Egle Vertelyte – Entretien

Entretien avec la réalisatrice lituanienne Egle Vertelyte à propos de son film Miracle, son premier long métrage de fiction. Egle Vertelyte place son décor dans un petit village en Lituanie des années 90, à la croisée des chemins entre communisme et capitalisme. C’est le premier film lituanien qui aborde cette époque, sans patriotisme, avec un regard lucide et amusé, une analyse juste et perspicace. Miracle est la découverte d’un véritable talent.

KinoScript : Le cinéma français a une tradition de film engagé. Votre film sort sur les écrans pendant la commémoration de Mai 1968. Lors de l’écriture de Miracle, appréhendiez-vous qu’il soit qualifié d’« anticapitaliste » ?

Egle Vertelyte : Non, je n’ai jamais réfléchi à ça sérieusement, il me semblait important d’analyser cette période en Lituanie juste après l’indépendance (N.D.L.R. 1991), la rencontre entre deux systèmes opposés, le communisme et le capitalisme était beaucoup plus intéressante, avec les contrastes et malentendus qui découlaient de cela. Je suis restée concentrée sur l’histoire d’une femme en m’intéressant à ce qu’elle éprouvait en tant qu’un être humain dans la collision des systèmes.

KS : Vous êtes originaire de Šiauliai dans le Nord de la Lituanie, une petite ville confrontée à des problèmes de chômage et d’émigration, cela a-t-il influencé la thématique du film ?

Egle Vertelyte : Je pense que oui. Même si la réalité dans le film est quelque peu exagérée, néanmoins j‘en ai beaucoup vu comme ça. Les destins des membres de ma famille, qui ont vécu dans des petites villes et villages proche de Šiauliai ont été directement touchés par la chute du communisme. Je me rappelle qu’après la faillite des boulangeries et des usines laitières, mes deux grands-parents ont perdu leur travail et n‘ont jamais pu retravailler. Je pense que quand on vit dans une petite ville, on voit beaucoup plus de réalité rude, triste, mais sous certains aspects celle-ci peut s’avérer comique.

KS : Vous êtes venue à Paris pour la première de votre film pendant une période de grèves (étudiants, SNCF, etc.). Que pensez-vous de ces mouvements ?

Egle Vertelyte : Je n‘y ai pas encore réfléchi profondément, mais je suis admirative devant la culture de grèves en France. A chaque fois, quand à la télévision, je vois les français ou les grecs en grève, je me dis : voilà des gens qui peuvent se défendre, défendre leurs droits, rappeler au gouvernement qu‘ils existent. Malheureusement, on n‘a pas la même culture dans mon pays, on a une mentalité de victime, un fort sentiment d‘impuissance. Les gens ne croient pas qu‘ils puissent changer quelque chose, ils ont peur.

KS : La Lituanie est un petit pays qui produit peu de films par an. Les artistes sont obligés de choisir les sujets de leurs films avec une attention particulière. Dans les critères de sélection, la Commission souligne que l‘œuvre d‘art doit parler de l‘histoire de la Lituanie d‘une manière positive. Comment avez-vous eu l‘idée de faire un film sur la période se déroulant juste après la chute du communisme, une période particulièrement difficile ?

Egle Vertelyte : En Lituanie, cette année afin de commémorer le centième anniversaire de l‘indépendance de 1918, on a tourné beaucoup de films patriotiques qui évoquent le passé du pays et cherchent des héros. On peut penser que les spectateurs ont toujours besoin de ce type de films. Ce point de vue patriotique ne m‘intéresse plus. Je n‘ai pas envie de parler uniquement de ce qui est beau en fermant les yeux sur d‘autres problèmes. Je pense, que pour un si petit pays, il est temps de regarder notre histoire d’un point de vue critique et ironique, sans faire de nous des héros et sans chercher des ennemies autour.

KS : N‘aviez-vous pas peur que votre projet soit recalé ?

Egle Vertelyte : Le Centre du cinéma lituanien (Lietuvos kino centras) ne finance pas exclusivement des films patriotiques, ses experts évaluent avant tout le projet en tant qu‘œuvre d‘art et pour cette raison je n‘avais pas peur. Néanmoins le scénario n‘a pas reçu le financement du premier coup, non pas parce qu‘il n‘est pas patriotique, mais parce que je n‘avais pas assez d‘expérience, j‘étais nouvelle, personne ne me connaissait et c‘était difficile pour eux de me faire confiance.

KS : Le titre est ambigu. D’un côté, le miracle sous-entend le miracle économique – l’américain Bernard (Bernardas en lituanien) fait rêver tous les habitants de la ville, promet monts et merveille, de l’autre côté – Irena, qui désire depuis longtemps avoir des enfants, tombe enceinte peut-être avec « l’intervention du Saint-Esprit ». Pourquoi aviez-vous envie de placer un miracle dans un contexte religieux ?

Egle Vertelyte : Je pense, que c’est impossible de parler de cette période-là et de l’identité lituanienne sans parler de l’église. Elle a eu un grand rôle après l’indépendance. L’église a proposé aux gens une nouvelle communauté, qui s’est substituée en partie à celle perdue avec la chute du communisme, c’était une force qui conseillait non seulement sur les questions de l’âme, mais qui participait activement à la vie politique. Je pense également que quand il n’y a plus rien de vrai ni de sécurisé sur quoi s’appuyer dans la vie de tout les jours, les gens commencent à regarder le ciel et à chercher des réponses là-haut.

