Eddy Matalon sur New York Blackout

Produit et tourné en un temps record à la suite de la grande panne d’électricité de New York de juillet 1977, New York Blackout est une série B d’une grande efficacité. Petit retour sur la genèse et le tournage de ce classique du cinéma d’exploitation avec son sympathique réalisateur Eddy Matalon.

 KinoScript : Comment est né le projet de New York Blackout ?

Eddy Matalon : La société de production canadienne Cinépix voulait faire un film à petit coût avec peu de personnages et de décors. De mon côté, j’avais une idée qui me trottait en tête depuis un moment : un asile psychiatrique proche d’une petite ville, victime d’une panne de courant. Les fous en profitent, s’évadent et mettent la pagaille en ville. L’idée leur plait. Un mois après c’est la grande panne de courant de New York ! Nous modifions aussitôt notre squelette de scénario, on se retrouve avec nos fous, qui transférés d’un asile à l’autre traversent New York et là tout se précipite, panne d’électricité, accident et nos fous se retrouvent en liberté dans le chaos de la ville. Ils pénètrent dans un building, – on retrouve notre idée de lieu unique -, et terrorisent ses habitants. La fusion de notre idée de base avec l’actualité excite tout le monde. Pour ne pas être pris de court, on téléphone à Variety et l’on annonce le film en tournage avec une livraison en septembre, nous étions au mois de juillet ! Cinépix annonce le film avec deux acteurs dont l’un était Harry Reems. Il s’était fait un petit nom en jouant dans Gorge Profonde (Deep Throat) et travaillait régulièrement dans des productions sexy de Cinépix.

KS : Qui était à la tête de Cinépix ?

E.M. : Trois mousquetaires, John Dunning, André Link (photo) et Ivan Reitman (NDLR futur réalisateur des Ghostbusters), ils avaient déjà pas mal produit, des petits films érotiques, des comédies, les premiers films de David Cronenberg.

John Duning André Link

KS : Vous êtes crédité au scénario avec John C.W. Saxton, l’auteur des cultissimes Ilsa et Class 84 comment est-il arrivé sur le film ?

E.M. : Je ne le connaissais pas, il est venu par Cinépix ou plutôt par leur société de production qui s’appelait DAL, Dunning – André Link. Saxton, c’était un grand type plus tout jeune, très sympathique. Je lui ai donné la première version du scénario, il l’a repris de son côté, puis nous nous sommes revus et avons confronté nos idées. John Dunning, qui était assez créatif, – il s’occupait de la publicité et du marketing des films -, a aussi participé au scénario, il avait toujours des idées assez tordues, il aimait beaucoup l’épouvante.

KS : Comment avez-vous fait pour obtenir un tel casting ?

E.M. : Par nous-mêmes, nous l’avons monté au fil des discussions entre Link, Dunning et moi. Nous recherchions des noms pas trop chers, c’était un petit film, et qui représentait commercialement un petit quelque chose. Nous cherchions des acteurs qui n’avaient pas encore fait trop de cinéma et de vieilles pointures en caméo.  Belinda Montgomery avait une petite renommée grâce à la série télé, L’Homme de l’Atlantide. Nous avions l’accord de Jim Mitchum, de Robert Carradine qui étaient à la mode, ils sortaient de films qui avaient obtenus du succès. Pour les rôles secondaires nous cherchions des acteurs plus âgés et expérimentés, des noms plus célèbres. C’est ainsi que nous avons eu June Allyson, elle ne tournait plus beaucoup, Ray Milland et Jean-Pierre Aumont. L’ensemble compose un casting équilibré et de qualité, ce que nous recherchions.

KS : Ray Milland avait une belle carrière d’acteur, Espion sur la Tamise (Fritz Lang, 1944)  Le poison (Billy Wilder, 1945), Le crime était presque parfait (Alfred Hitchcock, 1954), Le dernier Nabab (Elia Kazan, 1976) et de réalisateur, comment était-il ?

E.M. : Adorable. Mais le malheureux n’avait qu’une journée de tournage, il est arrivé la veille et est reparti le lendemain. Une merveille d’acteur. Il connaissait parfaitement son texte et son rôle. Pendant une prise, je mettais en place la caméra, il vient me voir et discrètement me dit à l’oreille : « Ce n’est pas là qu’il faut mettre la caméra, ça va faire un faux raccord ».  Et effectivement, il avait raison, la script n’avait pas fait attention. C’était un grand professionnel et un vrai gentleman. J’avais une vraie admiration pour lui.

KS : Dans ce casting très anglo-saxon, on trouve le français Jean-Pierre Aumont, comment est-il arrivé dans le film ?

E.M. : New York Blackout étant une coproduction canado-française entre DAL et ma société Maki Films, j’avais besoin d’un acteur français connu des deux côtés de l’Atlantique. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir Jean-Pierre Aumont, un homme d’une grande correction. Je l’ai connu comme producteur d’un film qui ne s’est malheureusement pas fait de son frère François Villiers. Par la suite, je l’ai croisé assez souvent lors de la préparation d’une autre de mes productions L’île des coquelicots que réalisait le chanteur Adamo. Ils habitaient à quelques maisons l’un de l’autre dans le parc de la Malmaison à Rueil. Jean-Pierre Aumont, comme Ray Milland, est arrivé la veille, mais lui, pour trois jours de tournage. Nous avons diné ensemble le soir de son arrivée, nous en avons profité pour approfondir son personnage. Comme Ray Milland, Jean-Pierre Aumont connaissait parfaitement le texte.

KS : Et les autres acteurs June Allyson, Jim Mitchum, Robert Carradine ?

