège, le scénariste Tom Schulman a écrit le scénario du film en 1985. Il s’agit par ailleurs de son premier scénario et il obtiendra l’Oscar du Meilleur scénario original avec celui-ci. Très rare sur un tournage de film, afin de rendre plus naturelle l’évolution des relations entre les élèves et Keating, Peter Weir a fait le choix de tourner le film dans l’ordre chronologique du scénario.
Parmi les forces du film on notera la qualité de l’écriture scénaristique avec ses dialogues précis empreints de poésie et de philosophie qui vont de l’humour décalé aux réflexions profondes sur la vie. Loin de la caricature, les différentes trajectoires des élèves avec leurs doutes, pulsions et contradictions, sont crédibles et apportent un réalisme émotionnel au film. Situé à la fin des années 50 dans un contexte conservateur où l’éducation était encore un espace de contrôle familial et social, filmé avec justesse, le cadre historique du film est le parfait reflet d’une Amérique en pleine mutation. De la grotte aux poèmes manuscrits en passant par l’arbre centenaire, les bureaux ou encore les uniformes, autant de symboles qui incarnent la tradition comme la possible rébellion et qui apportent au film son riche symbolisme. A travers la figure de Keating qui reste celle d’un mentor exceptionnel, voir extraordinaire, la démarche romantique confère une dimension mythique qui donne sa puissance au film. Enfin, pour évoquer une autre grande force du film, on ne peut passer à côté de l’interprétation remarquable des comédiens.
Présents dans (presque) toute l’œuvre du cinéaste (Les Voitures qui ont mangé Paris, La Dernière Vague, Gallipoli, L’Année de tous les dangers, Witness, The Mosquito Coast, Green Card, The Truman Show…), on retrouve dans Le Cercle des poètes disparus les thèmes de l’aliénation des individus étrangers au milieu où ils vivent, et celui de l’intrus, de l’autre vivant dans une société étrangère et « hostile ».
La liberté et l’émancipation qui s’opposent à l’autorité et au conformisme, ou encore la jeunesse, l’éveil, le pouvoir de la poésie et de l’art et leur importance dans la vie, la responsabilité ou encore le rapport à la mort et au sacrifice, comptent parmi les thèmes majeurs du film. Les grandes thématiques du Cercle des poètes disparus résonnent avec l’ensemble de l’œuvre de Peter Weir. Comme dans The Truman Show, marqué par la quête de vérité du personnage principal, Witness, par le choc des cultures, ou La Dernière Vague, par le mystique et le sacré, dans Le Cercle des poètes disparus, Peter Weir explore le thème de l’individu confronté à un ordre extérieur étouffant, et son cheminement vers une prise de conscience, vers une forme d’éveil. On retrouve dans le film les obsessions du cinéaste, ses tensions et ses interrogations constantes sur la liberté, l’individu, le sacré, et les limites de la communauté.

À Welton, tout est code, protocole, attente figée. Les uniformes, les manuels, les consignes… tout rappelle l’ordre établi. Keating, au contraire, veut libérer la sensibilité en éloignant progressivement son cours des slogans archaïques de l’institution (Tradition, Honneur, Discipline, Excellence), et en incitant ses élèves à sortir du rang, à défier l’autorité. Le film dépeint la jeunesse comme un moment charnière, entre soumission et révolte, entre peur et audace, entre conformisme et émancipation. Le groupe, les amitiés, sont des espaces d’apprentissage. Déjà présent dans Witness dans lequel Peter Weir explorait le choc entre un policier citadin et une communauté Amish fermée, où le conflit entre normes collectives et vérité intérieure dominait, Weir s’intéresse toujours à ceux qui franchissent les lignes. La liberté individuelle s’opposant à l’autorité de l’ordre social sera aussi développée dans The Truman Show (1998), où un homme enfermé dans une réalité artificielle cherche à s’en libérer. Si le conflit entre l’individu et la société prend dans Le Cercle des poètes disparus, une forme plus intime avec ces jeunes gens soumis à la pression institutionnelle et parentale, le « Carpe Diem » de Keating est bien l’équivalent du désir de fuite de Truman. Au cœur du film, la tragédie de Neil cristallise le conflit qui existe entre la volonté de liberté individuelle et les contraintes sociales et familiales, en nous montrant la violence de la répression.
