L’Arbre aux Papillons d’Or – Pham Thiên Ân

Après la mort de sa belle-sœur dans un accident de moto à Saigon, Thiên se voit confier la tâche de ramener son corps dans leur village natal. Il y emmène également son neveu de 5 ans, Dao, qui a miraculeusement survécu à l’accident. Au milieu des paysages mystiques de la campagne vietnamienne, Thiên part à la recherche de son frère aîné, disparu il y a des années, pour lui confier l’enfant, un voyage qui remet profondément en question sa foi.

« Avec L’Arbre aux Papillons d’Or, je souhaitais plonger un homme dans un voyage vers sa ville natale qui l’amène à renouer avec son passé. Ce retour révèle son conflit intérieur entre une foi qu’il a négligée et une vie qui le rend profondément insatisfait. » Pham Thiên Ân.

Réalisateur et scénariste vietnamien, né en 1989 dans la province de Lâm Dong sur les hauts plateaux des montagnes centrales du Viêt Nam, Pham Thiên Ân a obtenu un diplôme en technologie de l’information et a pris conscience de son intérêt pour le cinéma et la mise en scène en apprenant à réaliser et à monter des films de manière autodidacte dans une société de production de films de mariage et de films publicitaires. Il a réalisé deux courts-métrages, The Mute (2018), portrait d’une jeune femme qui s’interroge sur l’amour pendant une nuit pluvieuse, la veille de son mariage, et Stay Awake, Be Ready (2019), dans lequel on suit trois amis dans un bar, le soir à Saïgon. Ses deux courts-métrages ont été présentés dans de nombreux festivals internationaux où ils ont remporté plusieurs prix dont le prix Illy à la Quinzaine des réalisateurs en 2019. Construit de manière instinctive à partir de la première scène du scénario déjà écrit de L’Arbre aux Papillons d’Or, le cinéaste a réalisé Stay Awake, Be Ready dans le seul but d’expérimenter à la fois le rythme et la mise en scène de son futur projet. L’Arbre aux Papillons d’Or est son premier long métrage. Pham Thiên Ân est également le scénariste du film et en a assuré le montage. Sélectionné à la Quinzaine des cinéastes au dernier festival de Cannes, L’Arbre aux Papillons d’Or a remporté la Caméra d’Or.

« Beaucoup de ce que Thiên vit est inspiré de mes souvenirs, de mon vécu. Moi aussi, j’ai quitté ma campagne pour aller étudier à Saïgon. Et moi aussi, je suis retourné ensuite dans mon village natal. Je flânais, comme Thiên, à moto, et j’ai redécouvert sa beauté, à laquelle je n’avais pas fait attention. » Pham Thiên Ân.

Comme le cinéaste, le personnage principal du film se prénomme Thiên. En perte de repères, Thiên, l’alter ego fictif du cinéaste, trentenaire, cherche à retrouver un sens à sa vie. Comme les grands papillons d’or qui vivent dans les forêts brumeuses du nord du Viêt Nam, il devra lui aussi quitter le monde qu’il connait pour se métamorphoser et éclore sous une nouvelle forme pour voir le monde sous un jour nouveau. Notons que la traduction littérale du titre original du film, « Bên trong vò kén vàng », est « Dans le cocon doré ». Le cocon évoque particulièrement bien l’idée de transformation mais il évoque aussi la nécessité de le casser pour renaitre. Des personnes qui l’entourent à sa vie matérielle, c’est tout le quotidien de Thiên qui est son cocon. Celui-ci va devoir grandir et se battre pour casser son cocon et (s’) en sortir. Il va devoir mener une lutte intérieure pour sortir de lui-même et devenir « un papillon ». Il va devoir s’ouvrir au monde pour que le monde s’ouvre enfin à lui.

