El Perdido – Robert Aldrich

Brendon O’Malley (Kirk Douglas), surnommé « El Perdido », franchit la frontière et disparaît au Mexique. Il ne sait pas que le sheriff Dana Stribling (Rock Hudson) est à ses trousses. Dans un petit village, Stribling propose 50 pesos pour la moindre information concernant O’Malley… Après des jours de route, O’Malley arrive au ranch Breckenridge. A sa grande surprise, la maîtresse des lieux est Belle (Dorothy Malone), une femme qu’il a passionnément aimée autrefois. Belle est seule avec sa fille, Missy (Carol Lynley) et quelques ouvriers dans l’attente du retour de son mari, John Breckenridge (Joseph Cotten)…

El Perdido marque le retour de Robert Aldrich aux Etats-Unis après une escapade européenne pour deux films de guerre : Tout près de Satan (Ten Seconds to Hell, 1959) avec Jack Palance et Martine Carol et Trahison à Athènes (The Angry Hills, 1959) avec Robert Mitchum et Stanley Baker. Robert Aldrich n’aimait pas le film et nous ne pouvons que lui donner… tort. El Perdido est un formidable western, surprenant, sensuel et perturbant.

Aldrich ne s’est pas entendu avec Kirk Douglas. L’acteur cumulant aussi la fonction de producteur, les rapports ont dû être particulièrement tendus. L’un, Douglas, entrainant son personnage vers une extériorisation des sentiments, tandis que l’autre, Aldrich, exécrait tout sentimentalisme. Aldrich rencontre aussi des difficultés avec le scénariste Dalton Trumbo. Le scénariste de Spartacus, écrit au fur et à mesure que le tournage avance. Sa tâche est facilitée par le fait qu’El Perdido est l’adaptation d’un roman. Surtout que Trumbo, s’attelle en parallèle à l’écriture d’Exodus pour Otto Preminger. S’il se passionne pour l’histoire de la création de l’Etat d’Israël, il n’en délaisse pas pour autant El Perdido. Il s’en traduit une sorte d’urgence dans l’écriture, comme s’il n’avait pas eu le temps d’apporter la moindre correction à son texte. De cette fébrilité nait une impression, comme si chaque scène arrivait à une limite, proche du basculement.

Cet élément est particulièrement prégnant dans l’histoire d’amour, ou plutôt dans les histoires d’amour qui irriguent le film. Brendon O’Malley est un poète maudit irlandais perdu dans les immensités du nouveau monde. Un jour, il croise Belle. En bon poète, il est subjugué par la fille dans sa robe jaune, un amour fou et délirant. Il y a du Van Gogh dans O’Malley. Il la perd, tue un homme pour elle. Belle disparaît. Il la retrouve mariée à un propriétaire, alcoolique et plus vieux qu’elle. John (Joseph Cotten) porte sur ses épaules une culpabilité qui le ronge. O’Malley décide de la reconquérir et qu’importe son mari. Sauf que Belle a une fille, Missy (Carol Lynley), 16 ans, qui tombe follement amoureuse de O’Malley. Belle ne veut pas de son poète. Et le shérif Stribling, par concurrence amoureuse, tombe sous le charme de Belle. Petit à petit, Missy réussit à conquérir O’Malley, jusqu’à ce qu’il fasse un transfert sur la gamine en la découvrant avec la robe jaune de la mère. Le baiser qu’ils échangent est un moment vertigineux, incestueux, qui fait basculer le film. Cette circulation des sentiments est particulièrement gonflée. Un seul regret : que Dorothy Malone et Carol Lynley, engoncées dans des robes de saintes nitouches, ne soient pas plus sexy. Le sujet était certainement déjà assez explosif pour ne pas en rajouter.

Il n’est pas saugrenu de voir dans la rivalité entre O’Malley et le shérif une sorte d’homosexualité non assumée et à sens unique. Le shérif en bave pour O’Malley. C’est possible, tant l’explication de sa chasse tombe comme un cheveu sur la soupe. Peut-être la présence de Rock Hudson y est-elle pour quelque chose, mais Aldrich n’a jamais hésité à utiliser les « travers » de ses acteurs pour enrichir ses personnages. Il utilise sans vergogne l’alcoolisme de Joseph Cotten, comme il le fera plus tard dans Chut chut chère Charlotte. Malgré les réserves de Robert Aldrich, El Perdido reste l’une de ses œuvres les plus accomplies. Cinéaste de l’affrontement exacerbé en lieu clos, il démontre dans El Perdido sa parfaite maîtrise des grands espaces. Quelques séquences sont vraiment époustouflantes, comme la mort de Joseph Cotten et le duel final en forme de suicide.

Contrairement à Robert Aldrich, nous pouvons aimer El Perdido car ses défauts ajoutent au trouble et à la perversion qui irriguent ce grand western.

Fernand Garcia

El Perdido,  une édition combo (Blu-ray + DVD) dans l’incontournable collection Western de légende de Sidonis Calysta. Le film bénéficie d’un très beau master HD, en compléments : El Perdido, le crépuscule des héros, l’histoire du film par le cinéaste Jean-Claude Missiaen, « Dalton Trumbo n’aimait pas beaucoup le film, il trouvait qu’il avait été trahi dans la mise en scène par Robert Aldrich. Aldrich, de son côté, trouvait qu’il avait été trahi par le montage qui avait été fait dans son dos par le producteur, c’est-à-dire, Kirk Douglas » autres intervenants : Eddy Moine, Patrick Brion et Suzanne Liandrat-Guigues  (24 minutes). El Perdido, un grand film malade, une présentation par Bertrand Tavernier « The Last Sunset est maintenant un film qui fait un effet plus fort après l’avoir vu que quand on le voir » (21 minutes). Une deuxième présentation  de ce « western complètement à part dans la carrière westernienne de Robert Aldrich » par Patrick Brion (10 minutes) et enfin la bande-annonce d’El Perdido (2 minutes).

El Perdido (El Perdido / The Last Sunset) un film de Robert Aldrich avec Rock Hudson, Kirk Douglas, Dorothy Malone, Joseph Cotten, Carol Lynley, Neville Brand, Regis Toomey, Rad Fulton, Adam Williams, Jack Elam, John Shay… Scénario : Dalton Trumbo d’après « Sundown at Crazy Horse » d’Howard Rigsby. Directeur de la photographie : Ernest Laszlo. Décors : Alexander Golitzen et Alfred Sweeney. Costumes : Norma Koch. Musique : Ernest Gold. Montage : Michael Luciano. Producteurs : Eugene Frenke et Edward Lewis. Production : BrynaProd SA – Universal Pictures Company. Etats-Unis. 1961. 108 minutes. Eastmancolor. Format image : 1,85:1. 16/9e compatible 4/3. Son : Version Originale avec ou sans sous-titres français et Version Française. DTS-HD. Tous Publics.