La Belle – Arunas Zebriunas

A la sortie en salles de La Belle du réalisateur lituanien, Arunas Zebriunas, le 22 août à l’Espace Saint-Michel, Alante Kavaite présentait le film en présence de son distributeur Manuel Attali, de la responsable de la restauration du film du Kino Centras lituanien Dovile Butnoriute et de la fille du réalisateur Monika Edgar. Devenue artiste peintre, Monika disait qu’elle est très influencée par l’œuvre de son père et très reconnaissante qu’elle ait pu voir le film de son père en qualité originale, noir et blanc scope, presque 40 ans après. Responsable de la restauration de La Belle Dovile Butnoriute a promis un autre film d’Arunas Zebriunas La Fille à l’écho (Paskutinė atostogų diena) dont les travaux de restauration seront achevés en décembre 2018. Le film avait obtenu le prix du jury à Locarno en 1965. En Janvier 2018, La Mariée du diable (1973) l’un des films restaurés de Zebriunas a été déjà projeté à la Cinémathèque Française. La sortie de La Belle dans les salles françaises est un grand événement pour le patrimoine cinématographique lituanien.

A la question du public, « si la fille du réalisateur avait eut de l’influence sur l’histoire du film », Monika a répondu qu’elle rendait sa mère dingue avec la question : « est-ce que je suis belle ? ». Inga Mickyte qui joue le personnage principal, désarmante de tendresse, avait joué dans le précédent film du réalisateur La mort et le cerisier (Mirtis ir vysnios medis, 1968). Après La Belle, malgré plusieurs propositions de tournage, Inga et ses parents ont décidé d’arrêter sa carrière de petit comédienne, elle est devenue médecin.

Monika Edgar racontait que son père parsemait ses films des blagues et messages antisoviétiques, dans ses interviews, il disait qu’il faisait les films avec des enfants mais pour les adultes. Ses films étaient très populaires dans l’Union Soviétique. Malgré la vigilance de la censure soviétique, Zebriunas inclus dans La Belle, une chanson écrite par Maironis, un poète lituanien qui était aussi un prêtre catholique, interdite et qu’on entend interpréter par les cloches d’une église.

 

A travers le film, on perçoit une certaine sympathie pour la culture française, qui représentait son désir de l’occident, désir de la liberté. Inga est amoureuse des livres d’Alexandre Dumas, elle est passionnée par les aventures des Trois Mousquetaires. Au moment où dans le livre, elle apprend la mort de Madame Bonacieux, elle allume une bougie comme si cela c’était passé dans la vraie vie. Chez les enfants la frontière entre la réalité et l’imagination est très mince, ils ont leur monde magique fondé sur un mélange entre vague reflet du monde des adultes, de fables et des ouï-dire qui circulent.

La magnifique séquence d’ouverture commence par une caméra virevoltante autour d’Inga en gros plan, qui danse et fait des grimaces. Comme on l’apprendra par la suite ce n’était que pour un jeu d’enfants.

D’ailleurs le titre du film vient de ce jeu. Les enfants en encerclent un et chacun à son tour lui distribuent des adjectifs le décrivant et peu importe s’ils ne correspondent pas à la réalité : « son cou est blanc comme celui d’un cygne », « elle est belle comme une princesse »,  etc. C’est aussi un jeu d’intégration et de manipulation, dont se serviront les enfants afin d’éjecter le nouvel arrivé en lui attribuant d’affreux adjectifs de telle manière qu’il n’ait plus envie de jouer. Déjà à son apparition dans la cour d’un pâté d’immeubles, les enfants l’assaillent en lui posant la question : « est-tu communiste ou Beatles (hippie) ? »,  mais ils s’en fichent de la réponse du garçon car de la question n’est qu’une singerie volée au comportement des adultes. Le garçon se rendra très vite compte de cette supercherie, un piège tendu par ses nouveaux camarades et il trouvera son propre moyen de manipulation : il a une botte de branches nues d’aurone qu’il croit quelles vont fleurir un jour. Au début, les enfants se moquent de lui mais très vite ils se prennent au jeu et attendent avec fascination la floraison des branches inertes.

