La Bonne réputation – Alejandra Márquez Abella

Le début agace avec sa patine hollywoodienne de la description bling-bling de la bourgeoisie mexicaine oscillant entre Sofia Coppola pour le vide et Todd Haynes pour la couleur. La Bonne réputation se situe dans les années 80 et s’attache à suivre une grande bourgeoise Sofia, mère de trois enfants. Son mari, un héritier, est associé dans une entreprise d’où le couple tire ses gros profits assurant ainsi leur place dans la bonne société. Sofia a une vie régulée dictée par les convenances sociales auxquelles elle s’adonne pleinement, système avec ses lieux emblématiques et incontournables: salon de thé, salle de gym, tennis, piscine privée. Sofia adore papoter avec ses amies d’oisivetés, toujours les mêmes.

Les rêves de Sofia se limitent à peu de choses, elle fantasme tout juste sur Julio Iglesias, le charme, la gloire et l’argent. Tout va bien, jusqu’à ce qu’un grain de sable, la crise économique des années 80 ne fasse dérailler l’édifice d’une vie. Plutôt que de faire comme ses associés qui quittent le navire, son mari décide de reprendre seul les rênes de l’entreprise. Hélas, pour Sofia, son mari est totalement incapable de diriger quoi que ce soit, il n’est qu’un nuisible, un profiteur.

Sofia va de déconvenue en déconvenue, sa carte bancaire ne fonctionne plus et derrière son dos, ses « amies » y vont de leurs commentaires fielleux. C’est le début d’une lente décadence que Sofia refuse de voir. Elle s’enfonce dans le déni et tente de garder son rang dans la haute société. Elle reste aveugle aux huissiers qui tambourinent à sa porte. Elle fait la sourde oreille quand le petit personnel réclame son salaire du mois. Sofia dans ce jeu d’apparence espère rester droite et digne, mais l’argent manque, et les portes se referment, silencieusement.

Si son mari s’enfonce dans les sables mouvants de son incompétence, errant tel un zombie dans la maison, Sofia refuse d’être une paria. Elle n’abdique pas. Elle puise en elle, la force d’avancer, se rend à pied à une soirée abandonnant sa voiture en panne en chemin. Rien ne l’arrête, la peur du déclassement lui donne l’énergie et l’inconscience d’aller de l’avant coûte que coûte. La véritable nature de ses amies se révèle, haineuses et cancanières, fuyant comme la peste celle qui n’a plus les moyens de peur que cela ne soit contagieux. La valeur des unes vis-à-vis des autres est inversement proportionnelle à la hauteur de leur compte en banque. Sofia dans un mouvement irraisonné vole des boutons de manchette chez sa meilleure amie mais oublie aussitôt son geste. On se dit qu’elle est à deux doigts de se prostituer, et puis non… Sofia (où la réalisatrice) n’ose aller si loin…

Après une première partie légèrement ampoulée, Alejandra Márquez Abella réussit une excellente deuxième partie loin des oripeaux tape à l’œil hollywoodien pour une errance à la Antonioni. Sofia acquière une véritable épaisseur et une humanité jusque-là enfouie sous le fard de l’apparence. Certainement par peur d’être assimilée à son personnage principal et de prendre la défense d’un milieu bourgeois honni, la jeune réalisatrice mexicaine abat la carte du grotesque pour une fin la mettant définitivement à distance de Sofia, c’est particulièrement maladroit. D’un coup on se remémore les fantastiques drames bourgeois de Luis Buñuel, grand cinéaste mexicain (on l’oublie souvent), El, L’ange exterminateur, Archibald de la Cruz, d’une autre puissance, sans que jamais la confusion ne se fasse entre les personnages et l’artiste. Reste la performance d’Ilse Salas (Sofia), de tous les plans, absolument épatante.

Fernand Garcia

La Bonne réputation (Las niñas bien) un film d’Alejandra Márquez Abella avec Ilse Salas, Cassandra Ciangherotti, Paulina Gaitan, Johanna Murillo, Flavio Medina… Scénario : Alejandra Márquez Abella d’après le roman de Guadalupe Loaeza. Image : Dariela Ludlow. Montage : Miguel Schverdfinger. Musique : Tomas Barreiro. Producteurs : Rodrigo S. Gonzales Ortiz & Gabriela Maire. Production : Woo Films. Distribution : UFO Distribution (Sortie le 16 octobre 2019 ). Mexique. 2018. 99 minutes. Format image : 2,35 :1. Son Dolby 5.1. Tous Publics. Sélection Tiff – CinéLatino Prix spécial « Coup de cœur du jury ».