Khady Sylla

Khady Sylla fait figure d’exception dans le paysage cinématographique africain. Cinéaste féminine, chose rare en Afrique, elle souffrait également de schizophrénie. Décédée en octobre 2013, elle laisse derrière elle des films qui posent un regard atypique sur la société africaine.

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 Khady Sylla, une équilibriste du cinéma

Le parcours de Khady Sylla ressemble à celui d’une funambule, toujours sur la brèche, susceptible de pencher d’un côté ou d’un autre. Khady Sylla oscille entre la France et le Sénégal, son pays d’origine, entre l’écriture et le cinéma. Née en 1963 à Dakar, elle se rend en France pour intégrer une école de commerce. Elle y reste une semaine et commence ensuite des études de philosophie qu’elle abandonne rapidement. C’est à Paris qu’elle s’immerge dans le monde artistique et décide de se mettre à l’écriture. Très vite, elle s’intéresse aussi au 7e art. Sa courte filmographie, seulement cinq films, est composée majoritairement de documentaires. Avec un regard acéré et analytique, elle y décortique la société africaine, ses travers, ses blessures, notamment celles laissées par le colonialisme.

C’est à travers des moments de la vie quotidienne sénégalaise qu’elle entend psychanalyser le Sénégal et ses habitants. Comme avec Colobane Express (1999), qu’elle a tourné dans les « cars rapides », ancêtres des anciens taxi-brousses. « Ces cars rapides sont les fenêtres dérobées sur Dakar, les baromètres de la société sénégalaise. » expliquait-elle. Selon Jérôme Baron, directeur du Festival des 3 Continents, le cinéma sénégalais « est à la fois très modeste et limité dans les moyens, quasiment artisanal, un peu fait à la main mais avec une ambition démesurée : être dans un rapport d’attention, d’intimité, d’interrogation, de compréhension du réel qui est incroyable.» Une analyse qui fait écho au  parcours de Khady Sylla.

 Plongée dans la folie

Atteinte de schizophrénie, Khady Sylla tangue entre le monde réel et l’irréel, la raison et la folie. Après avoir voulu tourner un premier film sur les malades mentaux errants dans Dakar, elle finit par sombrer : « Je tombais malade, passais de l’autre côté et voyais ce que les autres ne voient pas. L’œil disloqué, l’antiquité de la bulle de verre, le ciel devenu trop bas, l’horizon trop près. Je faisais l’expérience de l’intérieur ». Elle connaît plusieurs passages en hôpital psychiatrique. La folie, elle la vit de l’intérieur et se remet donc à la filmer. Avec Une fenêtre ouverte (2005) dans lequel elle suit une femme atteinte de maladie mentale, c’est sa propre folie qu’elle expose. « Quand elle filme les fous, elle se voit. » analyse Jérôme Baron.

 Un cinéma en marge

Dans Une Simple Parole (2014), film tourné avec sa sœur peu avant sa mort, elle va à la rencontre de sa grand-mère pour qu’elle lui livre sa vision de la société sénégalaise. Ce dernier film, dont Khady Sylla n’aura pas eu le temps d’assurer la post-production, reflète bien son souci de plonger dans la société sénégalaise pour en livrer une analyse quasi-anthropologique. Elle réussit donc, dans un dernier tour d’équilibriste, à laisser derrière elle des films en marge du cinéma sénégalais actuel, mais profondément ancrés dans la société africaine.

 Aurore Wroblewski

Article dans le cadre d’un partenariat KinoScript/Preview

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