KS : Une sorte de retour de la foi ?

Egle Vertelyte : La foi à ce moment-là était très forte, les gens disaient que même ceux qui étaient considérés comme athées pendant les années soviétiques tout d‘un coup se retrouvaient à prier dans les premières rangées à l’église. J‘ai toujours voulu comprendre pourquoi ils faisaient ainsi, comment on peut changer aussi vite. Le faisaient-ils par pragmatisme – afin de maintenir leur statut – et rien n’avait changé dans leurs cœurs, mais peut-être qu‘ils y ont vraiment cru ou se sont convaincu d‘y croire ? Je n‘arrive toujours pas à répondre à cette question.

KS : Miracle débute et se termine par l‘enterrement du cochon Riestauodege (Queue en tire bouchon), qui symbolise la fin du système soviétique. Pensez-vous qu’il était possible de « sauver » quelque chose de ce système afin que la transition entre le régime communiste et le régime capitaliste, entre la richesse commune et le bien privatisé, soit moins brutale ?

Egle Vertelyte : La privatisation aurait pu être beaucoup plus lisse, mieux stratégiquement organisée et mieux pensée. Il est plus facile de récréer sur quelque chose déjà existant que de repartir de zéro après avoir tout détruit.

KS : Quand et comment les coproducteurs polonais et bulgare se sont joints au film ?

Egle Vertelyte : Quand finalement nous avons obtenu le financement lituanien, nous n’avons pas eu à chercher longtemps des partenaires étrangers. Les coproducteurs bulgare et polonais sont entrés tout de suite. Ils étaient tout deux attirés par le scénario et trouvaient des connexions avec leur propre histoire.

KS : Egle Mikulionyte (Irena) et Vyto Ruginis (Bernardas) sont remarquables, comment les avez rencontrés ?

Egle Vertelyte : Pour le rôle d’Irena, j’avais fait beaucoup de recherche. Eglė Mikulionytė est une comédienne de théâtre, j’ai été attirée par son apparence et par sa très bonne approche de l’absurde. Il était important pour moi que la comédienne comprenne la complexité de son personnage aussi bien que moi. Eglė Mikulionytė était toujours sur le plateau car elle tournait tous les jours, son travail était épuisant. Dans la ferme des cochons, elle s’est même empoisonnée à cause de l’odeur. Elle a tout accepté très calmement, à la manière bouddhiste, elle ne s’est jamais plainte, avant chaque jour de tournage, elle allait à la ferme afin de se préparer pour son rôle. J’étais assise à côté d’elle à la projection du film au festival de Toronto et à la première en Lituanie, elle n’arrêtait pas de rire, plus que les autres spectateurs, peut-être étions-nous les spectatrices qui cela amusaient le plus, nous avons le même sens de l’humour, je crois que c’est pour ça que je l’avais choisie.

Quant à Vyto Ruginis, je l‘ai rencontré sur Skype, parce qu‘il habite Los Angeles. C’est le seul comédien que j‘ai auditionné pour le rôle. Dès que je l‘avais vu sur l‘écran de mon ordinateur, j‘ai compris que c’était lui.

KS : Vos décors sont particulièrement justes et évoque parfaitement l’époque, les avez-vous trouvés facilement ?

Egle Vertelyte : Ce fut vraiment difficile, tout le film, à part l’appartement d’Irena, a été filmé en décor naturel, mais la Lituanie depuis l’indépendance a beaucoup changé. Presque toutes les villes et villages se sont transformés à la suite de travaux de rénovation à l’européenne. On a choisi la petite ville de Jieznas pour le tournage car elle n’avait pas subi trop de changements et offrait tous les décors dont nous avions besoin. Mais il parait que des travaux de rénovation de la ville sont prévus pour bientôt.

KS : Avez-vous rencontré des difficultés au cours du tournage ?

Egle Vertelyte : Non. Nous étions très bien préparés, je contrôlais ce qui se passait sur le plateau. Par contre, il y a eu des plans complexes à réaliser parce qu’on ne pouvait faire qu’une prise, le plus difficile fut évidemment la destruction de la ferme. On a  dû acheter une vieille ferme qui était inclue dans la liste des bâtiments à détruire… et on l’a détruite. On préparait ce plan pendant des semaines, nous n’étions pas sûrs de le réussir. Tout s’est heureusement bien passé. Le résultat à l’écran est impeccable et pour moi, c’est la plus belle partie du film.

KS : Si ce n’est pas un secret,  pensez-vous déjà à un prochain film ?

Egle Vertelyte : En ce moment je suis en train de développer trois projets en même temps, chacun à un stade différent. Celui qui m’attire le plus, raconte une histoire d’amour se déroulant à New York entre un professeur et son étudiante lituanienne. Ils admirent tous les deux un artiste du mouvement Fluxus, Jurgis Maciunas, mais chacun comprend sa vie d’une manière différente.

Entretien et traduction: Rita Bukauskaite