John Landis

De son premier film Schlock, une parodie de film d’horreur, à son dernier film Cadavres à la pelle en passant par Mr. Warmth, un documentaire sur un acteur comique, John Landis a su mettre en place un univers à mi-chemin entre son monde imaginaire peuplé de monstres de cinéma (loup-garou, vampire, monstres de Frankenstein … ) et la réalité politique, sociale et raciale américaine. Observateur amusé, il n’hésite pas à interrompre le cours de ses films pour raconter une simple blague à l’instar des interruptions publicitaires à la télévision. Rencontre avec ce cinéaste élégant et humaniste. See you next Wednesday, John. 

john landis

KinoScript : Comment êtes-vous devenu le réalisateur d’American College ?

John Landis : J’avais fais un film indépendant auparavant, Schlock (1973), et j’étais en train d’en tourner un autre, Hamburger film sandwich (1977). Ma scripte, Catherine Wooten, avait pour petit ami l’assistant de l’un des patrons d’Universal. Le studio était en plein développement du scénario  d’American College. Et Catherine, chaque soir, racontait à son amoureux notre journée de tournage : « Aujourd’hui nous avons explosé une voiture. Trucmuche a fouetté des filles nues », etc. Intrigué, il a fini par venir nous voir au montage. A la suite de quoi j’ai été engagé pour effectuer des changements sur le scénario de Animal House. Hamburger film sandwich est sorti pendant le tournage d’American College. Je ne dois donc pas mon engagement sur American College au succès du film précédent.

American College

KS : C’est American College qui vous a permis de faire The Blues Brothers (1980) et d’avoir un budget de 27 millions de dollars ?

J. L. : Tout à fait. American College a été un grand succès. Dans l’industrie du cinéma aux Etats-Unis, et peut-être même en France, votre destin dépend du montant de recettes que vous faites sur un film. Quand un réalisateur a du succès, il obtient le pouvoir. Si je n’avais pas eu la chance de rencontrer le public, on ne m’aurait pas permis de faire des films comme The Blues Brothers ou Le Loup-garou de Londres  (1981), qui sont des films inhabituels.

KS : Une sorte d’érotisme accompagne vos films. Il y a toujours de belles femmes… C’est nécessaire à votre cinéma ?

J. L. : Cela dépend du film. Si un film  parle de la sexualité, du sexe ou des femmes, vous aurez de belles femmes à l’image. Mais je ne pense pas qu’on puisse généraliser.

KS : Il y a quand même une sorte de bestialité dans vos films… Par exemple dans la scène de transformation du Loup-garou de Londres

J. L. : Vous avez raison : la transformation du personnage principal est une métaphore de l’érection. En termes sexuels, tout ce qui concerne le loup-garou équivaut à l’adolescence. A cet âge-là le corps devient bizarre, les femmes commencent à saigner, à avoir des seins,  les hommes deviennent poilus, on se demande ce qui se passe. C’est à cette étrange transformation du corps que l’on voulait faire allusion.

LeLoup-Garou3

KS : Dans cette même séquence, je me suis toujours demandé le sens exact du plan de Mickey Mouse qui « regarde » le personnage.

J. L. : C’était un seul gros plan sur Mickey… En fait je voulais tourner cette scène en un seul plan, sans plan de coupe. Mais au montage, j’avais plusieurs plans à ma disposition et j’ai compris que je ne pourrais pas raccorder deux plans différents sur David Naughton. Nous avons donc utilisé la figurine de Mickey Mouse comme plan de coupe.

LeLoup-Garou

KS : Vous avez travaillé avec la compagnie Disney, vous avez fait un film pour leur anniversaire…

J. L. : C’était il y a vingt ans, peut-être plus, pour leur 35ème anniversaire (Disneyland’s 35th Anniversary celebration pour la télévision,1990). J’étais très ami avec Jim Henson, le créateur du Muppets Show, et je le suis toujours. Il avait un contrat pour faire ce show anniversaire. Quand il est arrivé avec son équipe chez Disney, c’était le chaos total au sein de l’unité de production… Jim m’a alors appelé à l’aide. Ce fut une expérience vraiment très marrante et délirante, d’autant que – cerise sur le gâteau- les Muppets étaient de la partie.