 Sans être autobiographique, riche de l’expérience et de la vie personnelle du réalisateur, les personnages du film et leurs émotions traduisent un geste créatif confondant de sincérité. Influencé par le travail de cinéastes comme Luis Buñuel (Belle de Jour, 1967 ; Le Charme discret de la bourgeoisie, 1972 ; Le Fantôme de la liberté, 1974 ; Cet obscur objet du désir ; …) ou Béla Tarr (Le Nid familial, 1977 ; Damnation, 1987 ; Sátántangó, 1994 ; Les Harmonies Werckmeister, 2000 ; Le Cheval de Turin, 2011 ; …), Pham Thiên Ân commence par nous entrainer dans une histoire réaliste avant de nous inviter à un voyage introspectif, onirique et surréaliste. Cependant, en totale opposition dans la forme, l’unique cineaste cité dans le récit du film est Frank Capra à travers son film La Vie est belle (It’s a Wonderful Life, 1946) avec l’évocation d’ une de ses célèbres répliques: « Quand une clochette sonne, c’est un ange qui reçoit ses ailes. ».

Au cours de son voyage, Thiên va faire des rencontres et vivre des instants précieux qui vont l’amener à se questionner sur lui-même et le sens de la vie. Le vieil homme qui a fabriqué le linceul de sa belle-sœur l’invite dans son habitation rudimentaire ; une vieille femme mystérieuse qu’il croise lui dit : « Personne ne peut comprendre l’âme humaine. C’est au-delà de l’entendement humain. […] Je vois la souffrance des hommes. Je sens son odeur de pourriture » et lui demande : « Depuis combien de temps négligez-vous votre âme ? » ; Le jeune Dao lui demande « C’est où le paradis ? »

Pas besoin de croire en un Dieu pour se demander qui l’on est ou pourquoi nous sommes là. Lié à nos rêves, à nos passions, à nos aspirations comme à nos questions les plus existentielles, avec l’histoire du voyage initiatique de cet homme qui quitte les décors urbains de Saigon et traverse les paysages sublimes de son pays vers sa ville natale, cet homme en quête de lui-même qui va renouer avec son passé pour surpasser le deuil et retrouver la foi, L’Arbre aux Papillons d’Or nous invite à une plongée au cœur du Viêt Nam contemporain, à un voyage spirituel aux confins de l’âme humaine.

Aussi important pour le cinéaste que l’image, allant jusqu’à choisir ses lieux de tournage en fonction de leurs sons, son attention portée au son est saisissante. Si la bande sonore nous invite plutôt à entendre, enregistrés en prises directes, les bruits de la ville et l’ambiance de la nature luxuriante, lyrique, la musique occupe une place importante dans le film. En opposition avec les musiques de variétés des clubs karaokés de Saigon, les notes de violoncelle et de piano de la romance qui accompagnent le corbillard sur les routes sinueuses des montagnes du Viêt Nam et le retour de Thiên à la nature, sont celles d’une mélodie de Franz Schubert intitulée Litanie pour la Fête des Morts qui met en musique le poème de Johann Georg Jacobi qui dit : « Que reposent en paix toutes les âmes qui, leurs tourments inquiets achevés, qui leur doux rêve terminé, lassées de vivre, à peine nées, ont quitté ce monde pour l’autre. ». La bande originale du film vient donc traduire la mort symbolique de Thiên qui quitte la ville de son présent pour retrouver la campagne de son passé.

« Si je privilégie des plans-séquence très lents, ils ne sont pas toujours de même nature : parfois, c’est le réalisateur qui observe, parfois, ce sont les spectateurs, parfois, ce sont les âmes venant d’un autre monde. Mais quand je choisis de longs plans-séquence et mouvements de caméra, c’est aussi parce que je voudrais faire coïncider le rythme du film avec le rythme biologique du spectateur, qu’ils soient sur la même longueur d’onde. »Pham Thiên Ân.

Réalisé dans une forme proche du documentaire avec une narration minimaliste, le cinéaste a souhaité s’entourer de comédiens non professionnels et a privilégié tourner des plans longs avec des mouvements de caméra presque imperceptibles (presque fixes), dans des lieux réels, en utilisant au maximum l’éclairage naturel. Comme s’il mettait littéralement en scène la nature, de la chaleur et de l’humidité de l’air aux pluies battantes et brumes épaisses, minutieuse, la mise en scène de Pham Thiên Ân rend les éléments naturels palpables à l’écran. Principalement composée de longs plans-séquence virtuoses, dont certains ont nécessité plusieurs semaines de préparations, et de mouvements de caméra lents, laissant le temps non seulement à l’action mais également à la nature de vivre dans son cadre, et qui, dans certaines scènes, traduisent le temps de l’action du film en temps réel, l’approche formelle radicale et parfaitement maîtrisée du réalisateur crée des « espace-temps » qui participent à l’immersion du spectateur. Ce dernier peut alors avoir le sentiment de « vivre » les choses au diapason du personnage principal et mieux s’identifier à lui. Comme hypnotisé, le spectateur oublie ainsi le temps réel et vit pleinement l’expérience du temps du film.