« Carpe diem », vivre pleinement maintenant, est sans doute l’idée majeure du film. « Vous devez cueillir le jour, et faire que votre vie soit extraordinaire. » Cette maxime guide l’initiative du Cercle, leurs récitations nocturnes dans une grotte, leurs escapades à vélo ou encore la déclaration d’amour « osée » de Knox, autant de petits gestes audacieux de liberté. Répétée tout au long du film, « Carpe Diem » est une expression latine qui signifie « cueille le jour ». Ces mots sont extraits d’un vers d’Horace, « Carpe diem, quam minimum credula postero. » (« cueille le jour sans te soucier du lendemain »), qui nous rappelle que la vie est courte et qu’il faut se hâter d’en profiter. Il faut profiter du moment présent. Devenue mythique, cette devise est gravée sur la plaque de postérité de Robin Williams au Mann’s Chinese Theater situé sur Hollywood Boulevard à Los Angeles en Californie.

La poésie est le chemin qu’emprunte Keating pour reconnecter chacun à sa propre intériorité. Hugo, Rimbaud, Whitman, Théocrite… La poésie, dans le film, n’est pas une œuvre littéraire mais un cri sincère, un rappel à l’expérience du monde, à l’expérience de la vie. Le film associe la poésie à la communauté du Cercle, mais aussi à un acte politique engagé, à une forme de résistance. Il met en avant le pouvoir du rituel et celui de la parole, le pouvoir de la poésie et de l’art. Dans les oniriques et envoutants Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock,1975) où des jeunes filles disparaissent lors d’un pique-nique dans la nature, laissant derrière elles un mystère irréductible et La Dernière Vague (The Last Wave, 1977), fable sociale où le spirituel l’emporte sur le rationnel, déjà, Peter Weir posait la nature comme lieu de révélation et d’irrationnel. Dans Le Cercle des poètes disparus, se retrouver, lire, s’écouter, se mettre en cercle ensemble, est un rituel sacré. C’est une communion, un acte spirituel presque chamanique. La poésie est présentée comme un vecteur de vie, un moyen de dépasser la banalité, d’exprimer l’indicible.
Notons qu’avec trois passages tirés du recueil de poèmes Feuilles d’herbe : la citation « Ô Capitaine, Mon Capitaine ! », une version abrégée du poème Ô moi ! Ô la vie !, et la citation « Je hurle mon cri barbare YAWP sur tous les toits du monde » du poème Song of Myself, Walt Whitman est le poète phare du film. Chez Peter Weir, l’éveil n’est jamais purement intellectuel. Il est aussi spirituel, presque mystique. Keating agit moins comme un professeur que comme un initiateur. Il ne transmet pas des savoirs, il réveille des désirs, ouvre des horizons. L’art, la poésie, le théâtre sont chez Weir des portes vers l’invisible, non pas pour fuir la réalité, mais pour la regarder autrement. Ce thème rejoint lui aussi celui de La Dernière Vague, où un avocat découvre les visions prophétiques d’un peuple aborigène. Weir, encore et toujours, confronte le rationnel au sacré. Dans Le Cercle des poètes disparus, c’est la poésie qui joue ce rôle de révélateur.
La tension entre Neil et son père illustre tragiquement l’écart entre aspiration et échec de communication. Un père aimant, mais qui ne veut que la réussite académique de son fils. L’émancipation de Neil, portée par sa passion pour le théâtre, s’affronte au désir parental, conduisant à la catastrophe. Tragédie abordant également le thème de la responsabilité, Le Cercle des poètes disparus n’est pas un film naïf et ne cherche pas à éluder la dimension dramatique de la liberté. La liberté a un poids, un coût. Elle demande des sacrifices. La place de Keating est ambiguë. Est-il inspirateur ou coupable ? Critique implicite des systèmes rigides qui broient l’individu, le destin tragique de Neil vient renverser les archétypes. C’est l’institut qui désormais chasse Keating en adoptant une posture caricaturale de victimisation. Toutefois, la scène finale révèle que, malgré les menaces et les carcans, l’esprit subsiste : Todd se redresse et s’exclame « Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! », tel un ultime Carpe diem, le signe que l’essentiel a été transmis.
Steve Le Nedelec
Le Cercle des poètes disparus (Dead Poets Society) un film de Peter Weir avec Robin Williams, Ethan Hawke, Robert Sean Leonard, Josh Charles, Gale Hansen, Dylan Kussman, Allelon Ruggiero, James Waterston, Lara Flynn Boyle… Scénario : Tom Schulman. Directeur de la photographie : John Seale. Décors : Wendy Stites. Costumes : Nancy Konrardy. Montage William M. Anderson. Musique : Maurice Jarre. Producteurs : Steven Haft, Paul Junger Witt et Tony Thomas. Production : Touchstone Pictures – Silver Screen Partners IV – Steven Haft Production – Witt/Thomas Productions. Etats-Unis. 1989. 2h08. Eastmancolor. Panavision. Format image : 1,85:1. Dolby. Oscar du meilleur scénario, 1990. Tous Publics.