KS : Avez-vous été influencé par les films d’animation ?

J. L. : Bien sûr, j’adore Tex Avery, Frank Tashlin, Chuck Jones et bien sûr les formidables Looney Toones.

KS : Dans Trois Amigos (1986), il y a une scène de projection du film muet des trois héros dans une église. Voyez-vous le cinéma comme une religion ?

J. L. : Non, mais j’aime le cinéma. Je n’ai pas autant de respect pour la religion. Je pense que le cinéma est un extraordinaire et puissant moyen de communication. Comme la littérature ou le théâtre, le cinéma possède cette faculté de vous emporter ailleurs, de vous amener loin de vous-même. Je pense que le cinéma est un formidable moyen de rêver. C’était un art universel du temps du muet. On pouvait voir les films français aux Etats-Unis et les films américains en France sans difficulté. L’apparition du son a nuit à son universalité.

KS : Comment faites-vous le casting de vos films ?

J. L. : Aujourd’hui tout le financement d’un film dépend des rôles principaux. Idéalement, il faut choisir les comédiens qui correspondent le mieux aux rôles, mais il n’y pas de règles… Parfois vous sentez que celui-là peut le faire, alors vous faites des tests.

KS : Vous préférez travailler avec des stars ?

J. L. : Cela m’est égal. J’aime les acteurs, stars ou pas.

KS : Avez-vous plus de liberté avec des comédiens sans grande notoriété ?

J. L. : Bien sûr, la différence est énorme. Mais la plupart des comédiens que j’ai dirigés n’étaient pas des stars avant que je travaille avec eux. Harrison Ford a joué dans beaucoup de films : il avait déjà une bonne quarantaine au compteur quand il est apparu dans La Guerre des étoiles, en 1977. Ce n’était pas une star. Il était déjà plus connu quand il a joué Indiana Jones dans Les Aventuriers de l’arche perdue, quatre ans plus tard.  C’est d’avoir un bon rôle au bon moment qui vous fait une star.

landis tournage The Blues Brothers

KS : Quelle est votre première pensée en arrivant sur un plateau ?

J. L. : « Oh mon dieu, il fait froid !» Avant le premier jour de tournage, d’habitude j’ai vu mon assistant, le chef opérateur et le chef décorateur, je sais quel sera mon premier plan… Il fait froid parce qu’on tourne très tôt le matin et que j’aime tourner en extérieur. Bien que tourner en studio soit plus agréable. Vous connaissez Carl Reiner ? C’est un formidable réalisateur de comédies, comme Un vrai cinglé. Un jour quelqu’un lui a demandé : « Quelle est la chose la plus difficile pour un réalisateur ? » Il a répondu : « C’est de savoir où garer les camions ! » On ne sait jamais où les mettre pour ne pas gêner le cadre. Il faut penser à ça aussi !

KS : Parlez-nous de votre collaboration avec George Folsey Jr., votre monteur et parfois même votre producteur ?

J. L. : George était monteur sur mon premier film, Schlock. C’est un formidable monteur, qui a beaucoup de talent. Il a aussi monté American College, puis The Blues Brothers. J’ai eu envie d’avoir le contrôle sur mes films mais j’étais trop occupé par la réalisation, George de son côté voulait produire. Il est naturellement devenu mon producteur pendant un moment.

The Blues Brothers

KS : Le système hollywoodien donne l’impression de fournir toujours les mêmes scénarios, qu’il transforme simplement en remakes ou en suites. Vous pensez que cette situation va durer encore longtemps ?