A l’affût du moindre détail, le reflet d’une lumière, le doux mouvement d’un rideau, ou encore le tic-tac d’une pendule, toute en délicatesse, la mise en scène remarquable de Pham Thiên Ân parvient ainsi à abolir la frontière qui sépare le réalisme du surréalisme. Chacune des séquences qu’il nous offre est composée comme un véritable tableau. Toujours dans un souci de recherche d’équilibre et de naturel pour chacun des plans du film, le cinéaste a également adapté sa mise en scène (mouvements de caméra et cadres) aux déplacements et mouvements des acteurs à qui il laisse le temps d’exprimer les émotions de leurs personnages en utilisant notamment des gros plans.

Pour plus de liberté sur le plateau de tournage, Pham Thiên Ân s’est entouré d’une équipe technique restreinte principalement composée d’amis. Naturaliste et minimaliste, extrêmement soignée, la superbe photographie du film est signée du chef opérateur Dinh Duy Hung. Ami d’enfance du cinéaste, celui-ci partage la même idée du langage cinématographique ainsi que le même point de vue sur l’esthétique et la lumière des images qui, pour eux, doivent retranscrire la réalité des lieux de la manière la plus fidèle possible.

Témoignant parfaitement du contraste existant dans la culture de la société vietnamienne entre la modernité de la ville, les citadins, et le traditionalisme de la campagne, les ruraux, L’Arbre aux Papillons d’Or offre également au spectateur une expérience intime de la culture vietnamienne et des individus des différentes régions du pays. Ce retour aux sources du personnage principal contribue bien évidemment aussi à faire voyager le spectateur au diapason avec ce dernier.

Pudique, comme le cinéaste, L’Arbre aux Papillons d’Or est un sublime road-movie, à la fois méditatif, sensoriel et sensuel, qui n’impose aucune idée ou opinion, mais au contraire, laisse le spectateur libre de ses propres réponses et interprétations. Pham Thiên Ân a l’Art et la manière de laisser le spectateur libre de découvrir, ou pas, sa propre spiritualité. Envoûtant voyage intérieur, poème magistrale et magnifique réflexion sur l’existence, la famille, le deuil, la foi et le temps, L’Arbre aux Papillons d’Or marque la naissance d’un grand cinéaste qui considère le cinéma comme son propre « appel du divin ». Véritable expérience cinématographique, L’Arbre aux Papillons d’Or est une œuvre précieuse à voir, à contempler, à ressentir, ou plutôt encore, L’Arbre aux Papillons d’Or est une œuvre précieuse à vivre impérativement en salle.

Steve Le Nedelec

L’Arbre aux Papillons d’Or (Bên trong vò kén vàng) un film de Pham Thiên Ân avec Le Phong Vu, Nguyen Thi Truc Quynh, Nguyen Thinh, Vu Ngoc Manh… Scénario : Pham Thiên Ân. Image : Dinh Duy Hung. Décors : Pham Thien An et Huynh Phuong Hien. Costumes : Huynh Phuong Hien. Producteurs : Jeremy Chua et Tran Van Thi. Production : Fasten Films, Potocol, JK Film, Deuxième Ligne Films, Zorba The Imaginery Friend. Distribution (France) : Nour Films (Sortie le 20 septembre 2023). Vietnam – France – Espagne – Singapour. 2023. 178 minutes. Couleur. Format image : 1.85 :1. 4k. DCP. Son : 5.1. Dolby Atmos. Sélection Quinzaine des cinéastes – Caméra d’Or – Festival de Cannes 2023