Guilty of Romance – Sono Sion (II)

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Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes en 2011 et à l’Etrange Festival 2011 dans une version plus longue de 30 mn, Guilty of Romance est le huitième film du japonais Sono Sion et le premier à sortir sur les écrans en France. Après Love Exposure (2008) et Cold Fish (2010) (inédits en France), ce film est le dernier volet concluant sa « Trilogie de la haine » consacrée aux dysfonctionnements de la société japonaise.

Avec ce film radical, l’auteur nous plonge dans un cinéma de genre époustouflant : Un thriller érotique expérimental (pinkû). A la fois cinéaste et poète, on découvre que Sono Sion est un auteur hors norme et un cinéaste important. En prenant le contre-pied de la société bien-pensante cette œuvre puissante et inclassable questionne la place de la femme dans la société japonaise. Une critique enragée qui dénonce l’aliénation des femmes et l’hypocrisie de la société. Dans un complexe labyrinthe narratif (le récit est découpé en chapitres et offre de nombreux rebondissements impossibles à deviner à l’avance), Sion, avec un regard sans merci sur la société nippone, explose non seulement les tabous moraux (avec le fond), mais aussi les tabous visuels au cinéma (avec la forme).

Comme beaucoup d’autres polars asiatiques, Guilty of Romance s’ouvre sur une monstrueuse scène de crime aux frontières de l’ésotérique. Mais très vite le film, qui s’annonçait comme une traque, une chasse au psychopathe, prend une direction inattendue. On quitte ce crime nocturne et les couleurs criardes de la rue la nuit pour la blancheur immaculée, froide et glaçante, d’un foyer domestique le jour. La découverte macabre du cadavre découpé et l’enquête criminelle viendront interrompre le récit en « flashforward », comme un puzzle sordide et morbide, pour rappeler au spectateur que cette histoire se finira dans un bain de sang.

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Izumi (magnifiquement interprétée par Megumi Kagurazaka) est mariée à un célèbre romancier mais leur vie semble n’être qu’une simple répétition sans romance. Sion dépeint avec maestria la vacuité et l’asservissement de cette femme ne vivant que pour son mari et son foyer. Nous sommes témoin de sa déshumanisation. Un jour, elle décide de suivre ses désirs et accèpte de poser nue. Peu de temps après, elle rencontre un mentor en la personne de Mitsuko (sidérante Makoto Togashi), universitaire le jour se métamorphosant en prostituée prédatrice la nuit, et commence à vendre son corps à des étrangers, tout en restant une parfaite femme au foyer. Cette jeune femme au foyer, exemplaire, et épouse soumise au quotidien monotone, va peu à peu reprendre le pouvoir sur sa vie et son corps. Elle va découvrir les recoins insoupçonnés de sa psyché et de sa chair en glissant lentement vers la prostitution. Commence alors une violente descente aux enfers. Une plongée en apnée dans un Tokyo halluciné et psychédélique. Comme l’héroïne, nous allons découvrir le milieu glauque et fluo des « Love Hotels » japonais.

Mais dans ce thriller désespéré et destructeur, le parcours de l’héroïne est ambiguë car son émancipation devient vite déchéance. Le tissu moral et les différents thèmes développés dans ce film sont d’une richesse incroyable. Izumi va connaitre la perte de l’innocence des sentiments par l’expérience de la trahison et la culpabilité. Cette volonté de s’affranchir des conventions sociales en utilisant son corps ou encore, la libération de l’esprit par la violence faite au corps n’aboutissent qu’à l’autodestruction morale et sexuelle. Dans une avalanche d’images brutales et de scènes chocs, on plonge dans un grand bain « punk » et pop de sang et de sexe. Un enfer pop. La progression baroque du film dans son esthétique met en exergue les angoisses solitaires du Japon post-moderne.

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Les échos littéraires et poétiques sont nombreux chez Sono Sion et les inspirations multiples. On pense évidemment ici à Sade (ressort dramatique et psychologique: sadisme et masochisme) mais également à Kafka (image du « Château », endroit secret et inaccessible dont tout le monde cherche l’entrée). Des parallèles peuvent aussi être effectués avec Belle de jour (1967) de Luis Buñuel, Les Jours et les Nuits de China Blue (1985) de Ken Russell ou plus récemment Shame (2011) de Steve McQueen.

Entre satire sociale et conte initiatique baroque, Guilty of Romance est une œuvre iconoclaste, lyrique, corrosive, gore et érotique qui traite avec ironie et amertume de la libération illusoire d’une vie enfermée dans un carcan mental. Il n’y a plus rien à sauver ici, ni la famille, ni l’amour. Un cinéma violemment désespéré. Du grand Art.

Steve Le Nedelec

La version intégrale, – que nous vous conseillons -, de Guilty of Romance est disponible sur l’édition DVD.

Guilty of Romance (Koi no tsumi) un film japonais de Sono Sion avec Megumi Kagurazaka, Miki Mizuno, Makoto Togashi. Scénario : Sono Sion. Photo : Sôhei Tanikawa. Musique : Yasuhiro Morinaga. Producteurs : Yoshinori Chiba, Nobuhiro Iizuka. Production : Django Film – Nikkatsu. Format image : 1.85 :1. Couleur. Dolby Digital. Durée version intégrale : 144 mn. Edition DVD : Zylo.