J. L. : L’idée que les gens se font d’Hollywood est erronée. Quand vous parlez d’Hollywood vous pensez au centre international de l’industrie du cinéma. Mais il n’y a plus de studios, ils ne sont plus que des poussières économiques au sein de multinationales, comme General Electric ou Sony. Hollywood c’est transformé en profondeur. Le cinéma produit aujourd’hui est beaucoup plus conservateur. Les films sont avant tout faits pour un public de masse. Les studios ne produisent plus de films qu’ils pourraient considérer comme novateurs. Les films doivent avoir le plus petit dénominateur commun, être sans ambition, consensuels. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de films d’animation. Ces films marchent dans le monde entier, aussi bien à Paris qu’à Tokyo, à Rome qu’à New York. J’ai eu pour ma part beaucoup de chance d’avoir pu faire mes films dans les années 70 et 80, quand les studios avaient encore une personnalité et qu’ils prenaient des risques.

KS : C’est pour cette raison que vous refusez beaucoup de scénarios, par manque d’originalité ?

J. L. : Chacun fait des films pour des raisons différentes : pour l’argent, pour des raisons d’ordre politique, pour rendre service, etc. Vous ne connaissez pas la motivation qui aboutit à la réalisation d’un film en particulier. Idéalement, vous devriez faire les films qui vous plaisent. Je suis personnellement très jaloux de Steven Spielberg ou de George Lucas, parce qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Or même Francis Ford Coppola n’a plus cette liberté. C’est pour cela qu’il produit ses films avec son propre argent.

KS : Pourquoi avez-vous fait des documentaires après avoir réalisé tant de fictions ?

J. L. : J’ai fait deux documentaires. Le premier, Slasher (2004), c’était en réaction à la situation politique : j’étais horrifié par le 11 septembre et la réaction de Bush, qui  a essayé de nous vendre l’idée qu’il fallait envahir l’Irak. Ce qui était un non-sens total, le mensonge était tellement évident. Je me demandais pourquoi moi, à Beverly Hills, j’étais plus clairvoyant que ces gens de Washington qui parlaient d’armes de destruction massive… je n’en croyais pas mes oreilles. En réaction à l’invasion de l’Irak, je voulais faire un film sur le mensonge. J’ai choisi cette métaphore du vendeur itinérant de voitures. C’était ma première expérience de ce que vous appelez le « cinéma vérité ». Je voulais filmer le réel, la vie, et façonner une histoire à partir de cela… Mais ce qui est arrivé, c’est que pendant le tournage, le personnage que j’avais choisi de suivre s’est révélé si complexe et fascinant, drôle et tragique à la fois, que le film s’est détourné de l’idée initiale, pour devenir son portrait. C’est en fin de compte un film où je parle du capitalisme…

KS : Vous auriez pu faire du Slasher un personnage de fiction…

J. L. : Un documentaire coûte moins cher, et j’avais le désir de tourner en numérique. Et puis je voulais faire ce que je n’avais jamais fait.

KS : Et votre second documentaire ?

J. L. : Mr. Warmth (2007) est un documentaire sur mon ami Don Rickles, un comique américain unique en son genre. Je suis fier de ces deux films, mais je ne pense pas qu’il soit prévu de les distribuer en Europe.

KS : Pour finir un peu à l’instar de vos films, pouvez-vous nous raconter une histoire drôle ?

J. L. : Un vieil homme va voir son docteur. Celui-ci lui dit qu’il a une très mauvaise nouvelle : « Non seulement vous avez un cancer incurable mais en plus vous avez la maladie d’Alzheimer à un stade très avancé. Et le vieil homme de répondre : « Oh, merci mon Dieu, au moins je n’ai pas un cancer ! ».

un fauteuil pour 2

Propos recueillis par Rita Bukauskaite

Cheeseburger film sandwich  formidable film à sketches de John Landis, Joe Dante, Robert K. Weiss, Peter Horton et Carl Gottlieb, dans la section Les Pépites de L’Etrange Festival.