« Ça va fleurir quand les poules auront des dents », répond un vieux à la question du garçon amoureux d’Inga et qui il a envie de lui offrir un bouquet de branches d’aurones. Tout le film est parsemé des phrases de sagesse qui ne font pas avancer l’action du film mais qui sont là comme des vérités immobiles. « La vérité peut être prononcée à travers les lèvres d’un salaud aussi ! » dit le vieil homme de retour sur le lieu où sa maison fut détruite, après que le nouveau garçon a insulté la jeune Inga. « Le malheureux pense pouvoir être heureux là où il n’est pas, alors que l’heureux est heureux partout », dit la mère d’Inga, quand sa fille lui propose de partir loin de chez elles.

Le rêve d’ailleurs est la clé du film. Les personnages du film semblent tous attendre quelqu’un ou quelque chose : la mère attend une lettre, un message de quelqu’un dont on ne connait pas le visage, le chien sur une rive attend son maitre noyé, les enfants attendent la floraison d’aurone, le vieux se remémore les temps anciens avant la guerre quand sa maison était encore là sur le lieu de ses promenades quotidiennes.  D’autre part, cet ailleurs peut être exprimé en attente du changement. Le vieux monsieur est un symbole du vieux monde d’avant l’occupation, la destruction de sa maison est la destruction de la mémoire d’un peuple. Le film témoigne d’un véritable attachement du réalisateur à sa terre natale et ses traditions.

A la recherche d’une véritable beauté, Inga arpente jusqu’à un salon de beauté avec le portrait de Brigitte Bardot en devanture. Elle attend patiemment son tour en regardant attentivement les chiffres des postes libres s’allumer et voit sortir des dames sur-maquillées et sur-coiffées calquées sur les chablons de beauté de l’époque. Cette beauté artificielle ressemble plus à un produit d’usine et effraie la petite fille qu’est Inga. Malgré cet exemple de beauté venu d’Occident, Zebriunas préfère la beauté authentique sans artifice.

La mère d’Inga pose une question à sa fille : « Regarde-moi, est-ce que je suis belle ? » cette question inattendue oblige le spectateur à douter de sa propre perception, car jusqu’à là on était convaincu que et la mère et la fille sont deux beautés incontestables. Au début du film, la caméra met incontestablement en valeur les deux comédiennes par la formidable collaboration avec chef opérateur Algimantas Mockus (qui avoue être assez inexpérimenté à l’époque et avoir tout appris chez Zebriunas). Et voici qu’à la fin du film, le spectateur est amené à se poser la question : mais qu’est-ce qu’est la véritable beauté ?

« Ne me mens pas, maman, je suis déjà grande ! », dit à la fin Inga. La mère, qui d’habitude appelle sa fille « fabulatrice » garde le silence. Le silence est aussi un mensonge, qui participe à ce jeu d’apparences installé depuis début du film. Quand on est conscient de la vérité, ainsi la vraie beauté peut commencer à se construire.

La Belle, une petite perle à ne pas rater !

Rita Bukauskaite

La Belle (Grazuole) un film d’Arunas Zebriunas avec Inga Mickyté, Lilija Zadeikyte, Arvidas Samukas, Tauras Ragalevicius, Sergey Martinson… Scénario : Jurijus Jakovlevas. Directeur de la photographie : Algimantas Mockus. Directeurs artistiques : Algimandas Nicius & Viktorija Bimbaité-Vilimiene. Musique : Viaceslavas Ganelinas. Production : Lietuvos Kino Studija. Distribution (France) : ED Distribution (Sortie le 22 août 2018). Lituanie. 1969. 66 minutes. Noir et blanc. Scope. DCP. Tous Publics.