E.M. : June était contente de tourner. Elle avait peu de propositions de cinéma. Une femme extrêmement gentille. Le seul qui était un peu une tête de cochon c’était Mitchum. Il était assez dur et jaloux de Carradine. Il y a une scène où les deux se retrouvent dans le couloir, nous avions prévu de la faire en fin de journée en une heure et bien au bout de trois heures nous y étions encore. Mitchum faisait sa tête de mule, « Pourquoi t’as pris ce con-là ? », en parlant de Carradine. Ils étaient clairement en confrontation, chacun voulait prendre le pouvoir. J’en ai eu marre, j’ai dit du haut de mon mètre soixante-dix : « C’est bon on arrête là ! On verra demain si on fait la scène ». Le lendemain on l’a tourné en dix minutes ! Il est vrai qu’on avait laissé tout en place ! C’est la seule fois où Mitchum a fait son numéro.

mitchum carradine Blackout

KS : Le personnage le plus surprenant est peut-être celui qu’incarne Robert Carradine, il a un discours sur la société et est complètement asocial, pervers et sadique, l’avez-vu envisagé comme l’incarnation du mal absolu ?

E.M. : Oui tout à fait. Concernant Robert Carradine c’est un très bon acteur.

KS : Il y a aussi toute une série de petits rôles, tous excellents par ailleurs, d’où venaient-ils ?

E.M. : Don Granberry est un véritable indien, il avait tourné précédemment dans un autre thriller produit par Cinépix, Week-end Sauvage (Death Week-end). Victor Tyler, le grand noir, nous l’avons trouvé dans la rue pour ainsi dire, c’était un éboueur ! Il faut reconnaître que c’était une époque de bricolage.

KS : Vous aviez combien de jours de tournage ?

E.M. : Quatre semaines et deux jours pour être exact. Quatre semaines à Montréal. Et, chance incroyable, nous avions mis la main sur un immeuble inhabité. Il était à notre entière disposition. Et les 2 jours, c’était pour quelques extérieurs à New York en toute petite équipe.

KS : Faisiez-vous beaucoup de prises ?

E.M. : Non. Nous avions peu de jours de tournage avec quand même quelques déplacements à prendre en compte. J’ai eu la chance d’avoir d’excellents acteurs qui étaient bons dès les premières prises, nous n’avions pas la possibilité non plus de faire des centaines d’heures supplémentaires, nous avions vraiment un tout petit budget.

KS : La scène de poursuite dans le parking en sous-sol est très spectaculaire, était-elle prévue dès l’origine dans le scénario ?

E.M. : Oui. C’est Ivan Reitman qui tenait beaucoup à ce qu’il y ait une poursuite en voiture dans le film. Evidemment nous n’avions pas les moyens de faire une poursuite à la Bullitt en ville. Il faut comprendre qu’à l’époque le cinéma canadien était balbutient, ce n’était pas une industrie. Il n’y avait pas de cascadeurs professionnels. On avait trouvé une famille de fous qui faisait « cascadeur ». Gaetan LaFrance, le chef de la famille était policier à moto mais uniquement l’été puisque c’était impossible l’hiver à cause de la neige. Sur le tournage, la voiture devait passer à travers la porte du garage. Nous n’avions évidemment pas les moyens d’une quelconque préparation. On avait, il est vrai, de sérieux doutes sur nos cascadeurs. Au moment de tourner, Jean-Jacques Tarbès l’opérateur me dit : « Moi, je ne reste pas là, je mets la caméra en automatique et je me tire ! » Et il a eu raison, le gars dans la voiture est parti comme un fou dans la porte du garage pour s’écraser dans le mur d’en face. Il est allé direct à l’hôpital, très content de lui !

KS : C’est sûrement ce côté brut qui donne toute son efficacité à la séquence, mais où avez-vous tourné ?

E.M. : C’est le parking de l’immeuble. Nous avons filmé la séquence avec une caméra et un Cameflex. L’avantage d’un parking en sous-sol c’est que c’est rapide à éclairé.

Carradine2

KS : Vous avez réussi à livrer le film aux dates prévues dans l’encart de Variety ?

E.M. : Absolument pas. Il n’y avait même pas de scénario au moment de l’annonce ! Bien sûr nous avons reçu des demandes et des lettres d’intérêts pour le film. Mais nous n’avons livré que bien plus tard. Roger Corman a vu une première version en salle de montage. Il a fait quelques suggestions et a pris le film en distribution dans sa société d’alors New World Pictures.

KS : Quel accueil a reçu le film ?

E.M. : Très bon, il a très bien marché au Canada et aux Etats-Unis.

KS : Et comment s’est déroulée sa sortie en France ?

E.M. : C’est Francis Mischkind, qui avait donné une avance avant tournage, qui l’a distribué via sa société FFCM. Nous avons été pénalisés par une interdiction aux moins de 18 ans, la censure a estimé à tord que le film était extrêmement violent. Ce qui était, même à l’époque, excessif. C’était peut-être plus une mesure contre le distributeur qu’une véritable classification. Mischkind était à un tournant, il avait distribué des films de Bergman et de Chabrol et s’orientait vers la distribution de films hardcore, ce qui ne plaisait pas.

KS : Quels regards portez-vous aujourd’hui sur le film ?

E.M. : New York Blackout a été une très bonne affaire, avec son petit budget, il s’est vite rentabilisé. Et plus de trente ans après sa réalisation, il est toujours en exploitation dans de nombreux pays, je ne compte plus ses diffusions sur le câble aux Etats-Unis. C’est une belle aventure pleine d’enthousiasme qui reste pour moi un excellent souvenir.

Propos recueillis par August Tino à Paris, Mars 2014

NEW YORK BLACK OUT (ET LA TERREUR COMMENCE)