La Femme des Steppes, le Flic et l’Œuf – Wang Quanan

La nuit dans la steppe mongole, une voiture roule, deux chasseurs que nous ne verrons jamais discutent. Dans la lumière des phares, un troupeau de chevaux sauvages. Soudain, le corps d’une femme, nue, allongée, morte… Au matin, la police arrive sur les lieux du crime. Un jeune loup traîne dans les parages, le cadavre est pour l’animal de la nourriture bienvenue. La police laisse sur place un jeune policier novice pour monter la garde près du corps. Une jeune bergère surnommée « Dinosaure » est mandatée par la police pour aider le jeune policier dans ce territoire hostile pour un novice. Le temps passe, le soleil laisse la place à une nuit glaciale…

La Femme des Steppes, le Flic et l’Œuf est un film de distance. Le réalisateur entre dans un espace immense, inconnu. Cette voiture qui roule la nuit est l’entrée du cinéma, de la fiction dans une fraction de cette immensité. Wang Quanan reste à distance, en passager, la voiture est conduite par des Mongoles. Nous allons être mis dans la même position, celle d’un observateur de coutumes inconnues. Son regard balaye en panoramique le champ, comme s’il voulait embrasser toute l’étendue du paysage avant de s’approcher, à pas de loup, des habitants de la steppe.

Les points de vue sont éclatés. Nous passons d’un regard à l’autre. Un zoom maladroit nous indique que nous sommes dans les jumelles d’un policier que nous ne verrons jamais. Quanan filme ses personnages au téléobjectif, puis se jette dessus pour ne plus les lâcher. L’histoire, la fiction entre dans le temps des habitants, de la bergère, de cette contrée lointaine.

L’ethnographie, le polar, s’envole pour une histoire d’amour aussi surprenante qu’improbable. Des touches de bizarretés parcourent le film, évidemment, le cadavre de cette femme nue, le policier qui danse sur une musique rock, sur Elvis Presley, autour du corps la nuit, etc. La vie n’est qu’un état en harmonie avec des forces cosmiques : « Si personne n’avait trouvé la morte, elle se serait lentement décomposée dans la terre. L’herbe aurait poussé, les moutons auraient brouté l’herbe, les hommes auraient mangé les moutons, et elle se serait réincarnée sous forme humaine. » Dans ce mouvement qui semble si rodé, que rien d’autre ne peut perturber, vont surgir des sentiments passionnels. Le jeune policier et la « dinosaure » vont s’éprendre l’un de l’autre. Love Me Tender au milieu de la steppe mongole. Le feu qui les réchauffe la nuit va les envahir, les consumer.

La scène d’amour résume en un coït toutes les forces en jeu : le physique, l’abandon de deux corps, la peur qui s’empare du chameau, la présence du loup, le vent, le froid, le feu… et l’extase atteinte, la bergère s’empare de son fusil et tire dans la nuit sur le loup… jusqu’à le toucher, la steppe replonge dans le silence, le noir enveloppe vivant et mort. L’ellipse, de la vie « sauvage » à la morgue en ville, une salle d’autopsie, la résolution de l’affaire est donnée en off par une discussion entre le médecin légiste et le commissaire. Une banale affaire de jalousie. L’absurdité de la vie, la brièveté de notre passage et une constatation où qu’ils soient, l’homme et la femme ne sont que contradictions.

Tourné en Mongolie extérieure (en partie pour échapper à la censure chinoise), le 7ème film de Wang Quanan s’inscrit pleinement dans son œuvre, dans sa mise en scène d’une Chine divisée entre modernisation et ruralité rude et ancestrale. Sur ses terres dures, on trouve encore des œufs de dinosaures fossilisés (l’ Öndög du titre originale) : « Il y a des millions d’années, la Terre appartenait aux dinosaures. Comme elle appartient aux humains, aujourd’hui. » Dans des millions d’années, trouvera-t-on des traces d’humains fossilisés ?

La Femme des steppes, le Flic et l’œuf est un raccourci sur cinéma c’est-à-dire sur la vie, la mort, le temps.

Fernand Garcia

La Femme des Steppes, le Flic et l’Œuf (Öndög) Wang Quanan avec Enkhtaivan Dulamjav, Aorigeletu, B. Norovsambuu, B. Anujin, Gangtemuer, Silengge, Puribuzhabu, Talinqiqige, Menghesaihan… Scénario : Wang Quanan. Directeur de la photographie : Aymeric Pilarski. Décors : Bater. Son Lou Yatao et Yan Peiguo. Montage : Wang Quanan et Yang Wenjian.  Producteur : Wang Quanan. Production : Star Light Films LLC – New Theater Union – Landi Studios – Mogo Film Labs – October Harvest Culture Media. Distribution (France) : Diaphana  (Sortie France, le septembre 2020). Chine – Mongolie. 2019. 92 minutes. Couleur. Format image : Scope – 2,35 :1. Son : 5.1. 69e Berlinale – Mongolfière d’or, 2019 – Festival des 3 Continents. Tous Publics.